par Jonathan Bouchet-Petersen publié le 20 septembre 2023
On ne peut que se réjouir d’entendre un ministre de l’Education nationale exhorter son administration, et en premier lieu les recteurs qu’il avait réunis lundi 18 septembre, à «un électrochoc à tous les niveaux» sur la question du harcèlement scolaire. Le défi est d’ampleur alors que plusieurs cas nous ont rappelés, ces derniers temps, que les progrès à accomplir sont immenses en matière de capacité d’écoute et de traitement de cette problématique, source de tant de souffrances et de drames. Le décalage qui continue d’exister entre les proclamations faisant des violences sexuelles et sexistes une «grande cause» du premier quinquennat et les progrès concrètement réalisés démontrent que, sur ce genre de sujets, les mots, s’ils sont utiles, sont loin d’être suffisants.
Pap Ndiaye avait déjà fait de la lutte contre le harcèlement scolaire une priorité de la rentrée de 2022 et un certain nombre de mesures – dont le fait qu’il est désormais possible dans le premier degré, comme c’était déjà le cas dans le second via un conseil de discipline, de faire changer d’établissement un harceleur sans l’accord de ses parents – ont été reprises et annoncées par son successeur, Gabriel Attal qui, on le sait, avait toutefois choisi l’interdiction du port d’une abaya par les élèves comme croisade de rentrée. Sans dire que ce dernier sujet, qui concerne quelques centaines de cas, n’a aucun intérêt, soulignons tout de même que le harcèlement scolaire touche, lui, au moins 800 000 élèves sur un total de 12 millions.
Ton comminatoire
Une affaire a particulièrement heurté et ému l’opinion. Le suicide de Nicolas, lycéen de Poissy (Yvelines), le 5 septembre, dans un contexte où ses parents, qui ont remué ciel et terre pour tirer la sonnette d’alarme avant qu’il ne soit trop tard, avaient reçu une indigne lettre au ton comminatoire et même menaçant de la part du rectorat de Versailles. Un courrier qui a légitimement suscité des réactions outrées quand il a été rendu public. Matignon l’a trouvé «choquant», une «honte» selon le ministre de l’Education nationale, qui a illico convoqué ses recteurs. Mais la rectrice en charge à l’époque, Charline Avenel, n’a pu entendre le sermon d’Attal car cette camarade de promo d’Emmanuel Macron à l’ENA a rejoint cet été la direction générale de Ionis, un groupe d’enseignement supérieur privé lucratif. Cette ancienne conseillère de Valérie Pécresse a légitimement été accusée de pantouflage, avec l’ombre d’un possible conflit d’intérêts. De sa part, on attend a minima des excuses auprès de la famille de Nicolas, ce qui a priori n’a pas été le cas, et même une prise de parole publique, pour reconnaître que les fonctionnaires dont elle avait la charge ont lourdement fauté en s’adressant ainsi à eux. Brigitte Macron s’est, elle, rendue auprès des parents.
Selon les témoignages parus dans la presse, la direction du lycée dans lequel l’ado était scolarisé avant de changer d’établissement pour la rentrée 2023 ne semble pas davantage avoir été à la hauteur, laissant les parents et surtout Nicolas bien seuls. Il y a là un enjeu de formation des personnels enseignants comme administratifs – un processus qui s’est accéléré avec le lancement il y a deux du programme pHARe, qui a déjà connu des ratés – et la nécessité de la présence d’un plus grand nombre d’adultes à l’écoute en milieu scolaire, ce qui n’est pas à l’ordre du jour.
«Protéger nos élèves»
Un big-bang s’impose et il ne se fera pas du jour au lendemain. D’autant que le courrier du rectorat n’est pas un acte isolé. Selon l’association La Voix de l’enfant qui affirme avoir reçu à plusieurs reprises des lettres équivalentes, il serait la réponse presque habituelle de l’administration quand des parents haussent le ton en mettant en cause l’établissement et ses équipes auxquels ils confient leur enfant. Un audit sur la gestion des cas de harcèlemententre septembre 2022 et 2023 est lancé dans chaque académie. Les conclusions sont attendues pour la mi-octobre. D’ores et déjà, le ministre a prévenu ses recteurs : «Mon rôle, votre rôle, n’est pas de protéger une institution à tout prix, mais de protéger à tout prix nos élèves, nos enfants.»
On sait aussi que le harcèlement scolaire ne s’arrête pas avec la sonnerie de fin des cours. Les boucles WhatsApp et les réseaux sociaux créent un continuum qui fait office d’amplificateur et ne laissent aucun répit à la cible. Enfin, si la priorité doit bien sûr être la prise en charge et la mise en sécurité des harcelés, il faut aussi traiter le plus amont possible les dynamiques qui conduisent des élèves à faire de certains de leurs camarades des souffre-douleurs cibles de violences physiques ou psychologiques. De nombreux acteurs associatifs, dont certains sont d’anciens élèves harcelés, soulignent combien les harceleurs sont souvent des enfants ou des ados issus de contextes familiaux où la violence est présente. Autrement dit qu’au-delà de la sanction qui doit les punir, il y a urgence à faire massivement de la prévention dès le plus jeune âge, en assumant, quand cela est le cas, de les considérer aussi comme des personnes en souffrance.
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