Par Solène Cordier Publié le 18 mars 2023
L’autoconservation ovocytaire est autorisée hors raison médicale depuis le 1er janvier 2022 par la loi de bioéthique pour celles qui ne souhaitent pas avoir d’enfant tout de suite. Un parcours médical ralenti par manque de centres agréés en France. D’ici à l’été, cinq établissements supplémentaires vont recevoir une autorisation.
A chaque rendez-vous, la docteure Mathilde Bourdon se saisit d’une feuille de papier blanche et commence à dessiner. Trompes, vagin, utérus… « Vous voyez, là ce sont les ovaires, là les follicules. La stimulation ovarienne va permettre de favoriser leur développement pour qu’on puisse recueillir un maximum d’ovocytes lors de la ponction… », explique la gynécologue, en illustrant chaque fois ses propos. Ce vendredi de mars, au service de médecine de la reproduction de l’hôpital Cochin Port-Royal (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris), Flora D. – les patientes ont requis l’anonymat –, assise de l’autre côté du bureau, regarde et écoute avec attention.
C’est le premier rendez-vous de la jeune femme de 33 ans en vue d’une autoconservation ovocytaire. Cette technique de congélation et de conservation des gamètes féminins est autorisée hors raisons médicales depuis l’adoption de la dernière loi de bioéthique. La disposition, entrée en vigueur le 1er janvier 2022, est ouverte aux femmes de 29 à 37 ans. Signe de la forte demande sociétale, 11 500 femmes ont sollicité un premier rendez-vous dans ce cadre en 2022, selon le dernier bilan de l’Agence de biomédecine (ABM). Sur l’ensemble, près de 4 800 premières consultations ont été réalisées et 1 778 femmes ont eu une première ponction, précise l’ABM.
« Depuis la loi de bioéthique, nous sommes face à un changement complet de paradigme avec, désormais pour les femmes, la possibilité de faire une autoconservation à titre non médical, qui plus est remboursée par la Sécurité sociale », ce qui n’est pas le cas dans les autres pays proposant cette démarche, souligne le professeur Pietro Santulli, responsable de l’unité médecine de la reproduction de l’hôpital Cochin Port-Royal. En 2022, dans son service, l’un des plus sollicités, 1 700 ponctions ont été réalisées, dont 500 à titre sociétal – les autres sont faites au titre de la préservation de la fertilité, avant des traitements anticancéreux par exemple, ou lors de dons d’ovocytes.
« Ça m’apporte une sécurité »
Au cours de sa consultation, la docteure Bourdon explique à ses patientes les différentes étapes du parcours : les rendez-vous à venir avec une sage-femme puis avec un biologiste, la stimulation ovarienne pendant dix à quinze jours suivie d’une première ponction, éventuellement une ou deux autres pour recueillir le maximum d’ovocytes et ainsi multiplier les chances de grossesse en cas de réutilisation.
« Ce sera une anesthésie locale ou générale ? », interroge Flora D. « Les deux sont possibles », lui répond la médecin, qui insiste sur « ses grandes chances d’avoir une grossesse naturelle » à l’avenir, et la met par ailleurs en garde : l’autoconservation ovocytaire « n’offre pas de garantie de grossesse ». A titre d’exemple, en Espagne par exemple, où la préservation de la fertilité à titre sociétal existe depuis plusieurs années, le taux de réutilisation des gamètes ne dépasse pas 13 %. « Si on récupère une dizaine d’ovocytes chez une femme de moins de 36 ans, ça donnera entre 40 % et 60 % de chances d’avoir une naissance en les utilisant », précise la docteure Bourdon.
Pour Flora D., l’enjeu, pour l’instant, est ailleurs. Il s’agit de « pouvoir souffler », « se donner un peu de temps ». « Ça fait un moment que j’y pense, confie la trentenaire. Quand je vivais dans le Sud, ma gynéco m’avait un peu stressée en me disant que j’avais une réserve ovarienne faible, je m’étais renseignée pour aller le faire en Espagne. » Depuis, la jeune femme a déménagé à Paris, la loi est passée et lui a permis d’entamer les démarches en France. « Vu la vie que je mène, je n’envisage pas de fonder une famille avant quelques années, et faire ça m’apporte une sécurité », reconnaît l’assistante de direction « séparée il y a très peu de temps ».
