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mercredi 18 octobre 2023

« Pourquoi il est urgent de mettre à jour notre orthographe »

Publié le 15 octobre 2023  

A l’initiative du collectif Les linguistes atterré(e)s, plusieurs dizaines de linguistes, enseignants, universitaires et personnalités de la culture, parmi lesquels Claude Hagège, Bernard Cerquiglini, Geneviève Brisac, Annie Ernaux, Marie Desplechin, Cynthia Fleury, Bernard Lahire et Sandra Laugier proposent, dans une tribune au « Monde », une application beaucoup plus large des rectifications orthographiques de 1990.

Sommes-nous forcés d’écrire à la plume, de lire à la bougie ? Et pourtant, partout, on nous impose de lire et d’écrire avec une orthographe de 1878, oui, 1878. Alors que l’orthographe rectifiée de 1990 figure dans tous les dictionnaires, dont celui de l’Académie française.

C’est pourquoi, nous, francophones de différents pays, demandons à nos institutions, mais aussi aux médias, aux maisons d’édition, aux entreprises du numérique, de nous offrir des textes, des messages, en nouvelle orthographe, et d’aller plus loin dans cette voie. Réformer l’orthographe ne veut pas dire réformer la langue. On peut être bon en français, par la richesse de son vocabulaire, sa créativité et son argumentation, et mauvais en orthographe. Et c’est de plus en plus le cas aujourd’hui.

Les enquêtes PISA et PIRLS (Programme international pour le suivi des acquis des élèves et Programme international de recherche en lecture scolaire) indiquent que les pays francophones consacrent plus d’heures à l’enseignement de la langue maternelle que les autres pour des résultats plus faibles, et que les élèves français s’abstiennent plus souvent de répondre, probablement par peur de la faute. L’opacité de notre orthographe en est en partie responsable. Et le temps passé à enseigner ses bizarreries et incohérences l’est au détriment de l’écriture créative et de la compréhension.

L’orthographe, née avec l’imprimerie, n’a cessé, au fil du temps, d’être retravaillée par les grammairiens, les imprimeurs, et par l’Académie française jusqu’à la fin du XIXe siècle. On estime qu’entre les XVIIe et XIXe siècles, la moitié des mots ont vu leur graphie changer au fil des réformes. Depuis, plus rien, alors que la plupart des langues européennes mettent à jour leur orthographe régulièrement, pour accompagner leur évolution.

L’usage pourra trancher

Est-ce parce qu’il n’y avait plus rien à améliorer ? Nullement. Des linguistes, comme Ferdinand Brunot, des écrivains, comme Anatole France, se sont mobilisés dès 1900, en France, en Suisse et en Belgique. Pour aboutir en 1990, à une avancée : des rectifications validées par l’Académie française et publiées au Journal officiel, sans caractère contraignant.

Elles régularisent le pluriel de certains noms composés, suppriment l’accent circonflexe sur le i et le u quand il ne joue aucun rôle, simplifient certaines doubles consonnes, et éliminent quelques scories (« ognon » et « nénufar »). Elles sont intégrées aux traitements de texte, enseignées au primaire en France depuis 2008, mais aussi en Belgique, au Canada, en Suisse. Cependant, elles sont méconnues du public, qui s’en méfie, car on ne leur a jamais donné leur chance. Pire, après avoir appris la nouvelle orthographe en primaire, les élèves sont forcés de revenir à l’ancienne au collège et au lycée, faute d’ouvrages disponibles.

Il est urgent de mettre à jour notre orthographe. Affichons des textes conformes aux rectifications de 1990, et republions les classiques : il y a longtemps qu’on ne les lit plus dans leur graphie d’origine. L’école en a besoin. Plusieurs éditions pourront coexister, avec une pastille explicite ; nous retrouverons une liberté de choix, et l’usage pourra trancher.

Il est grand temps aussi d’aller plus loin. L’idée n’est pas de tout simplifier ni d’écrire en phonétique, mais d’améliorer le système graphique pour mieux l’enseigner. Aujourd’hui, la réflexion est très avancée, on sait ce qu’on peut modifier sans dommage pour le sens ou la prononciation, et sans ralentir la lecture.

Le premier pas serait d’acter la réforme de l’accord du participe passé, et d’accepter de le laisser invariable lorsqu’il est conjugué avec « avoir », comme le prévoyait déjà l’arrêté du ministre de l’instruction publique, Georges Leygues, en 1900, comme le demandent aujourd’hui la Fédération internationale des professeurs de français et le Conseil international de la langue française. L’accord avec l’objet avant l’auxiliaire (« l’histoire que j’ai lue ») avait été proposé à partir du XVIe siècle, mais accompagné ensuite de tant d’exceptions qu’il ne s’est jamais vraiment imposé. La plupart du temps, on ne peut pas l’entendre à l’oral, et pour les quelques verbes qui le permettraient, les bouches les plus autorisées (ministres et présidents compris) se surprennent à dire « la chose que j’ai fait »« la décision que j’ai pris ».

Les rarissimes cas où l’accord aurait du sens à l’écrit, de type « la part du gâteau que j’ai mangé(e) », sont presque du folklore, surtout que la distinction n’existe ni au masculin (« le morceau du gâteau que j’ai mangé ») ni aux temps simples (« la part du gâteau que je mange »). Or, aujourd’hui, environ quatre-vingts heures sont consacrées par l’école à ce seul point, au détriment du reste.

Insécurité linguistique

Le pas suivant serait de régulariser les pluriels en « -s », en renonçant au « -x » final qui résulte d’une erreur de copiste (« -us » abrégé au Moyen Age par un signe confondu avec un « x »auquel on a ajouté un « u ») : autorisons à nouveau « pous » comme « sous », et « pieus » comme « pneus ». Certes, on ne distinguera plus « lieux » et « lieus », ni « feux » et « feus », mais le contexte suffira à trancher : les avocats ou les cadres ne réclament pas une graphie différente de peur d’être pris pour des fruits ou des tableaus.

La nomination d’une commission internationale, un Collège des francophones, permettrait d’aller plus loin, dans un avenir que nous espérons très proche. Si vous trouvez que ces accords byzantins et ces exceptions étranges font tout le charme de notre orthographe, c’est parce que c’est la seule version qui vous a été enseignée dès l’enfance, et que vous y accordez une charge affective particulière. Nos ancêtres trouvaient surement « poëte » et « loix » plus jolis que « poète » et « lois ».

On peut éprouver une certaine fierté de sa maitrise de l’orthographe, mais même les plus aguerris souffrent d’insécurité linguistique. Que gagne-t-on à apprendre des règles qui n’ont rien de logique, ni même d’étymologique ? Rationaliser ne signifie pas effacer l’orthographe, mais la rendre un peu plus maitrisable ; et le chemin est vraiment très long, pour le français.

Depuis au moins trois siècles, on a investi dans la langue française un imaginaire qui lui suppose des qualités (clarté, brièveté, élégance…) qu’elle n’a ni plus ni moins qu’une autre. Le cout social et économique de notre orthographe archaïque est devenu exorbitant. C’est aujourd’hui un outil de sélection inadapté, car on lui prête des vertus qu’elle n’a pas.

Plutôt que se lamenter sur la baisse du niveau, le moment est venu d’ouvrir les yeus et d’agir enfin ! En l’espèce, la paresse et le moindre effort seraient de ne rien changer ; l’exigence et la rigueur consistent à appliquer la réforme de 1990 et à la poursuivre, à l’instar des siècles passés, pour que chacune et chacun retrouve le plaisir d’apprendre et d’enseigner, de lire et d’écrire en français. Offrons-nous plus d’ognons et de nénufars, moins de poux et de cailloux !

Ce texte a été rédigé en observant les recommandations orthographiques préconisées par les auteurs.

Parmi les signataires : Anne Abeillé, membre du collectif Les Linguistes atterrés, université Paris Cité ; Julie Auger,linguiste atterrée, Université de Montréal ; Mathieu Avanzi, linguiste, Université de Neuchâtel (Suisse) ; Clémentine Beauvais, autrice jeunesse ; Caroline Benjo, productrice de cinéma, société Haut et Court ; Christophe Benzitoun,linguiste atterré, université de Lorraine ; Geneviève Brisac, écrivaine ; Stéphane Bureau, directeur général des éditions Retz ; Heather Burnett, linguiste atterrée, CNRS ; Maria Candéa, linguiste atterrée, Sorbonne Nouvelle ; Bernard Cerquiglini, linguiste, université Paris Cité ; Cécile Coulon, autrice ; Marie Darrieussecq, écrivaine ; Jean-François de Pietro, linguiste, délégation suisse à la langue française ; Annie Desnoyers, linguiste, Université de Montréal ; Marie Desplechin, autrice ; Xavier Dessaucy, Association belge des professeurs de français de la Fédération Wallonie-Bruxelles ; Anne Dister, linguiste, Université de Louvain (Belgique) ; Cynthia Eid, présidente de la Fédération internationale des professeurs de français ; Annie Ernaux, autrice ; Michel Fayol, psycholinguiste, université de Clermont-Ferrand ; Cynthia Fleury, philosophe, CNAM ; Françoise Gadet, linguiste atterrée, université de Nanterre ; Médéric Gasquet-Cyrus, linguiste atterré, université Aix-Marseille ; Antoine Gautier, linguiste atterré, Sorbonne Université ; Claude Gruaz, linguiste, CNRS ; Claude Hagège, linguiste, Collège de France ; Arnaud Hoedt, auteur atterré ; Jean-Marie Klinkenberg, linguiste atterré, membre de l’Académie royale de Belgique ; Bernard Lahire,sociologue, CNRS ; Mathilde Larrère, historienne ; Sandra Laugier, philosophe, université Panthéon-Sorbonne ; Michel Launey, linguiste atterré, Université de Paris ; Georges Legros, linguiste, Université de Namur (Belgique) ; Marie-Louise Moreau, linguiste, Université de Mons ; Julie Neveux, linguiste atterrée, Sorbonne Université ; Michel Ocelot, cinéaste ; Rachel Panckhurst, linguiste atterrée, université de Montpellier ; Katya Pelletier, présidente de l’Association québécoise des professeurs de français ; Charles Pépin, philosophe ; Jérôme Piron, auteur ; Dan Van Raemdonck, linguiste atterré, Université libre de Bruxelles ; Elisabeth Roudinesco, historienne, vice-présidente de l’Institut histoire et lumières de la pensée ; Corinne Rossari, linguiste atterrée, Université de Neuchâtel ; Pierre Serna,historien, université Panthéon-Sorbonne ; Anne Catherine Simon, linguiste, Université de Louvain (Belgique) ; Gilles Siouffi, linguiste atterré, Sorbonne Université ; Liliane Sprenger-Charolles, psycholinguiste, membre du Conseil scientifique de l’éducation nationale ; Agnès van Zanten, sociologue de l’éducation, CNRS ; Laélia Véron, linguiste atterrée, université d’Orléans ; Henriette Walter, linguiste, université de Rennes ; Martin Winckler, auteur ; Viviane Youx, présidente de l’Association française pour l’enseignement du français ; Valérie Zenatti, écrivaine.

Retrouvez la liste complète des signataires ici.


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