par Marlène Thomas publié le 14 septembre 2023
Cet article est issu de L, la newsletter féminisme et sexualités de Libé publiée le samedi. Pour recevoir L, inscrivez-vous ici ! Et rejoignez le groupe WhatsApp L en cliquant là.
Les hommes gardent la main sur l’identité des femmes. Dans les couples hétérosexuels américains, près de 8 femmes sur 10 déclarent avoir pris le nom de famille de leur mari à l’issue de leur mariage. Si comme en France cette union civile et /ou religieuse perd peu à peu du terrain au profit du concubinage, cette nouvelle enquête du Pew Research Center auprès de 3 500 personnes mariées et non mariées fait état d’un étonnant statu quo. Parmi les femmes interrogées, 14 % seulement avaient conservé leur nom de naissance tandis que 5 % ont choisi d’associer leurs deux noms. Assez logiquement, les données s’inversent pour les hommes : 92 % conservent leur nom de famille, 5 % l’ont troqué pour celui de leur conjointe et moins de 1 % a opté pour l’option double nom. Il est donc toujours de coutume pour les femmes de passer du nom du père au nom du mari.
La probabilité pour les femmes de s’opposer à cette norme évolue en fonction de certains critères sociodémographiques. A commencer par l’âge – 20 % des 18-49 ans ont gardé leur patronyme contre 9 % des plus de 50 ans – mais aussi le niveau d’études : 26 % de celles ayant décroché un doctorat conservent leur identité, contre 13 % de celles s’étant arrêté à la licence et 11 % des femmes ayant un niveau d’études inférieures. Chez les femmes hispaniques, 30 % choisissent en revanche de garder leur nom contre 10 % des femmes blanches et 9 % des femmes noires, précise cette étude repérée par CNN. Un marqueur des différences culturelles fortes sur ce sujet puisque dans la plupart des pays hispanophones, il est de coutume de porter le nom de famille de son père et de sa mère. Les réponses des couples de même sexe ainsi que des personnes jamais mariées n’étaient, elles, pas suffisantes pour être analysées séparément.
Tradition patriarcale tenace
En France, les femmes mariées conservent obligatoirement leur nom de naissance en vertu d’une loi datant de 1794. Malgré tout, une tradition patriarcale tenace, longtemps perçue comme une obligation, veut que lors de cette union elles prennent le patronyme de leur époux en nom d’usage, s’effaçant ainsi aux yeux de la société et des administrations. S’il est possible de ressentir une augmentation de l’usage du double nom dans la société française, elle n’est pour l’heure pas quantifiée. Les dernières données disponibles remontent à 1995. L’étude de la sociologue Marie-France Valetas pour l’Ined montrait alors que «les femmes adoptent le nom de leur époux dans leur immense majorité» (91 %) contre seulement 7 % qui unissaient les deux noms et 2 % qui gardaient leur nom de naissance. Une «nette volonté de changement»apparaissait toutefois dans les résultats. Interrogés sur ce qu’il serait préférable pour les femmes, 40 % se prononçaient pour le double nom contre 49 % pour le nom du mari.
Ces données sur «la subordination patronymique» des femmes, comme le nommait en 2002 la sociologue, sont à mettre en regard avec des évolutions législatives fortes ayant permis en 2002 dans le cadre d’un couple marié de transmettre le nom de la mère (ou les deux) aux enfants. En 1995, prendre le nom de son mari était la seule manière pour les femmes mariées d’avoir la même identité que leurs enfants, ce qui reste encore aujourd’hui un argument couramment avancé. Cette évolution majeure n’avait toutefois pas mené à un bousculement radical des pratiques. Selon l’Insee, sur les 753 383 bébés nés en 2019, 81,4 % portent le nom du père, 6,6 % celui de la mère et 11,7 % un double nom.
Signe d’une évolution des mentalités
Cette réappropriation du nom des femmes a été renforcée par la loi du 1er juillet 2021 permettant à toute personne majeure de changer son nom de famille, une fois dans sa vie, par simple déclaration à la mairie. Il peut s’agir de remplacer le nom du père par celui de sa mère (et vice-versa) ou d’accoler les deux. Un deuxième volet permet à l’un des parents d’adjoindre son nom à titre d’usage à son enfant mineur, dont le consentement est réclamé dès 13 ans, en informant le deuxième parent, mais sans avoir besoin de son accord. En six mois, plus de 40 000 dossiers ont été déposés, signe d’une évolution des mentalités. Dans une société où les nouvelles façons de faire famille sont légion, où les rapports femmes hommes sont bousculés, il serait temps de réétudier en France ce choix d’identité très symbolique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire