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lundi 13 juin 2022

Limiter le recours à la prison, embaucher massivement, réformer l’institution… Les principales conclusions des Etats généraux de la justice





Par  Publié le 10 juin 2022 

 Dans ses recommandations exhaustives et prudentes, le comité ad hoc demande notamment de conserver l’unité des corps de la magistrature, de ne pas supprimer le juge d’instruction et de réaliser un « new deal » de la justice civile.

Première séance des « ateliers délibératifs citoyens », en présence de Jean-Marc Sauvé (au centre), président du comité des États généraux de la justice, à Paris, le 2 décembre 2021.

Les conclusions des Etats généraux de la justice organisés entre octobre 2021 et la fin avril 2022 sont censées constituer la feuille de route du ministre de la justice pour le second quinquennat d’Emmanuel Macron. Mais ni Eric Dupond-Moretti, reconduit Place Vendôme, ni la première ministre, Elisabeth Borne, ne peuvent en parler puisqu’elles ne seront remises officiellement au chef de l’Etat qu’en juillet. Le Monde a obtenu une copie du rapport final rédigé par le comité des Etats généraux.

La consultation citoyenne et les sept groupes de travail thématiques (justice civile, justice pénale, justice économique et sociale, justice de protection, prison et réinsertion, missions et statuts, pilotage des organisations) mis sur pied pour cet exercice ont été percutés par la « tribune des 3 000 » magistrats alertant, fin novembre, sur cette « justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout ».

Le manque de moyens s’est ainsi invité sur le haut de la pile des dossiers à traiter par le comité de douze sages, présidé par Jean-Marc Sauvé, vice-président honoraire du Conseil d’Etat, chargé de garantir l’indépendance des Etats généraux. Il se retrouve dans le tableau sévère dressé sur la situation de la justice et les propositions qu’il formule. Outre les deux plus hauts magistrats judiciaires du pays, Chantal Arens et François Molins, ce comité comprenait les présidents des commissions des lois des deux assemblées, François-Noël Buffet (Les Républicains) et Yaël Braun-Pivet (La République en marche), et le président du Conseil national des barreaux, Jérôme Gavaudan.

Les débats nourris au sein du comité ont parfois nécessité un vote sur des questions sensibles comme la suppression du juge d’instruction (rejetée), l’unicité du corps de la magistrature entre siège et parquet (conservée), deux véritables chiffons rouges pour les magistrats, ou la création d’une agence du milieu ouvert (rejetée). Prudent dans sa rédaction, le rapport ne ferme cependant pas définitivement la porte à ces réformes, au cas où l’exécutif souhaiterait les faire siennes.

La suppression du juge d’instruction a été rejetée car « prématurée ». La scission du corps des magistrats entre ceux qui jugent (le siège) et ceux qui dirigent les enquêtes et poursuivent (le parquet), jugée « inéluctable à moyen terme » par plusieurs membres du comité, est écartée « en l’état actuel ».

Loin d’un catalogue de mesures, que l’on trouve en annexe dans les rapports des sept groupes de travail, le comité Sauvé a préféré tracer des priorités. Tout dépend maintenant de ce que le gouvernement en retiendra.

Augmenter les moyens

Pour répondre à un effectif « notablement insuffisant », le comité estime nécessaire de « créer un volant global d’au moins 1 500 postes de magistrats du siège et du parquet dans les cinq années à venir ». Cet effort considérable par rapport aux 9 000 postes existants est qualifié de « minimal » et devra « être révisé à la hausse » en fonction des travaux menés par le ministère sur la charge de travail. Dans son programme électoral de 2022, Emmanuel Macron promettait 8 500 postes supplémentaires pour la justice, dont seulement 1 000 magistrats.

En outre, pour étoffer l’équipe autour du juge, 2 000 juristes assistants supplémentaires permettraient de « répondre aux besoins prioritaires des juridictions », estime le rapport, tandis qu’il chiffre les besoins en greffiers entre 2 500 et 3 000. Par ailleurs, le recrutement de 2 000 agents est préconisé pour l’appui administratif et technique.

Une hausse des rémunérations est jugée indispensable pour les magistrats et les greffiers, moins bien payés que leurs homologues d’autres administrations à qualification égale.

Arrêter les mesures de gestion de flux

C’est un véritable holà que le comité des Etats généraux met à des solutions utilisées ces dernières années pour tenter d’aider la justice à sortir la tête de l’eau. Au pénal, il veut un coup d’arrêt au renforcement incessant des pouvoirs du parquet. « Le mouvement conduisant à confier au parquet un pouvoir de sanction croissant a atteint ses limites », écrit-il. « Le parquet doit rester une autorité de poursuite et ne pas empiéter sur les fonctions du siège. C’est pourquoi le comité est réservé s’agissant des propositions du groupe de travail tendant à étendre le périmètre des mesures transactionnelles. »

Au civil, aussi, attention à ne pas aller trop loin ! « Si la déjudiciarisation a permis de sortir de la sphère judiciaire certains contentieux pour lesquels l’intervention d’un juge ne s’imposait pas, elle ne saurait constituer le socle d’une politique judiciaire et, surtout, elle a aujourd’hui atteint ses limites. » La médiation et la conciliation ont bien toute leur place pour apaiser et régler certains litiges, elles ne peuvent pas se substituer à la justice.

