par Eric Favereau publié le 19 mars 2024
On adore parfois les grands mots dans les débats sur la fin de vie. «C’est une loi de fraternité», a expliqué, le 11 mars dans Libération, Emmanuel Macron en présentant son projet de loi. «L’aide à mourir est le contraire d’un projet de fraternité», a rétorqué, vendredi 15 mars, Jean Leonetti, auteur de la loi précédente. «Accompagner quelqu’un à mourir peut être un acte de soin», a expliqué l’ancienne présidente du Centre national des soins palliatifs et de la fin de la vie Véronique Fournier. «Donner la mort est tout sauf un soin», a répété la présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap).
Qui entendre ? Serait-ce faire preuve de retenue que de revenir un instant à quelques histoires particulières, tout en rappelant que ces morts médicalisées ne concernent que très peu de personnes, moins d’un millier par an ? Appelons le «monsieur le colonel». Il a 88 ans, est aujourd’hui lourdement atteint de troubles cognitifs, type Alzheimer. Depuis sa grande vieillesse, il ne ressemble en rien à ce qu’il a été. Hier, c’était un homme qui voulait tout contrôler. Aujourd’hui, il est comme absent de lui. Il parle peu, mais sourit. Il renvoie paradoxalement l’image d’un homme heureux, gai, plaisantant avec les autres résidents de son Ehpad. Il ne reconnaît ni sa femme ni ses enfants. Et son épouse est perdue. Que faire ? Son mari avait été, hier, catégorique : s’il perdait la tête, il ne voudrait plus de cette vie-là. Il l’a écrit clairement dans des directives anticipées, et il a choisi sa femme comme personne de confiance. Reste que son pronostic vital n’est pas engagé, ni à court ni à moyen termes. Les médecins ne veulent rien faire, prétextant sa joie de vivre. Alors la vie se poursuit. Récemment s’est posée la question de lui changer ou non la pile de son pacemaker. Sa femme dit simplement : «Est-ce bien nécessaire ?» Quelle volonté suivre ? Celle d’hier ou celle, apparemment, d’aujourd’hui ? Avec le nouveau projet de loi, rien n’est dit sur l’opposabilité des directives annoncées, soit la primauté de la décision antérieure du patient, et cela alors que ledit projet se montre catégorique, ne prévoyant aucune aide à mourir pour un patient qui n’est pas en état de consentir.
Conflits familiaux
Autre exemple que nous a raconté le Dr Nicolas Foureur, directeur du Centre d’éthique clinique de l’AP-HP. Albertine a 88 ans elle aussi. Elle vit en Ehpad depuis trois ans après un grave accident vasculaire cérébral. Elle ne peut plus avaler, les troubles de la déglutition l’ont empêchée petit à petit de se nourrir et de boire ; ainsi, naturellement, cela a entraîné la mise en place de perfusions. Lorsque son état s’est un peu plus dégradé, Albertine a refusé d’être piquée pour la pose de l’hydratation artificielle. Elle le disait, elle en avait assez, elle voulait que ça s’arrête. Mais de guerre lasse, elle a fini par accepter cette perfusion, en raison de la demande insistante de ses enfants. Pour l’équipe soignante, cette situation n’est pas éthique, et relève de l’obstination déraisonnable condamnée par la loi actuelle, l’hydratation artificielle n’apportant aucun bénéfice dans ces situations. Quel avis suivre ? Celui des enfants ? Celui d’Albertine ? Ou celui de l’équipe soignante ?
Avec le nouveau projet de loi, l’avis de l’équipe médicale resterait prédominant : ce sont les médecins qui prendraient la décision. «Ce sont des situations délicates, observe une neurologue. Après des AVC, des personnes âgées peuvent se retrouver dans des situations de dépendance qu’elles ne supportent pas. Et nous, on fait quoi ?» D’une certaine façon, c’était la même problématique que celle de Vincent Lambert. L’infirmier, plongé dans le coma après un accident de la route, l’avait dit et répété à sa femme : il ne voulait pas vivre la vie de ceux qui sont «comme des légumes». Paralysé, sans conscience apparente, sans contact avec le monde extérieur, mais voilà : son pronostic vital n’était pas engagé. On a attendu dix ans avant de mettre un terme à sa vie. La nouvelle loi aurait-elle changé son sort ? Pas sûr. Lorsqu’il y a des conflits familiaux, la médecine comme la justice sont démunies. Et une loi, souvent, ne change pas grand-chose.
«Je veux mourir»
Autre histoire, celle de Michel, 54 ans, atteint d’un locked-in syndrome. Terrible maladie où la conscience reste intacte, mais le corps est inerte. Depuis plusieurs mois, Michel ne peut plus bouger. Il ne peut plus parler, ne peut plus manger. Il est maintenu en vie par une aide respiratoire et une sonde d’alimentation. Il n’arrive à s’exprimer que par le clignement de l’œil, qui acquiesce lorsqu’on égrène les lettres de l’alphabet. Quelques jours après l’accident de Michel, un conflit a opposé sa famille et l’équipe médicale. A sa fille, il dit souhaiter un arrêt des soins, mais les médecins refusent de répondre à sa demande. Michel quitte alors le service de réanimation pour atterrir dans un centre de gériatrie, et enfin à l’hôpital de Berck (Pas-de-Calais). Et là, Michel se montre catégorique. Il «dit» à sa famille : «Je veux mourir.» Cette phrase revient tout au long des échanges formés lettre à lettre et consignés dans des cahiers. Malgré ce souhait affiché et répété, l’équipe médicale refuse, considérant qu’il s’agit d’une demande contraire à la raison d’être des médecins, sa vie n’étant menacée ni à court ni à moyen termes. Avec la nouvelle loi, de fait, rien ne changerait vraiment. Et le Dr Nicolas Foureur de noter : «Les lois, et même les recommandations de bonnes pratiques, n’épuisent pas toutes les situations.»
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