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mardi 14 mars 2023

Le portrait Stéphane Voirin, compagnon d’Agnès Lassalle : danser avec l’amour

par Carole Suhas, Correspondante au Pays basque  publié le 16 mars 2023

L’ex-pilote, qui a déclenché un moment d’émotion générale en swinguant lors des funérailles de sa compagne, professeure assassinée à Saint-Jean-de-Luz, tente de reprendre ses projets en solitaire.

Il adorait voir son «petit air». Vous voyez, ce «petit air» qui se lit dans les plis des yeux, les rides d’un sourire, des fossettes ou un regard. Celui qui illumine un visage, le rend malicieux ou complice, dans un instant fugace. Stéphane Voirin a vécu treize ans avec – et pour – le «petit air» d’Agnès Lassalle jusqu’à ce qu’il ne se fige le 22 février, à 9 h 50, effacé d’un coup de couteau mortel, dans un lycée de Saint-Jean-de-Luz. Ses yeux d’un bleu céruléen, amoureux, brillent à l’évocation de ce petit air. Il l’a capturé sur des photos. Depuis quelques jours, Stéphane Voirin, 55 ans, n’est plus seulement le compagnon de cette enseignante tuée par un élève en plein cours d’espagnol. Il est devenu «l’homme qui danse», tant ce moment d’intimité folle est devenu un instant d’humanité partagée.
Devant le cercueil de sa compagne, il a entamé ses derniers pas avec Agnès Lassalle. D’abord seul, ses grands bras fins écartés en gestes gracieux, il a été rejoint par des couples de danseurs, sur le swing L-O-V-E interprété en français par Nat King Cole. «Je voulais sortir du rituel pour laisser mes sentiments ressortir. C’est une déclaration d’amour», sourit Stéphane Voirin. Assis dans le canapé de son appartement biarrot, au septième étage – «leur île déserte» avec une vue imprenable sur l’océan –, il lance une vidéo sur sa tablette.

Un duo de danseurs interprète le Parc, pièce chorégraphique créée en 1994 par Angelin Preljocaj. On y voit une femme passer ses bras autour du cou de son partenaire, les jambes tendues, abandonnée. L’homme la soulève doucement et ils se mettent à tournoyer sans fin, leurs deux visages unis dans un baiser. «Pour moi, c’était ça, c’était vendredi», lâche Stéphane Voirin dans un sanglot. Cette vidéo, il l’a montrée pour la première fois à Agnès Lassalle quelques jours avant sa mort, «comme un signe», lors de leurs vacances en Thaïlande. «Elle a repris les cours le lundi. Le mercredi, elle était morte.» Mardi soir, ils avaient assisté ensemble à un cours de swing. C’est d’ailleurs grâce à un groupe de danse, à Saint-Jean-de-Luz, qu’ils se sont rencontrés en 2010. «On a tous les deux senti un petit truc quand je l’ai pris par la main ce jour-là.»

Son seul souhait aujourd’hui ? «Qu’on sorte quelque chose de bien de tout ce merdier.» Les manifestations de tendresse reçues après la diffusion, virale, des images de sa danse le portent. «Je n’ai rien vu de tout cela parce que je ne suis pas sur ces réseaux, mais on m’a dit, j’ai reçu des messages, des dessins, des bouquets de fleurs.» L’homme n’en revient pas tout à fait. «C’était naturel, j’ai voulu lui faire honneur, j’ai pu lui dire au revoir sereinement.» Il accueille le deuil comme il vient. «Je sais qu’il faudrait peut-être s’effondrer, mais je ne veux pas forcément cocher ces cases, ces convenances.» L’homme s’accroche au «bonheur», il le répète. Le cherche dans tous les petits instants. «On avait parlé de l’après avec Agnès, si l’un de nous disparaissait. On doit continuer parce que la vie est belle, elle l’acceptait de tout cœur.» Stéphane Voirin analyse plutôt ces derniers jours comme «un vol merdique», à l’issue duquel il a fallu faire atterrir tout le monde en sécurité.

