Par Pierre Barthélémy Publié le 15 septembre 2023
La 33ᵉ cérémonie de remise des Ig Nobel a, cette année encore, récompensé la recherche qui apporte des réponses sérieuses aux questions les plus saugrenues.
Si le début de cette phrase se transforme facilement à vos yeux en « esarhp ettec ed tubéd el iS », c’est-à-dire si vous êtes capable de lire un texte à l’envers, vous auriez pu être le cobaye idéal pour l’étude qui a, dans la catégorie communication, été primée lors de la 33e cérémonie des Ig Nobel, jeudi 14 septembre. Aux égarés qui n’auraient pas suivi les trente-deux éditions précédentes, rappelons que l’Ig Nobel (jeu de mots avec l’adjectif « ignoble ») constitue la récompense suprême dans ce domaine souvent drôle et rafraîchissant que l’on nomme la « science improbable ». Celle qui montre que la méthode scientifique a une réponse sérieuse aux questions saugrenues – ou que porter une blouse blanche n’empêche pas d’avoir un solide sens de l’humour.
D’ordinaire, la remise des prix a lieu au théâtre Sanders de l’université Harvard (Cambridge, Massachusetts), mais, depuis 2020 et la pandémie de Covid-19, elle se déroule en visioconférence. La rigolade y perd ce que la santé des spectateurs y gagne… Une tradition est néanmoins maintenue : les lauréats reçoivent un billet de 10 000 milliards d’anciens dollars zimbabwéens, coupure qui, malgré son astronomique nombre de zéros, n’a plus aucune valeur en raison de l’hyperinflation qu’a connue cette monnaie.
Chaque année, dix Ig Nobel sont distribués dans dix catégories différentes qui fluctuent au gré des humeurs du jury conduit par l’Américain Marc Abrahams, maître d’œuvre de cette grand-messe bon enfant. Ainsi, le cru 2023 ne comporte-t-il pas d’Ig Nobel de la paix, mais on en trouve un pour la littérature, où l’on distingue des chercheurs ayant étudié les sensations éprouvées lorsque l’on écrit un mot un très grand grand grand grand grand nombre de fois. L’expérience provoquerait chez certains un sentiment de jamais-vu (le contraire du sentiment de déjà-vu), et l’auteur de ces lignes confirme qu’on n’a jamais vu, dans les colonnes du Monde, le mot « grand » écrit cinq fois de suite.
Dans la catégorie chimie et géologie est récompensé un essai expliquant pourquoi les géologues ont pour habitude, sur le terrain, de lécher – voire de goûter – les cailloux qu’ils ramassent ou extraient. Puisqu’on est dans les papilles, signalons aussi l’étude couronnée en nutrition : deux chercheurs japonais se sont demandé si l’on pouvait augmenter les sensations gustatives en mangeant avec des baguettes – et en buvant avec des pailles – traversées par un courant électrique. Une façon originale d’ajouter du jus aux plats…
Des cadavres pour compter les poils
Les expériences sur le corps constituent un classique de cette cérémonie potache. L’Ig Nobel de médecine va à une étude ayant utilisé des cadavres humains pour compter le nombre de poils présents dans les narines humaines. Dans la catégorie santé publique triomphent plusieurs travaux dirigés par le Sud-Coréen Park Seung-min, qui a mis au point des toilettes où sont analysées toutes les excrétions humaines, afin de surveiller la santé de ceux qui les produisent.
Ajoutons que l’Ig Nobel d’ingénierie mécanique récompense les inventeurs de la « nécrobotique », qui fabriquent des pièces de robot en y intégrant des morceaux d’animaux morts, en l’occurrence des pattes d’araignée, fort efficaces comme pinces. Que, dans la catégorie éducation, les lauréats, en étudiant l’impact qu’a l’ennui des professeurs sur celui de leurs étudiants, ont sans doute voulu vérifier la phrase de Balzac : « L’ennui naquit un jour de l’Université. » Et que, en psychologie, a été exhumé un article hilarant de 1969 où, dans une rue de New York, on comptait le nombre de passants qui s’arrêtaient et levaient le nez en l’air en voyant une ou plusieurs personnes (complices des chercheurs) fixer le haut d’un immeuble.
Arrivons à l’ultime catégorie, l’Ig Nobel de physique. L’emporte une étude internationale qui s’est intéressée au rôle des habitants des mers dans le mélange des eaux, phénomène important pour la circulation océanique. Ses auteurs ont mesuré que la turbulence était localement multipliée d’un facteur allant de dix à cent au moment où les anchois se regroupaient pour frayer. D’où l’inévitable question que ne manqueront pas de se poser d’autres spécialistes de la science improbable : l’activité sexuelle constitue-t-elle une source exploitable d’énergie renouvelable ?
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