par Nathalie Raulin publié le 20 octobre 2022
La pénurie de médecins généralistes compromettant l’accès aux soins sur une fraction de plus en plus large du territoire national, le gouvernement cherche à mobiliser d’autres professions de santé pour répondre aux besoins. Alors que les députés débutent ce jeudi l’examen du budget de la sécurité sociale pour 2023, la docteure Agnès Giannotti, présidente de MG France, premier syndicat de médecins généralistes, se dit favorable à une plus grande participation des autres professions de santé aux gardes de nuit et de week-end comme au suivi des patients, sous coordination médicale. En revanche, si le gouvernement persiste dans son projet d’autoriser l’accès direct aux autres professionnels de santé, «cela risque de mal tourner», avertit-elle.
Faute d’avoir partout sur le territoire assez de médecins pour assurer les gardes les soirs et le week-end, le gouvernement préconise, dans un amendement au budget de la Sécurité sociale pour 2023, d’étendre la permanence des soins ambulatoire aux infirmiers, sages-femmes et dentistes. Qu’en pensez-vous ?
Dans les endroits où les besoins de santé de la population ne sont pas couverts, cela me va. Nous sommes favorables à ce que d’autres professions de santé participent à la permanence des soins, à condition toutefois que cela se fasse dans le cadre d’un exercice coordonné par un médecin régulateur. Dans certaines zones médicalement sous-denses, l’intervention d’un infirmier peut être plus facile ou rapide. Il pourrait alors se déplacer auprès d’un patient pour une levée de doute et, si besoin, se mettre en contact par vidéo consultation avec le médecin régulateur.
Depuis la suppression en 2002 de l’obligation de garde, la participation des généralistes à la permanence de soins est en chute libre, puisque seuls 40 % ont effectué au moins une garde en 2020. N’aurait-il pas mieux valu la rétablir ?
Cela n’aurait pas permis de résoudre le problème. Aujourd’hui 40 % des généralistes inscrits à l’ordre ne sont pas des médecins traitants. Comme ils sont salariés, travaillent sur des plates-formes ou dans des centres de soins non programmés, ils ne participent pas à la permanence des soins. Les autres spécialistes n’y participent pas non plus, alors qu’ils sont censés le faire, souvent parce qu’ils n’ont pas de compétence en médecine générale.
Par ailleurs, aujourd’hui, la permanence des soins est bien assurée sur 96 % du territoire. Il arrive même que les agences régionales de santé décident de l’arrêter faute de besoin, comme à Tours ou à Limoges. Il est inutile de contraindre un généraliste à veiller toute la nuit s’il n’y a pas ou très peu d’appels, le Samu pouvant se charger des urgences vitales. Mieux vaut qu’il soit en capacité d’assurer ses consultations du lendemain. Aujourd’hui, les professionnels de santé doivent s’organiser en fonction des véritables besoins de santé. C’est à cette condition qu’ils pourront assumer leur «responsabilité territoriale» vis-à-vis de la population.
Le ministre de la Santé, François Braun, envisage, dans les zones médicalement sous-dotées, de permettre aux patients de consulter directement d’autres professionnels de santé, comme les infirmières ou les kinésithérapeutes. Vous êtes d’accord ?
Absolument pas. Concrètement cela voudrait dire que, quand on a une entorse, on pourrait consulter directement un kiné, alors même que les personnes atteintes de lombalgie chronique, médicalement suivies, n’arrivent pas à obtenir un rendez-vous ? Ce serait le contraire de la coordination dont on a impérativement besoin dans un contexte de pénurie d’offres de santé. Ce serait là répondre à la simple demande des patients et pas à leurs besoins de santé.
Autoriser l’accès direct, c’est le contraire de l’exercice coordonné que MG France a toujours cherché à développer, au travers des maisons de santé pluriprofessionnelles ou des communautés professionnelles territoriales de santé. On est pour que les professionnels de santé qui ont des compétences différentes et complémentaires travaillent ensemble. Mais on s’oppose à tout ce qui risque de désorganiser le parcours de soins, et compromettre la sécurité des patients. Je me suis entretenu avec le ministre de la Santé à ce propos ces jours-ci. J’ai bon espoir qu’il renonce à ce projet. Sinon, cela risque de mal tourner. Si le système de santé ne s’appuie pas sur les médecins généralistes traitants, il ne va pas tenir longtemps.
Dans le cadre du Conseil national de la refondation santé, le Conseil national de l’ordre des médecins a accepté le principe d’une délégation d’actes et de tâches aux autres professionnels de santé sous coordination médicale. Vous êtes d’accord ?
L’exercice coordonné doit être un partage de tâches. Pas un transfert d’activité à une autre profession sans négociation. Il faut ouvrir des négociations conventionnelles entre les différentes professions de santé et la Caisse nationale de l’assurance maladie pour réfléchir à la bonne articulation des tâches entre tous.
La crainte des médecins, c’est de perdre des informations indispensables au suivi et à la sécurité des patients. Prenons l’exemple de la vaccination. Aujourd’hui, les pharmaciens ou les infirmiers peuvent vacciner. Mais le médecin traitant, lui, ne peut pas savoir si la personne qui vient le consulter est vaccinée ou pas ! Plus on va éclater les interventions entre différents professionnels, plus le problème va s’aggraver. Nous ne pouvons pas être d’accord avec cela. Pour garantir la sécurité des soins, il faut un responsable de la cohérence du parcours de soins. C’est le rôle des médecins traitants, l’essence même de leur métier. Si on les prive de ce regard global, les médecins perdent leur raison d’être. Demain, ils vont tous faire autre chose.
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