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jeudi 27 octobre 2022

Pour un accueil de qualité des tout-petits

par Les membres du collectif «Pas de bébés à la consigne»  publié le 24 octobre 2022

Face à la pénurie de places en crèche et chez les assistantes maternelles, le gouvernement augmente le ratio du nombre de bébés par professionnel et incite à recruter des personnes sans diplôme ni expérience, au terme d’un parcours d’intégration d’un mois. Augmenter la capacité d’accueil ne doit pas se faire au détriment de la qualité, alertent des spécialistes de la petite enfance.

Les modes d’accueil des jeunes enfants sont un enjeu crucial pour la société alors que les deux tiers des familles monoparentales et les trois quarts des couples avec jeune enfant sont en emploi. Une majorité d’enfants restent cependant accueillis à titre principal par leurs parents ou un membre de la famille, c’est-à-dire qu’ils y passent la plus longue durée des journées au cours d’une semaine. Les modes d’accueil formels, principalement crèches et assistantes maternelles, offrent 60 places pour 100 enfants de moins de 3 ans, mais avec de fortes inégalités sociales : 68% d’enfants en bénéficient parmi les 20% de ménages les plus riches contre 9% parmi les 20% les plus pauvres, soit un écart de 1 à 8.

La volonté du gouvernement de créer dans ce contexte 200 000 places d’accueil dans les cinq ans, là où la précédente mandature en a généré au plus quelques milliers, prend donc sens. Toutefois derrière le mot de «place» se dessine un double enjeu : il s’agit bien sûr de générer des dizaines de milliers de places mais aussi d’assurer un accueil de qualité à chaque enfant, où il puisse trouver «sa» place, étayée par une professionnalisation de qualité des accueillants.

Le petit bébé est dépendant et vulnérable. Pour acquérir des repères et les premières bases de son identité, il s’appuie sur la relation avec les personnes qui assurent une fonction de maternage auprès de lui, qui prennent soin de lui et sauront répondre à ses demandes. Le tout-petit a ainsi tissé dans sa relation à sa mère, à son père, des premiers repères sensitivomoteurs, psychoaffectifs qui constituent son premier sentiment de sécurité. Confronté dans son tout nouveau mode d’accueil à un entourage différent du milieu familial, il doit y trouver une continuité de repères, sans laquelle la césure porterait atteinte à son fragile équilibre psychique en devenir. Cette continuité se coconstruit entre les parents et les professionnels qui accueillent l’enfant. Cela demande du temps et de la disponibilité afin d’installer les voies de passage vers une distanciation indispensable pour confier son enfant à une personne «inconnue».

Un métier d’exigence

Du côté des professionnels, s’occuper des enfants des autres implique une position qui ne s’improvise pas mais repose sur des cultures de métiers où s’est forgée la capacité à regarder, observer, décrire, interagir avec l’enfant et le resituer dans son contexte de vie. Il ne va pas de soi d’accompagner les charges émotionnelles des bébés qui vivent leurs premières angoisses de séparation. La commission des 1 000 premiers jours, jadis nommée par le président de la République, a confirmé que «la formation de haut niveau du personnel était prédictive d’une meilleure sensibilité des professionnels aux besoins des enfants, alors que les symptômes dépressifs sont plus fréquents chez des professionnels de crèche ayant une faible formation». Etre professionnel de la petite enfance est donc un métier d’exigence où l’on doit pouvoir faire un travail sur soi pour ne pas refuser de voir les difficultés du bébé. Et petit à petit, ce bébé qui a obtenu «une» place en crèche va y trouver «sa» place, entouré de professionnels suffisamment nombreux et qualifiés pour rester disponibles à la relation avec l’enfant et à l’auto réflexion sur leur pratique.

Mais aujourd’hui la réforme gouvernementale prend un autre chemin : on augmente le ratio du nombre de bébés par professionnel et on tend à s’affranchir de l’exigence de formation des professionnels de la petite enfance. Ainsi la possibilité est dorénavant offerte aux gestionnaires de crèches de confier 6 bébés à une professionnelle au lieu de 5 auparavant, alors que d’autres pays comparables ont opté pour un ratio d’un pour 3 (Danemark) ou d’un pour 4 (Allemagne). De plus il est autorisé, plusieurs heures chaque jour de la semaine, d’accueillir un effectif de 15% d’enfants en sus. Et, «cerise sur la bouillie», face à la pénurie de professionnels qui n’a pas été anticipée, le gouvernement exhume une disposition jusqu’ici laissée en jachère, incitant à recruter des personnes sans aucun diplôme ni expérience auprès de jeunes enfants au terme d’un simple parcours d’intégration d’un mois, pour une proportion de 15% de l’effectif auprès des enfants. Les «garanties» mises en avant par les autorités sont bien illusoires : l’accompagnement de ces personnels par des équipes déjà en grande difficulté sera réduit à la portion congrue du fait même de la pénurie et leur formation sera différée d’un an. Pourtant la mesure gouvernementale prévoit de les placer en responsabilité auprès des enfants après une semaine de présence… Ces mesures sont très contestées par les professionnels et les parents, nombreux à manifester dans la rue le 6 octobre à l’appel du collectif «Pas de bébé à la consigne». La formation à un métier est une assurance de qualité pour le citoyen qui y a recours. Envisagerions-nous de nous faire opérer par une personne qui n’est pas chirurgien ou d’être transporté en bus par un conducteur qui n’a pas le permis ?

Renforcer les salaires

C’est une tout autre voie qu’il faudrait emprunter pour aller vers un service public de la petite enfance que le Président avait annoncé comme une priorité politique de son nouveau quinquennat. Le gouvernement doit renoncer à recruter en crèche des personnes sans qualification ni expérience. Il convient aussi d’accroître substantiellement l’offre de places en centres de formation pour les métiers de la petite enfance sous l’impulsion conjointe de l’Etat et des régions. Il s’agit encore de renforcer l’attractivité des métiers en augmentant leurs salaires comme cela a été le cas pour les professionnels hospitaliers. Sans oublier d’aller vers un taux d’encadrement unique en crèche d’un adulte pour 5 enfants en suivant par là l’avis de la commission des 1 000 premiers jours. Cette exigence partagée par les experts, les professionnels et les parents, de disposer de personnes formées et diplômées, avec un ratio d’encadrement favorable à l’épanouissement des bébés, serait une assurance de qualité pour la prise en charge de nos très jeunes enfants. Enfin, l’engagement du gouvernement d’aligner la contribution financière des familles vers le bas, quel que soit le mode d’accueil, devra être confirmé par des dispositions simples et praticables assurant la solvabilisation pour tous du recours aux modes d’accueil. Les professionnels et les parents appellent in fine le Président et le gouvernement à créer des milliers de places dans des modes d’accueil «amis des bébés».

Les signataires : Christelle Benard Psychologue (Association nationale des psychologues pour la petite enfance) Véronique Escames Auxiliaire de puériculture (Syndicat national des professionnels de la petite enfance) Françoise Favel Directrice du Centre d’études et de recherches pour la petite enfance (Cerpe) Birgit Hilpert Educatrice de jeunes enfants (FSU territoriale) Julie Marty-Pichon Educatrice de jeunes enfants (Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants) Michèle Matthey-Jeantet Auxiliaire de puériculture (Union des cadres parisiens-petite enfance), Emilie Philippe Educatrice de jeunes enfants (CFDT Interco) Sandy Voredini Auxiliaire de puériculture (CGT services publics).


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