Par Delphine Roucaute Publié le 26 octobre 2022
La mortalité liée à la chaleur a augmenté de 68 % entre 2017 et 2021 par rapport à la période 2000-2004, selon un rapport du « Lancet » publié mercredi.
Des centaines de milliers de personnes, dans tous les pays du monde, meurent chaque année des conséquences directes et indirectes du réchauffement climatique. Vagues de chaleur, fortes précipitations, feux de forêt, tempêtes et sécheresses : l’augmentation de la probabilité et de la gravité des phénomènes météorologiques extrêmes est bien documentée, mais pas nécessairement mise en lien avec la santé humaine.
A travers 43 indicateurs mis au point par une centaine d’experts, la revue britannique The Lancet, en partenariat avec 51 institutions, dont l’Organisation mondiale de la santé (OMS), tente de remettre la santé au cœur du débat. Son « Compte à rebours sur la santé et le changement climatique » est publié mercredi 26 octobre, à quelques jours du début de la conférence mondiale sur le climat, la COP27, le 6 novembre. « Nous nous situons à un tournant », insiste Marina Romanello, directrice exécutive du projet à l’University College de Londres :
« Nous constatons les graves répercussions du changement climatique sur la santé dans le monde entier, tandis que la dépendance mondiale persistante sur les combustibles fossiles aggrave ces effets néfastes pour la santé dans un contexte de multiples crises mondiales. »
En raison de l’augmentation rapide des températures – la température moyenne à la surface du globe est supérieure de 1,1 °C à la période préindustrielle, et les sept dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées –, les populations vulnérables, telles que les personnes de plus de 65 ans et les enfants de moins de 1 an, sont de plus en plus longtemps soumises à des températures élevées. En Europe, notamment, l’exposition de la population aux vagues de chaleur a augmenté de 57 % en moyenne au cours de la période 2010-2019 par rapport à la décennie précédente, et de plus de 250 % dans certaines régions, comme le sud de l’Espagne ou la République tchèque.
Les décès pourraient doubler en trente-quatre ans
Les répercussions sur la santé sont directes, notamment l’aggravation des maladies cardio-vasculaires ou respiratoires, la détérioration du sommeil et de la santé mentale, ainsi que l’augmentation des morts à la suite de blessures. La mortalité liée à la chaleur a augmenté de 68 % entre 2017 et 2021 par rapport à la période 2000-2004. En Europe, si les tendances se maintiennent, les décès lors des vagues de chaleur pourraient doubler en trente-quatre ans, d’après le premier rapport publié sur la région.
L’impact de ces hautes températures se lit aussi dans les données économiques. En 2021, 470 milliards d’heures de travail ont été perdues, soit une augmentation de 37 % par rapport à la moyenne annuelle de 1990 à 1999. En résumé, près de 140 heures par personne en un an. Cela concerne surtout le secteur agricole (40 %) et les pays ayant un faible indice de développement humain. Les pertes de revenus potentielles correspondent à 5,6 % du produit intérieur brut (PIB) dans ces pays où les travailleurs sont les plus vulnérables aux effets des fluctuations financières.
Le climat devient de plus en plus propice à la diffusion des maladies transmises par les moustiques
Autre préoccupation : le risque de maladies infectieuses. La durée de transmissibilité du paludisme a augmenté de 32,1 % dans les zones en altitude d’Amérique du Nord et du Sud et de 14,9 % en Afrique entre 2012 et 2021, par rapport à la période 1951-1960. En Europe aussi le climat devient de plus en plus propice à la diffusion de ces maladies transmises par les moustiques, comme la dengue ou le virus du Nil occidental.
Le Covid-19 a réduit le financement pour l’action climatique
Le Covid-19 a encore empiré la situation. L’impact de la pandémie sur les systèmes de santé a affaibli la capacité des Etats à prendre en charge ces maladies liées au réchauffement climatique. Et, dans le même temps, l’argent débloqué en urgence pour faire face à cette crise sanitaire mondiale a mécaniquement diminué les investissements des collectivités locales dans la lutte contre le changement climatique. Sur 798 villes interrogées, un tiers ont estimé que le Covid-19 avait réduit leur financement disponible pour l’action climatique. Alors que les auteurs du rapport estiment que moins d’un tiers des 3 000 milliards d’euros dépensés pour répondre à la pandémie auraient permis de réduire les émissions de gaz à effet de serre et la pollution de l’air.
« De nombreux gouvernements et entreprises reviennent au charbon, menaçant davantage la survie humaine »
« Les réponses de court terme aux crises de l’énergie et du coût de la vie risquent d’aggraver le changement climatique, alors que de nombreux gouvernements et entreprises reviennent au charbon, menaçant davantage la santé et la survie humaine », peut-on lire dans le rapport. Les particules fines liées à l’utilisation d’énergies fossiles tuent en moyenne 1,2 million de personnes tous les ans. En particulier, une nouvelle analyse montre que dans 62 pays l’air intérieur des foyers dépasse de trente fois les seuils de concentration de particules fines recommandés par l’OMS. Un lourd tribut payé à notre dépendance aux énergies fossiles.
Décès liés au régime alimentaire
En parallèle, la sécurité alimentaire est menacée par les chaleurs extrêmes dans une centaine de pays, concernant 98 millions de personnes supplémentaires en 2020 par rapport à la période 1981-2010. Le cycle des récoltes se raccourcit, avec 9,3 jours de croissance en moins pour le maïs, 1,7 jour pour le riz et 6 jours pour le blé d’hiver et de printemps. En moyenne, 30 % de zones terrestres supplémentaires ont connu des sécheresses annuelles extrêmes entre 2012 et 2021, par rapport à la période 1951-1960.
Ainsi, la transition vers un régime alimentaire plus végétal « permettrait de réduire de moitié les émissions du secteur de l’agriculture issues de la production de lait et de viande rouge, mais aussi d’empêcher 11,5 millions de décès liés au régime alimentaire chaque année et de réduire le risque d’attraper des maladies zoonotiques », écrivent les auteurs.
Une situation que résume ainsi Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies : « La crise climatique nous tue. Elle nuit non seulement à la santé de notre planète, mais aussi à celle de tous ses habitants. » Pour Anthony Costello, professeur et coprésident du projet, il n’est toutefois pas trop tard pour agir. « Une réponse aux crises actuelles centrée sur la santé offrirait la chance d’un avenir aux faibles émissions de carbone, résilient et sain, où les gens du monde entier non seulement survivraient, mais se porteraient bien », insiste-t-il.
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