Avoir des ovocytes congelés et conservés quelque part lui permettra peut-être de « moins stresser » en entendant sa mère lui répéter que le temps passe et qu’il « faudrait penser à faire un enfant ». Surtout, elle est convaincue que cela « enlèvera une pression » dans ses prochaines relations de couple. « A mon âge, quand on n’a pas d’enfant et qu’on rencontre quelqu’un, on a tendance à chercher le père de son enfant », regrette-t-elle.
Un an avant le premier rendez-vous
Armelle K., qui lui succède dans le petit bureau de la docteure Bourdon, acquiesce. A 34 ans, cette chercheuse en sciences sociales, actuellement célibataire, espère que cette possibilité « joue positivement » dans ses amours futures. « Cela permet que cette pression liée à la maternité repose sur moi et pas sur mon couple, explique-t-elle, que ce soit moi et ma gestion de mon désir d’enfant. »
Selon une étude menée auprès de 150 femmes ayant eu recours à l’autoconservation ovocytaire à titre sociétal en 2022 par la gynécologue obstétricienne Jeanine Ohl, sous l’égide du Groupe d’études pour le don d’ovocytes, 69 % des patientes, âgées en moyenne de 35 ans, n’étaient pas en couple. A la question « Sentez-vous une pression sociale pour avoir un enfant ? », 73 % d’entre elles ont répondu oui.
Dans le même temps, quand elle a interrogé sa gynécologue sur la possibilité de faire prélever et congeler ses ovocytes, Armelle K. s’est vu opposer « des réponses très déplacées », de l’ordre de « l’obstruction ». « Elle m’a dit que c’était contre-nature et que ça donnait des bébés qui allaient très mal, avec des taux de cancers plus élevés », se souvient-elle, encore éberluée. Elle ignorait donc tout, jusqu’à présent, des étapes du parcours. Sans se faire trop d’illusions compte tenu « de l’état de l’hôpital public », elle a découvert sur le tas qu’il lui faudrait compter un an avant d’obtenir ce premier rendez-vous, et dix-huit mois environ avant sa première ponction.
L’Ile-de-France submergée
Un an après l’entrée en vigueur de ce nouveau droit, les délais de prise en charge des femmes sont en effet très longs, au point de laisser sur le bord de la route celles proches de la limite d’âge de 37 ans. Au niveau national, il faut compter en moyenne sept mois entre le premier rendez-vous et la première ponction, selon l’ABM, mais cela grimpe à vingt-quatre mois en Ile-de-France, où se concentrent près de la moitié des demandes.
« Nous sommes submergés », s’indigne la gynécologue Joëlle Belaisch Allart, présidente du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, qui exerce au centre hospitalier des 4 Villes à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine). Elle met en cause l’insuffisance du nombre de centres – une quarantaine seulement, dont sept en Ile-de-France – autorisés à effectuer des préservations de la fertilité à titre sociétal.
« Les centres agréés sont ceux qui font la préservation pour raison médicale, ils étaient déjà submergés et ce sont des préservations qui ne peuvent pas être différées », dénonce-t-elle. La docteure Bourdon confirme : « Quand une femme de 36 ans nous appelle, on lui donne la liste des autres centres, parce qu’on sait qu’on ne sera pas en mesure de la prendre en charge dans les temps. »
Contactée, l’agence régionale de santé d’Ile-de-France se dit « pleinement consciente de l’afflux des demandes depuis la promulgation de la loi, et annonce que cinq centres supplémentaires vont être autorisés » d’ici à l’été. Pour Flora D. et Armelle K., après cette première étape, le prochain rendez-vous est prévu en juin.
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