par Christophe Bourdoiseau, correspondant à Berlin publié le 16 mars 2023
A Freudenberg, tout le monde se connaît. Dans cette ville 18 000 habitants, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, les habitants savent non seulement qui est Luise, 12 ans, mais aussi qui sont ses deux meurtrières, âgées de 12 et 13 ans qui l’ont tuée de plusieurs coups de couteau sur un chemin forestier. La nouvelle a bouleversé la commune qui a fermé son école pendant plusieurs jours.
Mais en réalité, c’est toute l’Allemagne qui est sous le choc depuis dimanche et la découverte du cadavre de de la fillette. «Je n’ai jamais vu ça dans ma carrière. C’est inouï», confirme Sebastian Fiedler, député social-démocrate et ancien président du Syndicat des agents de la police criminelle.
«Il est difficilement supportable de savoir que des enfants sont capables de tels actes», a déploré Hendrik Wüst, ministre-président de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. «Cet acte, qui a atteint un sommet dans la violence des mineurs, ne peut pas rester sans conséquence, a-t-il ajouté. Les détails nous font froid dans le dos.»
«Situation émotionnelle très forte»
La police a découvert le corps inerte de Luise le long d’une piste cyclable qui traverse une forêt. Les deux autrices soupçonnées du crime, repérées par des riverains sur les lieux, n’ont avoué qu’après plusieurs interrogatoires lundi. Bien que les enquêteurs n’aient pas donné de détails sur l’identité des coupables, leurs noms et leurs photos circulent sur les réseaux sociaux. L’arme du crime, elle, n’a pas été retrouvée.
Selon les informations du journal Bild, citant des sources proches de l’enquête, Luise aurait été victime d’un harcèlement moral de la part de ses camarades et aurait décidé de dénoncer l’affaire aux parents et à l’école. A-t-elle été poignardée par vengeance par ses deux amies ? Selon l’autopsie, la jeune fille a été tuée de plusieurs coups de couteau et elle est morte en se vidant de son sang. Ce qui a conduit le procureur du parquet de Coblence, Mario Mannweiler à émettre une hypothèse : étant donné les nombreuses blessures, une «situation émotionnelle très forte aurait pu être à l’origine des coups de couteau».
L’âge de la responsabilité pénale étant de 14 ans en Allemagne (contre 13 en France et 10 en Suisse ou au Royaume-Uni), la justice a confié les deux jeunes filles aux services sociaux pour l’enfance et a retiré la garde aux parents. «Les médecins, les psychiatres et les soignants devront maintenant procéder à une évaluation plus approfondie», a déclaré le procureur.
La polémique politique n’a pas tardé, ultra-conservateurs et extrême droite réclamant une baisse de l’âge de la responsabilité pénale à 12 ans avec pour principal argument que la maturité des jeunes d’aujourd’hui n’est plus la même qu’avant. «La discussion reste ouverte. Il faudrait en savoir plus sur cette maturité des jeunes qui serait précoce. Aucune étude n’a prouvé cela, analyse le social-démocrate Sebastian Fiedler. Par ailleurs, on ignore les circonstances exactes de ce drame. Etaient-elle alcoolisées ou droguées ? La dynamique de groupe a-t-elle joué un rôle ? Quelle est la situation familiale ?»
«Il ne faut pas gâcher leur vie»
Le grand syndicat allemand de la police s’est prononcé contre une telle mesure, tout comme le ministre libéral de la Justice, Marco Buschmann. «Si les enfants de moins de 14 ans ne sont pas poursuivis pénalement, notre Etat de droit ne reste pas sans réponse et offre d’autres moyens de réagir», a-t-il fait valoir.
«Nous avons mis en place en Allemagne des Maisons des droits de la jeunesse [Haus des Jugendrechts] qui sont prises en charge par les communes, les services sociaux, la justice et la police, abonde Sebastian Fiedler. C’est une méthode qui a du succès. On pourrait accueillir des enfants de cet âge dans ces institutions.»
Pour la grande majorité des psychologues, ce n’est pas la punition qui doit être prioritaire chez les enfants mais l’éducation et le développement. «Même si elles sont moralement coupables, il ne faut pas gâcher leur vie», a ainsi défendu à la télévision publique le psychologue criminel Rudolf Egg, longtemps directeur du Centre de criminologie de Wiesbaden.
A l’école de Luise, les cours ont repris après trois jours de deuil. Les enseignants ont consacré beaucoup de temps à la discussion avec les élèves. Les habitants ont pu trouver du réconfort dans les deux églises de la ville – protestante et catholique – qui avaient toutes deux aménagé des lieux de recueillement. Dans les registres de condoléances, les messages sont prudents et mesurés : chacun se souvient de ces trois amies qui prenaient tous les jours le bus ensemble pour aller à l’école.
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