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vendredi 17 mars 2023

Interview «Le chemsex est une problématique complexe qui ne souffre pas les raccourcis»

par Adrien Naselli   publié le 17 mars 2023

Loin des débats sur l’affaire Palmade, le docteur Alexandre Aslan plaide pour une meilleure connaissance de la pratique afin d’améliorer la prise en charge des phénomènes d’addictions qui en découlent.

La propagation du chemsex – contraction des mots anglais chemical et sex  depuis une dizaine d’années a conduit des soignants à s’organiser pour proposer des parcours de soins dédiés. C’est le cas d’Alexandre Aslan, médecin sexologue à l’hôpital Saint-Louis (Paris) et psychothérapeute qui reçoit dans son cabinet des personnes qui associent sexe et drogues de synthèse. Lui et ses collègues partagent leurs initiatives avec d’autres centres de santé pour permettre d’accroître l’offre sur le plan national.

Comment définiriez-vous scientifiquement le chemsex ?

Il faut rappeler que le chemsex appartient à la famille des «usages sexualisés de substances». La consommation sexualisée, c’est la prise intentionnelle de substances psychoactives avant ou pendant des activités sexuelles dans le but d’en prolonger la durée, de diversifier ses pratiques ou encore de maximiser ses performances. Cela commence par celles et ceux qui ne peuvent pas avoir de relation sexuelle sans avoir ingéré une certaine quantité d’alcool ou d’autres produits. On retrouve dans cet usage une grande variété de populations et des orientations sexuelles diverses. Cela nous pose collectivement la question des attentes autour de la sexualité, dans un monde où souvent l’éducation sexuelle peut être influencée très tôt par l’exposition à des scripts pornographiques.

Quelle est donc la particularité du chemsex ?

Il conjugue l’utilisation de substances très spécifiques (GHB, GBL, cathinones, crystal meth, éventuellement associées à la cocaïne et à la kétamine) à l’utilisation d’applications de rencontre géolocalisées sur des smartphones pour un passage à l’acte immédiat. Toutes ces substances, y compris les images produites par les smartphones, stimulent dans le cerveau des circuits dopaminergiques – importants dans l’addiction. Ce phénomène touche particulièrement la population homosexuelle masculine.

Peut-on dire que le chemsex est un enjeu de santé publique ?

Oui, car quand on regarde les études épidémiologiques depuis 2010, on constate une accélération parmi les populations concernées, au premier rang desquelles se trouve la catégorie des HSH [hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, ndlr].On est passé de 6 % des populations concernées touchées par le chemsex à une prévalence qui se rapproche de 50 %, selon comment sont réalisées les études : dans des cliniques de prévention des infections sexuellement transmissibles et de santé sexuelle, chez des utilisateurs de PrEP [un traitement de prévention pour éviter l’infection par le VIH], etc. Si le phénomène explose, il faut souligner que la grande majorité des patients cherche une aide, à suivre un parcours de soins. Ils sont très actifs dans cette mobilisation-là et sont soutenus par les associations communautaires.

Spécialistes et associations alertent sur le chemsex depuis une dizaine d’années. Quelles ont été les étapes de cette prise en charge progressive ?

On la doit souvent à la mobilisation des soignants dans les centres et services concernés, grâce à la création de réseaux transverses. A l’hôpital Saint-Louis [Xe arrondissement de Paris], nous avons travaillé avec les pionniers de la Dean Street Clinic, à Londres, qui soulignaient que les patients adhéraient mieux aux soins quand ceux-ci étaient proposés dans un lieu où ils sont déjà suivis pour leur santé sexuelle. Il y a de nombreux professionnels impliqués autour du chemsex. Si on aborde le problème par l’angle des produits, c’est l’addictologue ; par l’angle de la sexualité, c’est le sexologue ; si enfin c’est par l’angle de la complexité psychique de la personne, c’est le psychothérapeute. La connaissance et l’éducation autour d’un phénomène nouveau sont toujours difficiles à assimiler par le système, mais nous avons réussi à rassembler ces disciplines. Dans notre hôpital, plusieurs centaines de personnes n’ayant jamais consulté à ce sujet ont été intégrées à ce parcours de soins durant les quatre dernières années.

L’exposition médiatique récente du chemsex pourrait-elle permettre d’accélérer la prise en charge ?

Le chemsex a eu un tel développement qu’il a fait l’objet d’un rapport commandé par le ministre de la Santé en 2022. Il y a un décalage entre la connaissance de ce phénomène par les spécialistes qui s’y consacrent depuis bientôt dix ans et une partie du public qui vient seulement de découvrir le sujet. C’est une problématique complexe qui ne souffre pas les raccourcis et la simplification à outrance.

La littérature scientifique identifie l’homophobie comme une cause manifeste de ces addictions. Pourquoi ?

Il y a un lien décrit entre les messages que la société véhicule, même implicitement, et l’intériorisation négative qui peut en être faite par les personnes concernées. Dans leur développement psychosexuel, les personnes homosexuelles peuvent ne pas bénéficier des informations nécessaires pour se repérer dans leurs propres questionnements. Pendant la période cruciale où ils vont se poser tant de questions sexuelles et affectives, Internet va être un lieu majeur d’information, qui peut les confronter trop directement à un rapport performatif dans la sexualité. Par la suite, les produits rencontrés peuvent conduire ou maintenir dans cette dimension de «performance». Mais très souvent, les patients cherchent à retrouver leur rapport à leurs émotions et à leurs désirs dans des relations pleinement consenties, où le produit peut alors céder la place.


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