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jeudi 5 octobre 2023

Des jeunes « chouettes » veillent la nuit sur les personnes âgées

Par   Publié le 5 octobre 2023

Par l’intermédiaire d’une start-up qui les met en relation, des étudiants en santé viennent passer des nuits au chevet de personnes âgés en perte d’autonomie.

Un médecin rend visite à une patiente, le 3 février 2023, à Fabas (Tarn-et-Garonne). 

Le monsieur avait 94 ou 96 ans, Cory Moncoucut ne sait plus exactement. Il s’appelait Edouard, mais elle l’appelait toujours par son nom de famille : « C’était un ancien avocat, il avait une certaine prestance et ça lui faisait du bien d’être toujours considéré ». Il avait aussi tendance à tricher au Scrabble, mais elle faisait mine de ne rien voir, plutôt amusée. Cory a 23 ans, elle est étudiante en cinquième année de médecine à Bordeaux. Pendant plusieurs mois, la jeune femme s’est transformée en « chouette » pour veiller sur lui la nuit. Les « chouettes » sont des étudiants en santé sélectionnés par la start-up Ernesti, une plate-forme qui les met en relation avec des aidants familiaux ou des personnes en perte d’autonomie. Pour une nuit standard, de 20 heures à 8 heures, la « chouette » touche 52,50 euros.

Veuf depuis peu, ce vieux monsieur avait surtout besoin de compagnie. Jusqu’à ce que sa santé ne se dégrade, le dernier mois. Après son décès, la famille a voulu organiser un repas avec toutes les « chouettes » qui se relayaient d’un soir à l’autre : un temps pour s’échanger les souvenirs, anecdotes et nombreuses blagues qu’il avait pu faire. « Je suis sortie de là très émue, raconte Cory.C’était super beau : j’ai réalisé qu’on était les personnes qu’il voyait le plus, alors que la plupart de ses amis étaient morts. J’ai été très triste quand il est décédé, j’y repense encore souvent. »

En créant ces liens forts entre générations, Ernesti cherche à démocratiser les gardes de nuit à domicile, afin de limiter les séjours à l’hôpital et de repousser des entrées parfois forcées en maison de retraite – avec, en prime, l’idée de rompre l’isolement des personnes âgées. Tout juste diplômé de l’école Centrale de Lyon, Quentin Zakoian a lancé l’initiative en 2017 avec sa sœur jumelle, Séverine, psychologue clinicienne, qui se rendait alors au chevet de seniors plusieurs nuits par semaine.

« Notre mère, médecin généraliste dans la proche campagne de Bordeaux, a une patientèle assez âgée. On a grandi dans cette ambiance-là », retrace le PDG et cofondateur de la start-up qui compte aujourd’hui 17 000 inscriptions d’étudiants en santé partout en France – un tiers en médecine, un tiers en soins infirmiers et un dernier tiers dans des formations paramédicales comme l’orthophonie, la kinésithérapie ou la pharmacie.

Sources de motivation

« Selon la typologie de la pathologie de l’accompagné, on oriente vers l’étudiant le plus adapté, détaille Quentin Zakoian. Après un accompagnement, le jeune n’est plus le même : il grandit et gagne en professionnalisme. » Cory Moncoucut en témoigne : « On réussit à prendre le patient dans sa globalité. En stage à l’hôpital, on ne se rend pas compte de l’impact que peut avoir le fait de perdre un époux, par exemple. Ça peut faire complètement décompenser une personne âgée. La douleur se manifeste mais les troubles cognitifs vont s’inscrire au premier plan. Ça, c’est écrit dans nos cours, mais on ne réalise pas tant qu’on ne l’a pas vu en vrai… » La future généraliste a observé aussi, dans l’intimité d’une chambre à coucher, ce qu’impliquait la prescription d’un traitement quotidien : « On ne fait que ça, prescrire, mais je n’avais jamais pensé à tout ce qu’il faut mettre en place autour : des infirmiers pour faire la piqûre, des gens pour préparer le pilulier, etc. »

Vu le tarif, l’étudiant a tout intérêt à avoir d’autres sources de motivation que la simple rémunération. « C’est sûr qu’ils pourraient gagner beaucoup plus en livrant des pizzas à vélo !, lâche Quentin Zakoian. On a fait des enquêtes : 50 % des jeunes nous disent que s’ils voulaient gagner de l’argent, ils ne seraient pas là. » Ernesti prend 16,50 euros de frais de service quand, par le biais du dispositif du chèque emploi-service universel, la famille en a pour 55 euros environ après crédit d’impôt.

« Ça finit par revenir très cher et l’entreprise prend une grosse commission », tranche Christine, 72 ans, retraitée à Paris qui préfère conserver l’anonymat. Sa mère, Simone, 96 ans, qui vit à Marseille, fait des cauchemars et a besoin d’une « présence rassurante » toutes les nuits. Malgré le prix et « les lourdeurs administratives repoussantes », Christine continue de trouver l’idée « magnifique ». « Ma mère n’a eu que des étudiantes épatantes, qui sont d’ailleurs souvent charmées par elle ! Ça leur apporte beaucoup pour leur futur exercice. » Quand on l’interroge sur la suite possible dans un Ehpad, Christine se dit « extrêmement inquiète » « On y pense avec mon frère, qui est au Canada, parce que j’ai tout sur les épaules et ça a des répercussions sur ma santé. Mais je préférerais repousser ça le plus longtemps possible, avec toutes les horreurs qu’on a pu entendre… Et ça me ferait beaucoup de peine que ma mère sorte de son petit monde. »

La plus grande peur de Noam Lambert, 20 ans, était d’abord de ne pas se réveiller la nuit. En 3e année de psychologie à l’université de Bordeaux, l’étudiant a, lui aussi, été « attiré plus par l’expérience que par le salaire ». Pour lui, la rémunération représente plutôt « la cerise sur le gâteau ». Peu à peu, il a pris confiance, avec « un sentiment d’aider assez réconfortant ». Noam décrit avec plaisir ceux qu’il a accompagnés. Il y a eu, entre autres, Isabel, une Franco-Espagnole dont la maladie d’Alzheimer lui a fait oublier tout son français. Et cet homme, « très vif d’esprit malgré de grosses pertes de mémoire », qui a développé un calcul rénal et se retrouvait dans des situations cocasses : « D’un coup, il avait un sentiment d’urgence pour qu’on l’emmène aux toilettes. Et puis on se retrouvait devant, avec le déambulateur, et il se demandait ce qu’on faisait là ! »

Nostalgique, Noam confie avoir eu « un préféré » : André, 99 ans, « qui en faisait vingt de moins : tout marchait divinement bien ! » Les conversations allaient bon train. Le hasard a fait qu’ils étaient tous les deux originaires du même village girondin : Saint-Ciers-sur-Gironde, 3 000 habitants.


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