Une certaine idée «du rôle de roc», qui lui vient peut-être du caractère de son grand-père vénitien qui a fui l’Italie fasciste pour s’installer à Paris dans les années 20 ? Ou de ses trente ans de carrière de pilote dans l’armée puis dans l’aviation civile ? Il quitte la capitale à 22 ans pour sa formation militaire. Sa famille de médecins et autres professions médicales ne voit pas d’un bon œil son désir d’air. «J’ai été en conflit de mes 8 ans à mes 22 ans», résume-t-il, sans plus de détails. Il fuit le domicile familial pour préparer ses examens d’entrée. Sa première affectation comme jeune commandant de bord tombe : la Nouvelle-Calédonie. «J’ai découvert le monde là-bas», dit-il dans un élan enthousiaste. Le pilote de 24 ans découvre les sports nautiques. Il se met aussi à la danse de façon assidue. Son ancrage au Pays basque il y a plus de vingt ans est en accord avec ses passions. «Etre dans l’eau, c’est comme aller danser, ça apporte de la plénitude, on en sort apaisé.»

Quand il surfe – «mal, mais je m’en fiche» – les souvenirs amoureux affluent. «Quand je suis là, seul, je peux remercier Agnès.» Athée et cartésien, il n’en est pas moins convaincu de «la transformation de l’énergie», matière qui redevient matière sans jamais disparaître. Après vingt-deux ans de carrière militaire, Stéphane Voirin est devenu pilote d’hélicoptère dans l’aviation civile. En 2021, il est en Birmanie quand éclate un coup d’Etat mené par l’armée, destiné à faire tomber la cheffe du gouvernement, Aung San Suu Kyi. Les conditions de travail détériorées et les risques toujours plus grands le font raccrocher. La mort d’un ami proche terrassé par un cancer lui fait également relativiser l’importance du travail. «Je ne voulais pas être le plus riche du cimetière», dit aujourd’hui le retraité depuis deux ans. Le 22 février, quelques heures après le meurtre d’Agnès Lassalle, les ministres Pap Ndiaye et Stanislas Guerini font le déplacement à Saint-Jean-de-Luz. Lors de leur rencontre, Stéphane Voirin s’en tient à évoquer les conditions de travail des enseignants, ce boulot auquel sa compagne consacrait «90% de son temps». «Des Agnès, il y en a des centaines, ça me tenait à cœur de le leur dire, pour toutes les heures qu’elle a passées derrière son bureau.»

Mais il n’attend pas grand-chose de la politique. Plus que ça, il «la déteste» pour l’avoir «trop fréquentée» dans son métier. «Il n’y a que de l’argent derrière, je vote seulement contre les extrêmes.» Dans ce domaine, aussi, les catégories l’ennuient. «Je suis de droite et en même temps de gauche», assure-t-il. Sur les étagères de sa grande bibliothèque, les tranches des livres donnent un aperçu des passions du couple qui n’a pas eu d’enfant ensemble. Histoire espagnole, livres d’art et de voyages, récits d’aviation et de mer : les mètres linéaires racontent leurs années passées ensemble et séparément. Aujourd’hui, Stéphane Voirin fait face à la lame des contrariétés administratives inhérentes à un décès. Mais aussi à une procédure judiciaire. Le lycéen de 16 ans inculpé du meurtre d’Agnès Lassalle est en détention provisoire.

N’y a-t-il donc aucune colère en lui ? Père d’une première union, il se met «à la place des parents» du jeune garçon. «J’ai été un adolescent abominable, un vilain garnement», explique-t-il, fataliste. «J’aimerais juste savoir ce qu’il avait dans la tête et surtout pourquoi, concède-t-il. Mais je ne veux pas vivre pour ce procès.» L’homme préfère se concentrer sur des projets, hier communs, aujourd’hui solitaires. Voyager dans son camion aménagé, vivre dans une petite maison dans le sud de cette Espagne si chère à Agnès Lassalle, continuer les stages de danse, reprendre le nom italien de sa mère… «Après le mauvais temps, viendront la chaleur et le soleil, c’est une leçon que j’ai apprise ici.»

4 mai 1967 Naissance à Paris.

2010 Rencontre avec Agnès Lassalle lors d’un cours de danse.

2021 Fin de sa carrière de pilote.

22 février 2023 Assassinat d’Agnès Lassalle.


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