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mardi 14 mars 2023

« A 23 ans, je savais que je voulais une IVG : j’ai eu zéro seconde d’hésitation »

Par   Publié le 12 mars 2023

« Premières fois » : récits de moments charnières autour du passage à l’âge adulte. Cette semaine, Clémentine (le prénom a été modifié), 25 ans, étudiante en architecture, raconte comment elle a vécu son avortement.

La première fois que j’ai compris que j’étais enceinte, j’avais déjà plusieurs semaines de retard de règles. On était au tout début de l’année 2021, j’avais 23 ans, le Covid était encore bien présent : le père d’un de mes amis très proche venait d’être admis en réanimation alors que ma grand-mère, très âgée, refusait de se faire vacciner. Ce sujet m’angoissait énormément, j’étais vraiment stressée, je pleurais tout le temps… Je me suis dit que mon retard de règles devait être lié à mes émotions. Je ne me suis pas inquiétée tout de suite.

Au bout d’un moment, j’ai commencé à trouver ça bizarre. Je reculais le moment de faire un test de grossesse en me disant que mes règles allaient finir par arriver… Mais elles n’arrivaient pas. J’ai vraiment traversé une petite période de déni. Et puis j’ai fait un premier test urinaire : positif. Un deuxième, au cas où le premier n’aurait pas été fiable : positif. Là, je me suis dit : « Ouh là, je ne peux pas rester comme ça. »

Mon premier réflexe a été d’appeler la médecin qui me suit depuis longtemps à l’espace santé de l’université de Bordeaux. C’est elle qui a posé mon stérilet en cuivre il y a quelques années. Malheureusement, elle n’était pas disponible, alors on m’a mise en relation avec une infirmière. Au début, je ne voulais pas trop en parler avec elle mais j’ai fini par lui expliquer la situation. Elle m’a conseillé d’aller faire un test sanguin pour être sûre à 100 % : positif, encore. Deux jours après, j’avais un rendez-vous en urgence avec ma médecin.

Sûre de mon choix

Je savais déjà que je voulais une interruption volontaire de grossesse (IVG), ça a été une évidence tout de suite, j’ai eu zéro seconde d’hésitation. A ce moment-là, j’étais encore en stage et pas diplômée. Pareil pour mon copain, avec qui je suis en couple depuis le lycée. On était tous les deux embarqués dans des études longues, convaincus que ce n’était pas du tout le moment. Comme tout le monde, on avait déjà évoqué l’idée d’avoir des enfants : on savait qu’on en voulait, mais plus tard.

La pratique de l’avortement étant réglementée, il faut deux consultations au préalable pour respecter un temps de réflexion. Moi, j’étais tellement sûre de mon choix qu’on a tout de suite discuté avec ma médecin de la façon dont on allait procéder : j’avais accès à la solution médicamenteuse, le délai [jusqu’à sept semaines de grossesse] n’étant pas dépassé. Elle m’a orientée vers une gynécologue qui, contrairement à elle, était habilitée à me prescrire les médicaments. Entre-temps, j’ai eu un deuxième rendez-vous avec elle pour qu’elle me retire mon stérilet.

Je dois faire partie des 0,02 % de femmes qui tombent enceintes alors qu’elles ont un stérilet bien en place ! J’ai commencé à prendre la pilule vers 16, 17 ans, mais j’ai arrêté à 20 ans parce que j’ai eu trop souvent des oublis qui m’ont inquiétée. Ma pilule était adaptée mais je n’arrivais pas à être régulière. J’ai donc fini par changer ma contraception pour un stérilet en cuivre et je n’ai jamais regretté mon choix, malgré ce qui s’est passé.

Je me suis surprise moi-même : je pensais que cette histoire allait être un énorme traumatisme, et pas du tout. Je ne l’ai pas vécue comme une catastrophe, je n’ai jamais pleuré, je ne me suis jamais écroulée. J’ai pris la chose de manière hyperpragmatique : il fallait que ça se termine le plus vite possible, donc j’ai enchaîné les rendez-vous.

J’ai eu la chance d’être super bien accompagnée. L’autre gynéco, très bienveillante aussi, m’a fait une échographie obligatoire : j’ai demandé à ne pas voir les images et elle a respecté ça. Je crois d’ailleurs qu’elle n’avait pas l’intention de me les montrer. Elle ne m’a jamais plainte et c’était bien de ne pas diaboliser la chose ni d’en faire un truc grave : oui ça arrive, et oui il y a des solutions.

Une douleur terrible

La première prise de médicaments s’est faite avec la gynéco, dans son cabinet. J’ai pu retourner à mon stage juste après : je n’avais pas envie de rester seule à réfléchir à tout ça. Le deuxième comprimé, je l’ai pris chez moi deux jours après, un samedi, accompagnée de mon copain qui était resté pour le week-end à Bordeaux – lui a fait ses études à Toulouse. La gynéco m’avait conseillée d’être avec une personne qui a son permis de conduire pour être en mesure d’aller aux urgences en cas d’hémorragie…

Cette deuxième prise a été beaucoup plus compliquée, j’avoue que je ne m’attendais pas à ça. J’ai pu garder le comprimé dans ma bouche une petite demi-heure (je devais le laisser fondre contre mes joues) mais ensuite j’ai tout vomi. Je n’ai jamais eu aussi mal au ventre de toute ma vie : c’était une douleur terrible. Je pense d’ailleurs que c’est la douleur qui m’a fait vomir. Mon copain m’a vue devenir livide.

J’ai eu très peur, en vomissant, que le médicament ne fasse pas effet. Tout se passe en trente minutes : ensuite, plus rien. Les saignements – très importants – sont apparus peut-être trois jours après, pendant mon stage, et ça a duré plusieurs jours. Là, j’ai su enfin que ça avait fonctionné et que le plus dur était derrière moi.

Dans mon entreprise, je n’ai rien dit à mes collègues. Je venais d’arriver, je ne les connaissais pas bien et n’avais aucune envie d’en parler. J’ai quand même été obligée de discuter avec mon directeur, étant forcée de m’absenter pour tous ces rendez-vous médicaux. Je lui ai dit : « J’ai un souci de santé que je suis en train de résoudre, je rattraperai mes heures. »Ça a été très difficile pour moi de demander ça. Si j’avais été en cours à ce moment-là, ç’aurait été plus simple de sécher ou de faire un mot d’absence.

Jardin secret

Sur le coup, mon copain était le seul au courant. Quand tout s’est terminé, j’en ai parlé à mes trois meilleures amies d’enfance. Encore aujourd’hui, personne d’autre ne sait. Si des amis venaient à mettre le sujet sur la table, je n’aurais pas de problème à leur raconter cette histoire. Mais dans ma famille je n’ai rien dit, on ne parle jamais de sexualité. Mes parents sont assez pudiques.

D’ailleurs, ma mère avait vu d’énormes remboursements sur mon compte venant de la sécurité sociale (une IVG coûte très cher, même si je n’ai rien payé) : elle m’avait alors appelée, inquiète, pour savoir si j’avais un problème. J’avais préféré broder un truc en disant que j’avais eu un souci avec mon stérilet et que tout allait bien… C’était gênant. Deux ans plus tard, ça serait bizarre d’en parler, même si tout s’est bien passé pour moi. Je ne le vis pas comme un tabou mais ça reste un morceau de mon jardin secret que j’ai du mal à évoquer devant tout le monde.

J’ai pensé mille fois aux femmes pour qui l’avortement peut tourner au cauchemar : quelle chance j’ai eue d’être en France, de pouvoir faire ça librement, d’être aussi bien conseillée, sans rien débourser ! Je conseille aux étudiantes de faire confiance et d’avoir le réflexe de se tourner vers leur service de santé universitaire.

Aujourd’hui, quand je vois que le Sénat a adopté l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution, je me dis : c’est bon, ça avance. C’est une cause qui me touche un peu plus particulièrement, même si je ne le montre pas publiquement. J’ai envie que ça évolue pour les femmes, mais je ne suis pas plus féministe qu’avant. Bien sûr, si on rétropédalait sur cette question comme aux Etats-Unis, je serais capable de me mobiliser.

A ce stade de ma vie, je ne veux pas d’enfants avant les cinq ou six prochaines années. J’ai remis un stérilet et si un accident m’arrivait une seconde fois, je me dirais vraiment que le destin est méchant ! Je veux tomber enceinte à un moment où j’ai choisi de ne plus avoir de contraception. Parce que je l’ai voulu.


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