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samedi 18 juin 2022

Ce que cache la fin du questionnaire de santé pour les crédits immobiliers

Par   Publié le 17 juin 2022

La sélection médicale pour l’assurance emprunteur, c’est fini pour une majorité de candidats au crédit immobilier depuis le 1er juin ! La vigilance reste de rigueur quant à l’application de la mesure et à de potentiels effets pervers.

Avez-vous été opéré ou hospitalisé dans les dix dernières années ? Eu du diabète ? Du cholestérol ? Suivez-vous un traitement médical ? Ces cinq dernières années, avez-vous eu un arrêt de travail de plus de vingt et un jours ? Pour qui sollicite un crédit afin d’acheter sa maison ou son appartement, répondre à ce type de questions est incontournable ; cela permet d’accéder à l’assurance généralement exigée par la banque.

« Est », ou plutôt « était ». Car, depuis le 1er juin, l’assureur d’un prêt immobilier n’a, dans certains cas, plus le droit de demander d’informations sur votre « état de santé ni aucun examen médical ». Une interdiction introduite par le Sénat dans une proposition de loi sur l’assurance emprunteur votée en février.

Difficile de ne pas parler de révolution tant cette mesure de la loi Lemoine – du nom de la députée de Seine-et-Marne Patricia Lemoine (Agir) – bouleverse la logique assurantielle qui prévalait jusqu’ici.

Pour comprendre, il faut savoir que l’assureur, qui devra rembourser tout ou partie des mensualités du crédit à la banque à la place de l’assuré si celui-ci meurt ou a un grave problème, utilise les données collectées sur la santé du candidat pour évaluer les risques qu’il prend en l’assurant. Quand il estime qu’il a plus de chances qu’un autre de ne pas régler ses mensualités, il lui applique en général des surprimes (des tarifs plus élevés) et/ou des exclusions de garantie, voire refuse le dossier.

60 ans, 200 000 euros

Depuis début juin, il ne peut plus faire ce genre d’exercice si le remboursement du crédit s’achève avant les 60 ans du client et que le montant de prêt assuré ne dépasse pas 200 000 euros : le questionnaire de santé est en effet supprimé dans ces cas de figure. La santé de l’emprunteur concerné ne joue donc plus sur le prix et le niveau de l’assurance.

Simple et efficace ? C’est ce qu’espèrent les associations de patients qui luttent pour faciliter l’accès au crédit des malades et anciens malades et tendre vers l’égalité de traitement. Mais difficile pour l’heure d’anticiper tous les impacts de la mesure.

Alors, certains craignent des effets pervers pour les emprunteurs. « Nous saluons ce pas gigantesque pour les malades et ex-malades mais manquons de visibilité », réagit ainsi Mehdi Aslam, qui coordonne Aidéa, le service d’accompagnement des emprunteurs de la Ligue contre le cancer.

« Nous invitons les acteurs de l’assurance et la banque à communiquer les modalités d’application de façon claire », dit Mehdi Aslam (Ligue contre le cancer)

Il s’interroge : « La mutualisation du risque engendrera-t-elle de fortes hausses des tarifs ? Des exclusions de risques à la souscription du contrat ? Une dégradation des garanties ? » « Nous invitons les acteurs de l’assurance et la banque, globalement silencieux pour l’instant, à communiquer les modalités d’application de façon claire et transparente », indique M. Aslam.

Combien peut-on emprunter en couple sans questionnaire de santé ?

La fin du questionnaire de santé concerne les acquéreurs s’assurant sur maximum 200 000 euros. Ce n’est pas le montant du crédit qui compte mais celui de la part assurée – deux notions qui ne se recoupent pas forcément si on emprunte à deux.

Vous empruntez 400 000 euros en couple en vous assurant chacun avec une quotité de 50 % (ce qui signifie notamment que si vous mourrez, l’assureur remboursera 50 % du prêt et votre coemprunteur payera toujours la moitié des mensualités) ? Vous bénéficiez de la mesure, la part assurée s’élève à 200 000 euros (50 % de 400 000). En revanche, si vous empruntez 400 000 euros à deux et que la banque exige, pour vous, une assurance à 100 % (par exemple parce que vous avez les plus gros revenus), ou que vous souhaitez vous-même être couvert à 100 %, vous ne remplissez pas les critères, la part assurée est de 400 000 euros.

Exception : le Crédit mutuel applique un dispositif plus large pour ses « clients fidèles » achetant une résidence principale : l’abolition de la sélection médicale court jusqu’à 500 000 euros de part assurée (jusqu’à 62 ans à la souscription).

Mêmes interrogations chez France Assos Santé, qui promet d’être « très vigilant sur la qualité des garanties ». Membre du bureau de ce réseau, Marianick Lambert juge par ailleurs la rédaction de la loi « incomplète » : « Qu’est-ce qu’une information de santé ? Le poids, la taille, le fait de fumer en sont-ils ? Un emprunteur en bonne santé peut-il apporter son dossier médical spontanément à l’assureur pour avoir un meilleur tarif ? On ne peut laisser ces flous en attendant qu’il y ait des litiges et une jurisprudence. »

« Y aura-t-il des sanctions ? »

Autant de questions auxquelles la loi ne répond pas, estime aussi Luc Mayaux, spécialiste du droit de l’assurance : « Le succès de la mesure n’est pas garanti car les assureurs qui souhaiteraient continuer à maîtriser leur risque seront tentés de la contourner par diverses stratégies non interdites par la loi. »

« Et le périmètre des 200 000 euros n’est pas délimité, ajoute ce membre du Comité consultatif du secteur financier, directeur de l’Institut des assurances de Lyon. La loi dit qu’il faut prendre en compte “la part assurée sur l’encours cumulé des contrats de crédit” déjà souscrits par l’emprunteur, mais quels sont les types de crédits inclus ? Si c’est à l’emprunteur de déclarer ses autres crédits, y aura-t-il des sanctions en cas de fausse déclaration ? »

D’autres craignent qu’en présence d’un candidat à l’emprunt « Lemoine », donc sans sélection médicale, les banques soient tentées de refuser le crédit si elles ont connaissance d’un problème de santé de leur client. Voire que certains assureurs se retirent de ce segment du marché, limitant ainsi la concurrence.

Etre ou ne pas être… en « Lemoine »

La fin du questionnaire de santé pour certains prêts instaure de facto deux types d’emprunteurs, selon qu’ils bénéficient ou non de la mesure : les « Lemoine » et les « non-Lemoine ». Avec un « effet pervers », estime Clair Caillon, de Handi-assur, courtier en assurance spécialiste des risques aggravés de santé : « Pour passer en Lemoine et échapper au questionnaire, l’acheteur avec un risque de santé empruntant en couple sera tenté de diminuer sa part assurée, même s’il a intérêt à s’assurer à 100 %, mettant ainsi sa famille en danger. On observe déjà ces comportements, d’autant plus risqués que l’emprunteur n’a souvent pas conscience de l’impact et pense être bien assuré. »

A l’inverse, des emprunteurs sans risque spécifique de santé seront tentés de sortir de la case « Lemoine » pour éviter une hausse éventuelle des tarifs sur ce segment de la clientèle. En augmentant le montant emprunté, la part assurée ou la durée du crédit.

De nombreuses questions, donc… Mais un monde associatif partagé. Les collectifs de patients ne sont en effet pas tous sur la même longueur d’onde. Pour Séropotes, qui fait partie des associations ayant porté la mesure, il ne faut pas exagérer les risques d’effets pervers de la loi mais se concentrer sur la suite : « Poursuivre la pression » sur les élus pour élargir le dispositif, en relevant par une nouvelle loi le plafond des 200 000 euros et des 60 ans.

Un gel de ses tarifs

« Les personnes vivant avec le VIH sont nombreuses à être célibataires et en Ile-de-France, où les prix immobiliers sont hauts ; pour elles, par exemple, ces limites sont extrêmement bloquantes », explique Bruno Lamothe, juriste pour Séropotes, qui souhaite en outre que la sélection médicale s’étende aux prêts professionnels et aux contrats de prévoyance des indépendants.

Du côté des professionnels de l’assurance, on s’exprime peu publiquement. La fédération France Assureurs n’exclut rien mais se garde d’entrer dans les détails : « Les parlementaires ont tranché entre, d’un côté, la solidarité qu’incarne la fin du questionnaire médical et, de l’autre, les conséquences possibles sur le pouvoir d’achat et le niveau de couverture pour tous les emprunteurs, les assureurs respectent ce choix. »

Les « bancassureurs », qui commercialisent des assurances de groupe, semblent mieux armés pour absorber la mesure car leurs tarifs sont moins individualisés que ceux des assureurs externes aux banques. CNP Assurances figure parmi les seuls acteurs majeurs à avoir pris position clairement en annonçant ces derniers jours un gel de ses tarifs, malgré la disparition partielle du questionnaire médical, pour les crédits de La Banque postale.

« Cette mesure entraînera un surcoût de sinistralité, notamment parce que nous assurerons désormais des risques qui, avant, auraient été exclus, mais nous estimons pouvoir l’absorber dans la masse de notre portefeuille et grâce à notre capacité de mutualisation. Nous avons donc choisi, avec La Banque postale, de ne pas répercuter ce coût sur les clients, dans le contexte de hausse des taux et d’inflation », explique Thomas Chardonnel, directeur des partenariats France de CNP Assurances. « