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samedi 23 mars 2024

Entretien Mineurs exclus de l’aide à mourir : «Nous ne sommes pas gouvernés par des gens courageux»

par Adrien Naselli   publié le 12 mars 2024

Stéphane Velut, chef du service de neurochirurgie du CHU de Tours déplore un projet de loi trop restrictif, qui ne permettra pas de répondre à tous les cas, notamment, celui des personnes mineures souffrant de maladies incurables.

par Adrien Naselli

publié le 12 mars 2024 à 17h51

Dans son livre la Mort hors la loi («Tracts», numéro 31, Gallimard, 2021), le chef du service de neurochirurgie du CHU de Tours se dit «hanté» par des patients en souffrance incurable. C’est le cas de Déborah, 6 ans, atteinte d’une tumeur sans espoir de guérison, qui la fait terriblement souffrir – et de sa mère, qui la veille jour et nuit. L’équipe médicale débat. «On sait tous qu’on ne peut faire que ça : quelque chose qui l’endorme et finalement la tue. Mais qui ? Qui est prêt à faire ça […]. Nous sommes en 1982, sur ça, il n’y a pas de loi, écrit Stéphane Velut. Pour la première fois, rien de ce qu’on m’avait appris […] ne me parut plus dérisoire, rien de mes fragiles connaissances théoriques ne me parut plus inutile.»

Profondément marqué par des cas comme celui de cette enfant, le neurochirurgien estime que l’annonce par Emmanuel Macron d’un projet de loi pour une «aide à mourir», qui exclut les personnes mineures, contrevient à la Déclaration des droits de l’homme. Le texte sera présenté en première lecture à l’Assemblée nationale au mois de mai.

Emmanuel Macron estime que l’aide à mourir, c’est «choisir le moindre mal quand la mort est déjà là». Cette définition vous semble-t-elle correcte ?

Par le choix de ces mots, le Président ménage les sensibilités religieuses et spirituelles qui voient, dans l’acte d’abréger la vie, un mal. Or, aider à mourir un être humain soumis à certaines situations tragiques est, au contraire, un acte de bonté. En revanche, parler de ce moment où «la mort est déjà là», c’est faire une distinction pertinente entre la vie (je veux dire au sens philosophique) et l’existence (au sens biologique). Autrement dit, c’est distinguer «vivre» et «être en vie». Mais il élude le problème fondamental qui réside dans l’impossibilité de situer la frontière entre ces deux états. Car c’est une frontière mouvante qui n’a rien d’universelle, et peut même varier au cours du temps chez tout un chacun.

Le projet de loi prévoit le cumul de quatre conditions pour bénéficier de l’aide à mourir, dont celle d’être majeur. Pourquoi, selon vous, ce critère n’est pas pertinent ?

Voilà le manquement le plus grave fait à l’égalité et à la fraternité. C’est nier des situations terribles vécues par des enfants. L’article Ier de la Déclaration des droits de l’homme stipule que : «Les hommes naissent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.» Créer une telle condition d’éligibilité à un accès à l’aide à mourir contrevient donc à cette Déclaration. Et les enfants seront bien sûr les derniers à pouvoir s’exprimer sur la question. Là se révèle l’impuissance du législateur à imaginer le pire, en tout cas, la crainte de s’en approcher. Nous ne sommes pas gouvernés par des gens courageux. Croyez-moi, les enfants le sont plus, eux.

Les trois autres conditions sont : «être capable d’un discernement plein et entier» ; «avoir une maladie incurable et un pronostic vital engagé à court ou à moyen terme» et enfin subir des «souffrances que l’on ne peut pas soulager». Ces trois critères vous semblent-ils correspondre aux réalités ?

Ces trois critères appliqués, la loi ne répondrait ni à une situation similaire à celle de Vincent Lambert (qui ne jouissait pas d’un discernement plein et entier) ni à celle de Jean-Luc Godard (dont le pronostic vital n’était pas engagé à moyen terme). Quant à la souffrance, qui d’autre que soi peut en juger ? Il est assez étrange de prétendre soulager des situations somme toute exceptionnelles en évinçant les exceptions. Là se révèle l’impuissance du législateur à embrasser la réalité.

Le Président remet, enfin, le soin de donner une réponse positive ou négative aux équipes médicales. Dans quelle mesure cette règle est-elle applicable ?

Il s’agirait moins d’une règle que du consensus collégial qui s’applique quotidiennement dans tous les hôpitaux à toutes les décisions médicales difficiles. En tout état de cause, le problème n’est pas là. A la fin de ses propos Emmanuel Macron dit : «Cette loi n’interdit pas de disposer de sa vie. Mais je pense qu’on n’a pas à donner à un tel choix un cadre médical.» Tout est dit. Le problème essentiel que recèle la question de l’aide à mourir est le même que celui que recélait l’avortement : dans ces deux cas, la technique est là pour venir au secours de l’autodétermination à son propre destin. Le technicien a donc, de fait, son mot à dire. A l’heure où l’on sacralise dans la Constitution la liberté des femmes de disposer de leur destin en ne mettant pas au monde un être humain, pourquoi ne pas sacraliser la liberté des êtres humains de disposer de leur propre destin en quittant ce même monde ? Il y a, là, une contradiction qu’aucun argument ne peut lever.

Emmanuel Macron a dit sa volonté de «remettre les soins palliatifs au cœur de l’accompagnement», avec un plan décennal qui sera présenté à la fin du mois. Est-il logique de mêler amélioration des soins palliatifs et accès à l’aide à mourir dans une même loi ?

Emmanuel Macron est politiquement contraint, piégé, dans l’impossibilité de froisser les équipes de soins palliatifs majoritairement opposées à l’aide à mourir. Elles le sont, car la médecine est enseignée dans la doctrine du curatif qui la conduit à différer le plus longtemps possible le simple constat d’échec, voire à le nier. Il ne fallait donc pas mêler ces deux champs, l’aide à mourir n’étant justement plus un soin mais bien un ultime acte de bonté duquel, par clause de conscience, on peut d’ailleurs s’affranchir – ce qui n’est pas le cas du soin. Pour autant, aérer les soins palliatifs, les ouvrir à la médecine de ville, les rendre accessibles «à la maison», hors des institutions, serait plus humain. Mais la formation doit suivre, tant technique que philosophique. Après tout, cette question devrait être abordée à la fin des études de médecine par le biais de la philosophie, de la littérature et du cinéma. Légiférer dans la rigidité, c’est manquer de confiance en ses concitoyens, c’est le signe d’une société qui doute d’elle-même.


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