Recentrer le juge civil sur ses missions fondamentales

C’est un véritable « new deal » de la première instance en matière civile, lieu de la première interaction des citoyens avec la justice, qui est réclamé à l’issue des Etats généraux. Cela passe en particulier par la réhabilitation d’une véritable collégialité au cœur de la justice civile, alors qu’elle y est souvent « uniquement formelle ». Outre des moyens supplémentaires, cela impose de revoir la gestion des carrières des magistrats, avec la création de filières sur des contentieux techniques, offrant plus de liberté aux juges en matière de parcours professionnel et en ouvrant davantage le corps de la magistrature à des personnes ayant acquis une autre expérience. C’est aussi, en détachant le grade (l’ancienneté) de la fonction, la possibilité de mettre dès la première instance des juges chevronnés pour enrayer une baisse de la qualité des jugements qui se traduit par un taux d’appel en hausse de 50 % en dix ans.

En matière de justice des mineurs ou des majeurs vulnérables, le comité rappelle que, si le juge doit garantir une juste protection dans le respect des droits des personnes, « son intervention ne saurait être systématique ». Par exemple, le juge des enfants ne devrait pas être là pour se substituer à la défaillance des départements et de l’aide sociale à l’enfance. Une double habilitation des services de prise en charge des mineurs permettrait de glisser d’une mesure judiciaire à une mesure administrative. En matière de majeurs vulnérables, une simplification du recours au mandat de protection future est souhaitée.

Réformer l’institution et l’organisation

Sur le plan des réformes institutionnelles, celle du statut du parquet, encalminée depuis 1999 en raison de la frilosité du Parlement, est à faire sans tarder. Le conseil supérieur de la magistrature (CSM) devrait ainsi disposer d’un pouvoir d’avis conforme s’agissant de la nomination des membres du parquet. Mais pas question que le CSM puisse nommer les procureurs ou les procureurs généraux, comme le réclament les syndicats de magistrats.

Si le comité a choisi à la majorité de maintenir l’unicité du corps de la magistrature, il est unanime sur « la nécessité de clarifier la séparation des fonctions de poursuite et de jugement, et de veiller à l’apparence de cette séparation dans l’exercice de la justice ».

Des incohérences dans l’allocation des ressources entre les juridictions sont dénoncées. S’il n’est pas question de revoir la carte judiciaire en réduisant le nombre de cours d’appel (36), il est proposé qu’une seule par région administrative (13) soit responsable de la gestion des juridictions de la région avec une plus grande autonomie à l’égard du ministère. Les tribunaux, relevant de cours d’appel situées dans une autre région, devront leur être rattachés. Le nombre de tribunaux judiciaires serait conservé, mais le comité souhaite que, dans les 48 départements en comptant au moins deux, soient désignés un président et un procureur chefs de file. Un véritable enjeu pour exister face aux préfets au moment de la départementalisation de la police judiciaire.

Un tribunal des affaires économiques élargirait les compétences actuelles des tribunaux de commerce, sans magistrat professionnel, à tous les opérateurs économiques (agriculteurs, professions libérales, associations, etc.). Les prud’hommes resteraient des juridictions paritaires, mais rattachées au seul ministère de la justice et avec des greffiers aux pouvoirs élargis.

Instaurer un pilotage du numérique et des réformes

L’ambitieux plan de transformation numérique 2018-2022 du ministère de la justice a produit des résultats décevants. Un sujet mis en parallèle avec l’organisation du ministère autour des deux grandes directions chargées de produire de la norme, celle des affaires civiles et du sceau et celle des affaires criminelles et des grâces.

Il leur est reproché de rédiger des lois, décrets et circulaires sans se soucier d’une approche métiers ni de leur traduction dans les logiciels aux mains des greffiers et magistrats. « Entre 2009 et 2022, la procédure civile de première instance a fait l’objet de 84 textes, tandis que la procédure civile d’appel a été modifiée par 52 textes. »L’intendance ne suit pas.

Il est donc urgent de porter au sein du secrétariat général du ministère « une gouvernance stratégique de l’ensemble des projets numériques transversale ».

Encadrer la responsabilité pénale des ministres

Aucun des groupes de travail n’était chargé de ce thème pourtant évoqué par le chef de l’Etat en lançant les Etats généraux. Le comité Sauvé s’en est emparé. La suppression de la Cour de justice de la République, justice d’exception, fait l’unanimité. Elle serait remplacée par un double degré de juridiction classique mais avec un filtrage des procédures à l’entrée. Le comité s’étonne que la France soit le seul pays où la responsabilité pénale des ministres chargés de la gestion de la crise sanitaire a pu être mise en cause. Il appelle de ses vœux une nouvelle rédaction des textes qui limite ce risque dans lequel il voit un mélange des genres entre responsabilité politique et responsabilité pénale.

Pour limiter l’impact des mises en cause de décideurs publics et« le préjudice d’image qui peut résulter de la mise en examen », le comité plaide pour un recours plus fréquent au statut de témoin assisté. Et même à un basculement automatique sous ce régime procédural dans les cas où une mise en examen aura été maintenue au-delà d’un certain délai.

Limiter le recours à la prison

La grande réforme de la justice du 23 mars 2019 a échoué à diminuer le recours aux courtes peines de prison. Le comité insiste sur le fait que « l’enchaînement de programmes de construction d’établissements pénitentiaires ne peut constituer une réponse adéquate ». Autrement dit, après le programme en cours de 15 000 places d’ici à 2027, on arrête. C’est donc sur le milieu ouvert, les alternatives à la prison et les mesures probatoires que l’accent doit être mis pour une réponse pénale plus diversifiée.

La justice doit sanctionner, mais aussi prévenir la récidive et aider à la réinsertion, est-il fermement rappelé. L’implantation des services pénitentiaires d’insertion et de probation dans les tribunaux, au plus près des juges correctionnels et des juges de l’application de peines, est préconisée.


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