Par Robin Richardot Publié le 19 octobre 2022
Dans le 8e arrondissement de la ville, un projet inédit s’est monté grâce à la mobilisation de sept associations et de la mairie. Il devrait être reconduit pour trois ans de plus.
Il faut attendre 17 heures pour que le lieu prenne doucement vie. Le temps que les enfants rentrent de l’école et les mères du travail – pour celles qui ont un emploi. Dans la cuisine, Salem et Aïssatou, une résidente de l’auberge, s’affairent pour préparer des sardines frites et une tortilla de patata pour le soir. A l’entrée de l’établissement, des enfants jouent ou regardent des vidéos.
Les sourires font presque oublier les difficultés communes aux résidents de L’Auberge marseillaise. Dans une impasse du 8e arrondissement de Marseille, à quelques mètres des plages du Prado, dans le sud de la ville, cette ancienne auberge de jeunesse, définitivement fermée après le confinement, accueille soixante-dix femmes « vulnérables » et leurs enfants. La plupart viennent de quartiers populaires et toutes connaissent la grande précarité : plus de la moitié n’avaient aucune ressource en entrant dans l’établissement. Les profils de ces femmes sont divers : victimes de violences conjugales, de viols ou de prostitution, demandeuses d’asile, sans-domicile-fixe, accros aux drogues.
Ce lieu d’accueil et d’hébergement inédit a vu le jour en mars 2021, sous l’impulsion de la mairie de Marseille, propriétaire des lieux, et avec la mobilisation de sept associations (Amicale du nid, Nouvelle Aube, Habitat alternatif social, SOS Femmes 13, Just, Yes We Camp et Marseille Solutions). L’idée est de créer « un lieu d’émancipation et de mise à l’abri pour des femmes vulnérables, faciliter l’insertion et l’accès au logement », grâce à l’accompagnement d’une vingtaine de salariés, services civiques et stagiaires. Les résidentes peuvent profiter de quarante chambres, un réfectoire, une grande cuisine, une terrasse de 200 mètres carrés et un jardin de 3 000 mètres carrés, autant de temps qu’elles le souhaitent.
« Ici, c’est chez nous »
Arrivée il y a cinq mois, Jessica reprend progressivement confiance en elle. Dans sa chambre, qu’elle aimerait repeindre intégralement en rose, on trouve de multiples produits de maquillage, des peluches et quatre traces de baisers au rouge à lèvres sur un mur. Jusque-là, elle dormait « à droite, à gauche. C’était trop dur », souffle-t-elle. Cette jeune femme transgenre de 31 ans, à la silhouette longiligne, cheveux longs foncés et yeux clairs, a connu des expériences difficiles dans d’autres centres d’accueil de la ville. Fatiguée par la prise d’hormones pour sa transition, elle prend le temps de se reconstruire dans « un espace calme et serein ». Une psychologue est présente toutes les deux semaines pour aider les résidentes, également accompagnées par une socio-esthéticienne, tous les jeudis.
Kathy, arrivée en octobre 2021, partage la même gratitude : « Ils m’ont ouvert une porte que je n’aurais pas trouvée ailleurs. » Cette quinquagénaire était sans domicile fixe et se piquait à la cocaïne. « Aujourd’hui, j’ai une chambre, je peux ramener mes affaires sans qu’on me les vole et ça fait un an que j’ai arrêté la coke », résume-t-elle.
Pour Zenab, l’arrivée à l’auberge a signé la fin d’un périple plus qu’éprouvant. Originaire de Guinée-Conakry, la jeune femme de 19 ans a quitté son pays natal pour échapper à un mariage forcé. Au Mali, elle est violée par un passeur et subit un avortement dans des conditions déplorables. Elle gagne ensuite l’Algérie, la Tunisie, puis l’Italie, pour atterrir à Milan, où un homme veut en faire une mère porteuse. Elle fuit alors en France, jusqu’à Marseille. Arrivée en avril 2021 à l’auberge, Zenab est tombée enceinte il y a huit mois. Traumatisée par son premier avortement, elle a décidé de garder l’enfant, malgré son absence de revenus. « Heureusement, tout ce dont j’ai besoin, l’auberge me l’offre. On prend soin de nous, je les considère comme mes parents. Ici, c’est chez nous », confie la Guinéenne, une serviette rose enroulée à la taille qui cache son ventre.
Avant que son ventre ne l’encombre trop, Zenab passait beaucoup de temps à la cuisine, « centre du réacteur de l’auberge », comme la décrivent les salariés des lieux. Les résidentes y descendent souvent pour aider les chefs ou bien préparer elles-mêmes des plats traditionnels de leur pays d’origine pour tout le monde. « Quand je prépare le mafé, il n’en reste plus une miette dans les assiettes, se félicite Zenab. On me dit juste que j’aime trop le piment. » Les repas deviennent les symboles d’une communauté qui s’est créée entre toutes ces femmes venues d’horizons divers. L’Auberge marseillaise compte douze nationalités différentes : française, nigériane, guinéenne, serbe, algérienne, bulgare, camerounaise, entre autres.
Prolonger l’expérimentation
Cette vie en collectif n’a pas toujours été évidente. Au début du projet, l’équipe associative a eu quelques conflits à gérer, entraînant des expulsions temporaires à l’hôtel. Une agora des femmes a été instaurée, tous les mardis soir, pour discuter des sujets sensibles.
Aujourd’hui, ces problèmes semblent avoir disparu et ont laissé place à de nombreux moments de fête. Tous les anniversaires, des enfants comme des adultes, sont célébrés en grande pompe. « Et même quand il n’y a pas de fête, on met la musique et on danse », s’anime Safa, à l’initiative des gâteaux d’anniversaire à chaque fois. Cette Algérienne de 32 ans, femme de ménage chez des particuliers, est venue en France pour soigner sa fille. Elle est arrivée à l’ouverture de l’auberge, après avoir connu la précarité des logements d’urgence.
La jeune femme est surtout rassurée pour sa fille, Serine, en 6e dans un collège proche. Tous les enfants de l’auberge sont scolarisés cette année, grâce à Jane Bouvier, fondatrice de l’association locale L’Ecole au présent. La Ligue de l’enseignement a aussi rejoint le consortium des associations pour créer un centre aéré, début juillet. Il propose notamment aux enfants des activités à la plage, du sport au parc Borély, ou encore une visite de la restitution de la grotte Cosquer, dans le centre de Marseille.
Les mères sont aussi accompagnées pour faciliter leur réinsertion dans la société et gérer les formalités administratives. Depuis mars 2021, plus d’une vingtaine de personnes ou de familles ont trouvé un logement et ont pu quitter l’auberge. « Même quand elles partent, les associations continuent à suivre ces femmes pendant un temps », rappelle Ludivine Raynaud, coordinatrice sur place. Safa compte déposer son dossier à la préfecture ce mois-ci pour obtenir des papiers français, puis chercher un appartement. « Ce ne sera pas facile de quitter l’auberge, confie-t-elle. On a nos habitudes avec l’équipe et les résidentes. » La jeune femme pourra les garder encore quelque temps. Une première convention avec la ville a été signée jusqu’en décembre, mais les discussions sont en très bonne voie pour prolonger trois ans de plus cette expérimentation, validée par tous les acteurs.
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