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dimanche 15 octobre 2023

L’exact endroit où la médecine se dresse

Publié le 14/10/2023

« Je pense que la médecine peut être un pont pour la paix entre Israéliens et Palestiniens ». Cela peut sembler une phrase pacifiste et naïve, presqu’insupportable de bien-pensance après cette semaine où les jours n’ont été qu’une ligne brisée de désespoirs. C’est une phrase pacifiste et naïve. Mais elle a été prononcée par le Dr Ezzedine Abu al-Aish, quelques jours à peine après qu’il a été frappé par une insoutenable tragédie.

La mort en direct

Janvier 2009. La guerre fait comme toujours rage dans la bande de Gaza. Le Dr Ezzedine Abu al-Aish témoigne, depuis sa maison de Jambaliya, pour la 10èmechaîne israélienne, des difficultés quotidiennes de la population Gazaouie. Le médecin travaille pour l’hôpital de Tel Hashomer situé près de Tel Aviv : il est gynécologue spécialisé dans les problèmes d’infertilité. L’homme qui a appris à parler hébreu avec l’épouse d’un ami rabbin bénéficie d’un permis spécial pour se rendre sur son lieu de travail. Et en ce mois de janvier 2009, il parle quasiment quotidiennement à la télévision israélienne. Ce jour-là, soudain il s’étrangle : son logement a été touché par les tirs d’un tank israélien. Ses trois filles et sa nièce sont mortes. Immédiatement, le journaliste Shlomi Eldar organise les secours, obtenant une faveur de l’armée israélienne : l’autorisation du passage d’une ambulance. S’il est trop tard pour les trois filles du Dr Abu al-Aish, ses autres enfants et son frère pourront être sauvés. Quelques jours plus tard, alors qu’il veille au chevet de ses proches, il confie à un journaliste du Figaro : « A l'hôpital, les gens me demandent souvent d'où je suis, de Haïfa ou de Nazareth ? Je veux qu'ils sachent que je viens du camp de réfugiés de Jabaliya, que je suis Palestinien et que nous pouvons vivre ensemble. Je pense que la médecine peut être un pont pour la paix entre Israéliens et Palestiniens. J'ai d'ailleurs reçu de nombreuses marques de sympathies de collègues israéliens. Je continuerai à travailler pour la paix », confiait celui dont la vie venait d’être brisée (et qui a depuis été débouté de sa demande d’indemnisation par la justice israélienne, qui a écrit un récit bouleversant sur son histoire intitulé « Je ne haïrai point » et émigré au Canada).

Dérisoire ou surpuissante

Nombreux sont ces médecins, infirmiers, ambulanciers, qui conservent ce naïf et fragile espoir d’une paix possible. L’histoire d’Israël et de la Palestine est jalonnée de ces récits en pointillés de patients soignés par les mêmes praticiens, de malades ayant traversé les frontières faisant fi des check-points et des bombes. Combien dérisoires sont ces cœurs opérés, quand à quelques kilomètres de là sont massacrés d’autres cœurs ? Combien dérisoires sont ces douleurs apaisées quand dans les centres de santé on tente chaque jour de composer avec les pannes d’électricité, l’absence de médicaments, le manque de tout ? Ou au contraire combien puissant sont-ils, demeurant les témoignages de la ténacité parfaite de l’humanité, de la volonté farouche de continuer à faire exister quelque chose qui ne serait pas la barbarie et la haine.

Cinquante gouttes de paix

C’est le Dr Jean-Jacques Rein. Jean-Jacques Rein, né en France, fut jusqu’à il y a quelques années le chef du département de cardiologie pédiatrique à l’hôpital Hadassah, cet hôpital fondé il y a plus d’un siècle par une infirmière américaine pour soigner les enfants de Palestine. Avec Muriel Haïm, il a été le fondateur de l’association « Un cœur pour la paix », qui a permis d’opérer en Israël des centaines d’enfants palestiniens atteints de cardiopathie congénitale : 722 petits patients ont ainsi été opérés gratuitement entre 2005 et 2018, tandis qu’une dizaine de médecins et techniciens spécialisés ont été formés dans le service du Dr Rein. Deux cliniques autonomes ont pu ainsi ouvrir en Cisjordanie, ayant à leur tête deux médecins palestiniens formés à Hadassah. Sur toutes les photos que l’on peut voir du professeur Rein, on le découvre soit tenant un bébé entre ses mains, souriant sans réserve à l’enfant sauvé ou épaulant un jeune confrère palestinien. Jean-Jacques Rein, qui à l’heure où il fondait Un Cœur pour la paix, confiait devant des journalistes (dont ceux du JIM) nourrir l’espoir que les cinquante premiers enfants qu’il avait opérés soient autant de « gouttes de paix ».

Aucune raison d’avoir peur

Partout dans le monde, au lendemain du massacre des innocents, du massacre des jeunes gens dansant dans le désert des hommes et des âmes, des médecins ont voulu montrer qu’ils se tenaient, aussi fragiles que désarmés, aussi tenaces que téméraires, sur ce pont qui n’est bien sûr qu’un fil. C’est le Dr Wargon qui écrit en ce 13 octobre : « Aujourd’hui, je vais aller dans mon hosto en Seine St Denis, travailler avec mes collègues. Je suis juif. Beaucoup d’entre eux sont musulmans, originaires de pays arables. Nous sommes Français. Je n’ai aucune raison d’avoir peur » écrit-il sur Twitter

Colère et peur

Mais qu’on ne se méprenne pas, si la médecine est une entreprise de paix, elle n’est pas angélisme.

La médecine c’est la colère. La colère de ce médecin israélien dont l’hôpital accueillait cette semaine le ministre de l’Ecologie, Idit Silman. Avec une rage puissante, il poursuit la jeune femme de son cri : « Dégagez. Vous avec gâché toutes les négociations. Dégagez ». La force de cette injonction impose le silence à tous ceux qui assistent à la scène. Elle dit le bouillonnement de la société israélienne face à son gouvernement et plus particulièrement la honte de certains médecins d’avoir été privés d’une partie de leurs budgets pour servir d’autres enjeux (le financement par exemple d’institutions religieuses).

La médecine c’est la peur. La peur de tous ceux qui travaillent aujourd’hui pour des organisations humanitaires présentes dans la bande de Gaza. Eux aussi sidérés bien sûr par l’indicible, par la sauvagerie inimaginable qui s’est abattue sur Israël, sont tétanisés par celle qui s’abat également, sous formes de bombes, sur d’autres innocents sans que la médecine puisse tenter, si non de les sauver au moins de les soigner. C’est Rony Brauman, fondateur de Médecins du Monde, qui rappelle l’enfer qu’est Gaza et qui tout en ne niant pas l’irréparable commis par le Hamas se fige face à la vengeance aveugle qui déferle aujourd’hui sur le territoire palestinien.

Parler, c’est soigner

La médecine, quand elle ne peut traiter, reste une voix. Il a souvent été dit que l’empreinte de la Shoah était celle de l’indicible. Et tout en même temps, rarement évènement aura été l’objet d’autant de mots, impuissants et perdus, pour se heurter à ce mur, pour tenter à petit pas de le défoncer. C’est que font les médecins depuis samedi dernier sur Twitter. Ils défoncent l’indicible en écrivant très nombreux leur effroi, leur colère, leur soutien et tout en même leur refus d’être associé à l’un ou l’autre camp. Ici, on comprend que la « neutralité » du médecin ne doit pas se comprendre comme l’absence de position (tous les médecins en affichent clairement une, notamment vis-à-vis de la politique de l’état hébreu et se rient des messages de menaces et autres qui pleuvent sur Twitter), mais comme la nécessité absolue de justice. Le médecin marseillais DocAmine a ainsi multiplié les posts sur Twitter affirmant dans les premières heures : « Les attaques terroristes lancées par le Hamas contre Israël, entraînant volontairement la mort et l'enlèvement de civils innocents sont intolérables. Cette violence ne peut mener qu'à encore plus de souffrance. Espérons que cette violence cesse rapidement et que renaissent les espoirs de paix et de liberté pour ces peuples », tandis qu’il ajoutera quelques jours plus tard : « Aux paucineuronaux qui pensent que par ce post j'approuve la politique d'Israël : non. Rien ne peut justifier l'attaque délibérée de civils quels qu'ils soient, israéliens ou palestiniens ou autres. Pour ceux qui tentent de justifier des attaques en comparant le nombre de morts de part et d'autre depuis le début du conflit, je n'ai pas les mots ». De son côté, le Dr Georges Salines, spécialiste de santé publique, dont la fille Lola est morte lors des attentats du Bataclan décrypte avec calme et lucidité : « Tuer délibérément des centaines de civils innocents, en enlever d’autres, c’est du terrorisme. L’attaque du Hamas qui a eu lieu en Israël (…) est un des pires actes terroristes de l’histoire. Israël a le droit de se défendre. Et même le devoir, puisqu’il s’agit de protéger ses citoyens, ce que le gouvernement israélien a d’ailleurs été incapable de faire, trop occupé à régler ses comptes politiques et à envoyer Tsahal protéger les colonies illégales de Cisjordanie. Le droit de se défendre inclut des objectifs légitimes : capturer ou neutraliser les terroristes et surtout les commanditaires, libérer les otages, empêcher les nouvelles incursions. Ces objectifs seront très difficiles voire pour certains impossibles à atteindre en totalité sans causer « des dégâts collatéraux », pour parler pudiquement, qui vont semer les graines de la prochaine génération de terroristes. Le droit de se défendre ne comporte absolument pas le droit de commettre des crimes de guerre, ni d’exercer une punition collective cruelle en privant une population de plus de deux millions d’habitants d’eau, d’électricité, de gaz, de nourriture. De toute manière, pour avoir la paix, il faut avoir une stratégie de construction de la paix. Où était-elle hier ? Où est-elle aujourd’hui ? Les dirigeants palestiniens, bien avant le Hamas, n’ont jamais su donner à leur lutte le caractère non-violent qui lui aurait attiré des soutiens plus importants, comme avaient su le faire Gandhi, Martin Luther-King ou Mandela. Au moment où (presque) tout le monde est révolté par l’horreur de l’attaque du Hamas, les dirigeants israéliens s’empressent quant à eux de compromettre ce capital de sympathie par des déclarations ignobles qui annoncent des actes condamnables au regard du droit international. On peut, et un gouvernement devrait, réagir autrement que par la fureur vengeresse face à des atrocités. J’ai le droit de le dire pour avoir appelé à ne pas répondre à l’horreur par l’injustice dès le 14/11/2015, une heure après avoir appris la mort de ma fille au Bataclan. Il est absolument aujourd’hui nécessaire de condamner les attaques terroristes du Hamas, d’affirmer notre soutien aux victimes et notre disponibilité à les aider. Toutes les victimes civiles de la violence armée sont également innocentes, également respectables et méritent d’être protégées. Ne pas le dire, ce serait aider les terroristes à imposer leur récit qui est que le monde ne s’émeut que quand les mots sont israéliens ».

Que l’on dédie ce texte de Georges Salines à tous ceux qui refusent de dire « terrorisme » et à tous les enfants privés de leurs premiers pas où qu’ils soient.

On pourra relire :

Mathias Wargon :

https://twitter.com/wargonm?ref_src=twsrc%5Egoogle%7Ctwcamp%5Eserp%7Ctwgr%5Eauthor

Doc Amine

https://twitter.com/DocAmine_?ref_src=twsrc%5Egoogle%7Ctwcamp%5Eserp%7Ctwgr%5Eauthor

Georges Salines

https://twitter.com/GeorgesSalines?ref_src=twsrc%5Egoogle%7Ctwcamp%5Eserp%7Ctwgr%5Eauthor

Aurélie Haroche

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