Par Minh Dréan Publié le16 mars 2023
Le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge a alerté, lundi, sur l’augmentation des prescriptions aux enfants et aux adolescents d’antidépresseurs et d’antipsychotiques notamment. Plusieurs pédopsychiatres s’offusquent d’une « diabolisation » des médicaments.
« Des dizaines de milliers d’enfants sous psychotropes », voilà l’un des points soulevés par un rapport du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) – un organisme consultatif auprès du premier ministre. Intitulé « Quand les enfants vont mal, comment les aider », le rapport, paru lundi 13 mars, alertait sur la hausse de la consommation de psychotropes (médicaments utilisés pour soigner les troubles psychiques) chez les enfants et les adolescents. Un document qui a soulevé de nombreuses critiques de pédopsychiatres.
Selon le HCFEA, le besoin de soins augmente mais l’offre thérapeutique diminue, ce qui « favoriserait, par défaut, le soin par le médicament aux dépens des pyschothérapies ». Entre 2014 et 2021, la consommation de psychotropes chez les 6-17 ans aurait augmenté de 48,5 % pour les antipsychotiques, 62,6 % pour les antidépresseurs, 78 % pour les psychostimulants, 155,5 % pour les hypnotiques et sédatifs, selon le rapport, qui se base sur les données concernant la prescription.
OIivier Bonnot, pédopsychiatre au CHU de Nantes et secrétaire général du Collège national des universitaires de psychiatrie, dénonce un rapport « alarmiste », ainsi qu’une « diabolisation des médicaments et une stigmatisation pour les jeunes qui en prennent ».
Sylviane Giampino, psychologue et présidente du conseil de l’enfance et de l’adolescence du HCFEA, assure, elle, que le rapport n’était pas à charge mais s’interrogeait sur « le déséquilibre entre les différents types d’aides ». « La consommation augmenterait donc deux fois plus vite chez l’enfant que chez l’adulte », souligne Mme Giampino, qui s’inquiète d’une prise de psychotropes « qui pourrait toucher 5 % de la population pédiatrique ». Une « donnée hypothétique » à mettre en perspective, « la prévalence des troubles mentaux chez les enfants étant autour de 20 % », nuance Diane Purper-Ouakil, pédopsychiatre au CHU de Montpellier.
Manque criant de moyens
En réalité, plusieurs facteurs concourent à cette hausse. « La souffrance psychologique et psychiatrique des jeunes augmente, donc, par un effet mécanique, les prescriptions aussi », explique Olivier Bonnot. En même temps, ce n’est que depuis une quinzaine d’années que les psychotropes sont prescrits aux enfants. « Forcément, lorsque l’on part de très peu et quand on se met à en prescrire un peu plus, les chiffres explosent », tempère le pédopsychiatre. « Les études montrant l’efficacité de certains médicaments sur les symptômes se sont aussi multipliées », tranche Diane Purper-Ouakil. C’est le cas notamment du méthylphénidate, médicament utilisé dans le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), expose-t-elle. « Pour d’autres médicaments, les données scientifiques disponibles sont au contraire insuffisantes pour justifier une large prescription », ajoute-t-elle.
Autre point soulevé par le rapport : 40 % des prescriptions de psychotropes en pratique de ville et jusqu’à 94 % à l’hôpital se feraient « hors autorisation de mise sur le marché (AMM) » – ces médicaments étant développés au départ pour l’adulte. Pour Diane Purper-Ouakil, une prescription hors AMM ne signifie pas pour autant une mauvaise prescription. « Se baser sur des études scientifiques est aussi possible », explique-t-elle.
Pour Julie Rolling, pédopsychiatre au CHU de Strasbourg, « les médicaments font partie intégrante de l’arsenal thérapeutique mais ne doivent pas se substituer à une prise en charge globale du patient ». La difficulté réside dans cet accompagnement : les spécialistes tirent la sonnette d’alarme sur un manque criant de moyens. En France, 597 pédopsychiatres sont recensés – entre 2010 et 2021, ce sont 420 professionnels qui sont partis à la retraite sans être remplacés –, des effectifs bien en deçà des besoins.
Il existe une forte incidence des facteurs sociaux dans l’apparition des troubles mentaux et dans la prescription médicamenteuse, pointe encore le rapport, qui estime que « les enfants de milieux défavorisés présenteraient des risques accrus de surmédication ». Julie Rolling note surtout que la pauvreté diminue les chances d’accès aux soins.
Ce qu’il faut retenir de ce rapport, mentionnent finalement les spécialistes, c’est la détérioration de la santé mentale des jeunes et le manque de moyens pour y répondre.
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