Publié le 11 mars 2023
TRIBUNE
Le psychanalyste clinicien Harold Hauzy se félicite, dans une tribune au « Monde », de l’Ours d’or décerné à Nicolas Philibert pour son documentaire « Sur l’Adamant », consacré à la souffrance psychique dans un hôpital parisien, et appelle à fournir des moyens supplémentaires à l’accompagnement des malades.
Dans une société où l’image est reine, où le regard est roi, le sens de l’écoute est un organe atrophié. Aussi ne pouvons-nous que nous réjouir lorsque ponctuellement l’écoute est mise sur le devant de la scène. C’est ce qu’il s’est passé le 26 février. Nicolas Philibert a été consacré en obtenant l’Ours d’or au Festival international du film de Berlin pour son documentaire Sur l’Adamant. Une œuvre qui filme l’infilmable, à savoir l’écoute d’une parole. En décidant de concentrer son attention sur la souffrance psychique et la parole des malades, Philibert a visé juste. Il nous fait entendre une parole d’une grande intensité.
L’Adamant est un hôpital de jour posé sur la Seine, au cœur de Paris. C’est ce lieu – rare dans la psychiatrie contemporaine –, où les soignés et les soignants cohabitent autour d’ateliers thérapeutiques. Pourquoi sont-ils thérapeutiques ? Tout simplement parce qu’ils créent du lien humain. Et quand le pont est rétabli, les rôles deviennent plus fluides et plus flous. Une part de liberté revient. Sur l’Adamant, les étiquettes sociales et médicales s’amenuisent… Qui soigne ? Qui est soigné ? On ne sait plus vraiment.
Tout cela relève-t-il de l’anecdote ? Non, à en croire le succès rencontré par ce documentaire atypique. Car un miracle s’y produit : écouter la souffrance psychique, c’est-à-dire accorder une place à son expression, semble soigner non seulement le malade, mais aussi la société qui l’écoute.
Nous détournons le regard
L’instinct politique d’un Emmanuel Macron n’est d’ailleurs pas passé à côté du phénomène. Le président de la République a immédiatement rendu hommage à l’Ours d’or français ainsi qu’aux « patients et soignants du monde psychiatrique », louant leur « humanité » et leur « engagement ». On aimerait que ces paroles justes soient suivies d’actes forts. Faut-il rappeler que, malgré le concert de louanges, la psychiatrie en France est le parent pauvre du monde de la santé ?
Allons-nous encore une fois zapper ? Revenir au seul pouvoir de l’image et fermer cette parenthèse éphémère accordée à l’écoute ? C’est le plus probable, car il faut être lucide, la souffrance psychique, hormis cette pépite cinématographique, fait peur. Elle nous renvoie à notre vision manichéenne d’un « fou » étranger à nous. Un fou qui nous menace, nous rappelle que la mort, l’absurde, la souffrance, la solitude sont à chaque coin de rue. Un fou surtout qui passe parfois à l’acte lorsqu’il n’y a plus de suivi psychiatrique et psychothérapeutique.
Réflexe de survie : il faut donc l’éloigner, le proscrire, l’écarter. Immédiatement nous créons une barrière. Barrière mentale : nous détournons le regard. Barrière physique : nous l’isolons derrière les murs de l’hôpital et si possible loin des centres urbains.
La folie pourtant omniprésente
Voilà en résumé le mouvement collectif opéré : puisque la folie menace notre intégrité individuelle et collective, il faut bien la chasser de notre réalité. Et puisque, décidément, on ne peut faire sans, elle revient par la fenêtre et déborde dans notre imaginaire collectif. Il suffit de s’attarder sur la profusion des séries diffusées par les plates-formes de streaming comme Amazon ou Netflix. Elles font du psychopathe, du déséquilibré, du tueur en série des figures caricaturales et lucratives de l’industrie du divertissement. Et comment oublier la place centrale accordée au fait divers, ou acte fou, sur les chaînes d’information en continu ?
Cette défense collective est un mécanisme analysé et répertorié depuis longtemps. Il agit en réalité comme un mouvement de projection : nous rejetons sur un autre indéterminé ce que nous ne pouvons admettre comme présent en chacun de nous. Car, oui, nous abritons tous de la violence, des pulsions agressives, des pulsions de domination et surtout une pulsion de mort. Freud a bien montré qu’il n’y a pas de frontière nette entre le « normal » et le « pathologique », il s’agit plutôt d’un continuum. Il y a un peu de fou dans chacun d’entre nous et un peu de normal chez le fou.
En recevant son prix, Nicolas Philibert a déclaré : « J’ai tenté d’inverser l’image que nous avons toujours des fous. Je veux que nous soyons capables, si nous ne sommes pas capables de nous identifier à eux, au moins de reconnaître ce qui nous unit au-delà de nos différences, quelque chose comme une humanité commune. »
Il y a donc urgence à sortir de ce manichéisme. Urgence à mettre fin au cynisme qui consiste à ne mettre en valeur que ponctuellement des initiatives comme l’Adamant, tout en sacrifiant toujours un peu plus les crédits de l’accompagnement psychiatrique et psychothérapeutique sur l’autel de la rentabilité des lits. Une société se condamne à fabriquer du fou si elle fait le contraire de ce qu’elle dit.
Harold Hauzy est psychologue clinicien et praticien à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris. Il a été directeur de la communication de Matignon de 2014 à 2016.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire