blogspot counter

Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

samedi 18 juin 2022

Le gouvernement bloque le projet de centre pour toxicomanes du 16ᵉ arrondissement de Paris

Par   Publié le 17 juin 2022

A trois jours des élections législatives, la décision permet au candidat La République en marche de la circonscription, Benjamin Haddad, de se présenter comme un futur élu efficace.

Une ambulance sort de l’hôpital Chardon-Lagache, dans le 16e arrondissement de Paris, le 4 mai 2020.

Pas de vagues à trois jours des élections législatives. Devant la contestation qui montait, le gouvernement a décidé, jeudi 16 juin, de geler son projet d’ouvrir un centre d’hébergement médicalisé destiné aux toxicomanes à Auteuil, un quartier calme du 16arrondissement de Paris.

Benjamin Haddad, le candidat de La République en marche (LRM) dans la 14circonscription de la capitale, a été le premier à annoncer la nouvelle. « J’ai été informé par la ministre de la santé, Brigitte Bourguignon, que le projet de centre pour toxicomanes à Chardon-Lagache est bloqué », s’est-il réjoui sur Twitter« Le projet ne peut être validé en l’état, au vu des inquiétudes qui s’expriment et des premiers résultats de la concertation », confirme au Monde Amélie Verdier, la directrice de l’agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France.

La perspective que les consommateurs parisiens de crack et d’autres drogues puissent bientôt se faire soigner à Auteuil s’éloigne donc. Sous la pression, le gouvernement remet ainsi en cause un projet qu’il avait lui-même lancé et jugeait urgent il y a quelques semaines encore.

En 2021, l’ARS avait dressé un constat simple : Paris manque cruellement de structures pour les personnes en situation précaire souffrant de problèmes sanitaires complexes, en particulier les toxicomanes. En janvier 2022, l’agence lance donc un appel à projet pour créer deux centres de soin. « Compte tenu des besoins immédiats », il est indispensable d’utiliser des bâtiments existants, et d’ouvrir dans un délai de six mois, souligne l’ARS.

Réactions hostiles des riverains

Deux associations spécialisées, Aurore et Gaïa, s’entendent alors avec l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), et soumettent une candidature commune pour un de ces deux centres. L’AP-HP dispose justement d’espaces libres dans une aile désaffectée de l’hôpital Chardon-Lagache. Il est prévu d’accueillir trente-cinq personnes en grande détresse, volontaires, qui pourraient rester sur place pour une longue durée, voire y finir leur vie.

Au départ, tous les signaux semblent au vert. Le dossier remis par les trois partenaires « fait l’objet d’un avis unanimement favorable », indique l’ARS. Le maire (Les Républicains, LR) de l’arrondissement, Francis Szpiner, signale certes son « opposition catégorique ». Le centre « ne peut raisonnablement pas s’implanter dans ce quartier, à proximité immédiate du collège-lycée Jean-Baptiste-Say, de l’église d’Auteuil, et de l’hôpital Sainte-Périne », écrit-il, le 11 mai, à l’ARS, en insistant sur « les inévitables risques » que les toxicomanes feront peser sur le quartier. Mais ces critiques, restées confidentielles, n’alarment pas les pouvoirs publics. Le projet a « vocation à être retenu », assure l’ARS fin mai.

Tout change lorsque le dossier devient public. Anne Souyris, l’adjointe à la santé de la mairie de Paris, est une des premières à l’évoquer devant la presse. Elle se félicite que les arrondissements bourgeois de l’ouest parisien, ancrés à droite, participent à la « solidarité territoriale ». Mais sur place, l’annonce suscite des réactions hostiles de la part des riverains.

Florian Guyot, le directeur général d’Aurore, tente de déminer le terrain : « il n’y aura pas de file d’attente dans la rue, ni d’allées et venues à la porte », promet-il. De même, la consommation de drogue « ne sera pas autorisée sur place ». 

Deux pétitions

Ces mots apaisants ne suffisent pas. En pleine campagne électorale, les deux principaux candidats, Francis Szpiner et Benjamin Haddad, se saisissent du sujet, et attisent la contestation. Deux pétitions sont lancées, dont l’une à l’initiative de la mairie, et une manifestation est programmée pour le 17 juin. Chacun veut devenir celui qui obtient l’arrêt du projet. « Vous êtes déjà plus de 8 000 à avoir signé la pétition. Je suis sûr que notre détermination fera plier le ministère de la santé ! », écrit encore le maire du 16e, jeudi matin, sur Twitter.

Quelques heures plus tard, Benjamin Haddad revendique la victoire. Remerciant la nouvelle ministre de la santé d’avoir stoppé le projet, le candidat (LRM) imprime en urgence une affiche titrée « Ensemble, nous avons réussi à bloquer le centre Chardon-Lagache ! » Sa conclusion : « Voilà le type d’élu que je veux être : un élu qui vous protégera, travaillera dans la majorité, avec le gouvernement pour défendre nos valeurs, nos intérêts. » Son concurrent LR réagit immédiatement. « Je suis scandalisé que la ministre de la santé se fasse l’agent électoral de M. Haddad », cingle M. Szpiner. « Mais M. Haddad n’a rien réglé, ajoute-t-il. La concertation continue et le projet n’a pas disparu. »

A ce stade, « l’appel à projet est toujours en cours d’instruction », précise, en effet, le ministère, en reconnaissant « qu’il existe un besoin de santé pour ces populations ». L’élection passée, les tenants du projet ne désespèrent pas de le relancer. « Une concertation menée de bonne foi doit permettre de concilier santé publique et tranquillité », veut croire Florian Guyot, d’Aurore.

Dans l’immédiat, cependant, ce dossier est rangé au congélateur. Une forme de « non-assistance à personne en danger », selon Anne Souyris. Il est question « de gens très malades qui requièrent d’être en situation médicalisée et on ne va pas le faire parce que c’est l’avant-veille des législatives », a déclaré à l’Agence France-Presse l’adjointe d’Anne Hidalgo.

Les professionnels de l’addiction, pour leur part, se désolent. « Nous demandons aux autorités d’ouvrir rapidement l’établissement envisagé, et aux hommes et femmes politiques de cesser les amalgames et les récupérations, écrit vendredi le professeur Amine Benyamina, président de la Fédération française d’addictologie, dans un communiqué. Les caractéristiques du projet contredisent factuellement le moindre danger pour la population. Le rejet exprimé ici ou là abandonne le principe citoyen de solidarité avec les plus faibles pour un motif qui ne repose sur rien. »


Aucun commentaire: