Publié le 1er octobre 2023
CHRONIQUE
Innombrables sont les faits de société, notamment le traitement du harcèlement scolaire, à pouvoir être analysés à travers le prisme du défaut d’empathie, observe dans sa chronique Philippe Bernard, éditorialiste au « Monde ».
« Les autres ne pensent pas comme moi. » Autour de l’âge de 5 ans, un enfant prend conscience de cette réalité qui marque une étape décisive dans son intelligence du monde. Un acquis lourd de conséquences aussi bien pour la vie en société (amicale, amoureuse, scolaire, professionnelle) que pour les débats politiques. Elle commande la vision que nous avons des « gens qui ne sont pas comme nous ».
Boris Cyrulnik raconte de façon passionnante dans Quarante voleurs en carence affective. Bagarres animales et guerres humaines (Odile Jacob, 358 pages, 23,40 euros) comment se construit l’empathie, cette « aptitude à se décentrer de son propre monde pour se représenter le monde d’un autre », à se mettre à la place d’autrui, y compris pour ressentir sa souffrance. Cet apprentissage du « goût des autres » est fondamental car, écrit le neuropsychiatre, chacun « a besoin d’un autre monde mental pour mieux comprendre le sien ». Mais cela suppose des efforts, voire une éducation pour surmonter un obstacle universel : « Plus l’autre est loin de mon monde, moins je me représente ses souffrances. »
Innombrables sont les faits de société, depuis le traitement du harcèlement scolaire par l’éducation nationale, jusqu’à certaines réactions masculines à la vague #metoo, en passant par les relations entre les jeunes et la police ou les agressions racistes, à pouvoir être analysés à travers ce prisme. Le courrier comminatoire adressé par le rectorat de Versailles aux parents de Nicolas, le lycéen de 15 ans qui s’est suicidé début septembre, reflète un inquiétant fonctionnement bureaucratique, mais aussi une incapacité à « se mettre à la place » des usagers du service public de l’éducation et à dialoguer avec ceux qui, devant le silence de l’institution face à leur détresse, n’ont d’autre issue que de hausser le ton.
L’apprentissage peut s’étendre à l’infini
Dans un tout autre registre, le refus de Luis Rubiales, l’ancien président de la Fédération royale espagnole de football, de reconnaître son baiser forcé contre la joueuse Jenni Hermoso, traduit à la fois l’orgueil machiste d’un homme en situation de pouvoir, et son incapacité à se représenter le sens de son geste pour sa victime. On pourrait multiplier les exemples et dresser la liste des conséquences sociétales et politiques à tirer de notre difficulté à « se mettre dans la peau » des autres. A comprendre ce que signifie être soumis sans cesse à des contrôles de police ou à des allusions à ses origines lorsqu’on n’en subit jamais soi-même. A imaginer les situations insupportables que fuient les migrants et à comprendre pourquoi ils sont prêts à mettre en danger leur vie pour atteindre l’Europe, très loin de notre échelle des risques acceptables.
La bonne nouvelle est que l’empathie s’acquiert, se transmet et s’enseigne. L’identification au sort des autres dépend en permanence des expériences vécues, sur le mode « je sais ce que c’est ». Grâce au langage, l’apprentissage peut s’étendre à l’infini, pour le meilleur ou le pire, vers des représentations imaginaires d’autrui « ressenties en toute intimité ».
Boris Cyrulnik explique même que des malades atteints d’une maladie rare les rendant insensibles à la douleur peuvent acquérir une aptitude à l’empathie en écoutant le récit des épisodes douloureux de la vie des autres. Ainsi, souligne-t-il, « il est possible de faire une pédagogie de l’empathie grâce aux explications éducatives et aux œuvres d’art qui provoquent des émotions et suscitent des réflexions ».
Effet « décérébrant » des écrans
On perçoit l’immense rôle que joue déjà l’école en la matière, et les perspectives ouvertes par les « cours d’empathie » introduits par le ministre de l’éducation nationale, Gabriel Attal, sur le modèle danois. Pour former les élèves à participer à la vie démocratique, « nous devons leur apprendre à entrer dans une relation pacifiée avec les autres (…) pour accéder au bien commun », ce qui suppose la capacité de s’identifier au sort des autres, insiste, lui aussi, le pédagogue Philippe Meirieu.
Boris Cyrulnik explique même que des malades atteints d’une maladie rare les rendant insensibles à la douleur peuvent acquérir une aptitude à l’empathie en écoutant le récit des épisodes douloureux de la vie des autres. Ainsi, souligne-t-il, « il est possible de faire une pédagogie de l’empathie grâce aux explications éducatives et aux œuvres d’art qui provoquent des émotions et suscitent des réflexions ».
Effet « décérébrant » des écrans
On perçoit l’immense rôle que joue déjà l’école en la matière, et les perspectives ouvertes par les « cours d’empathie » introduits par le ministre de l’éducation nationale, Gabriel Attal, sur le modèle danois. Pour former les élèves à participer à la vie démocratique, « nous devons leur apprendre à entrer dans une relation pacifiée avec les autres (…) pour accéder au bien commun », ce qui suppose la capacité de s’identifier au sort des autres, insiste, lui aussi, le pédagogue Philippe Meirieu.
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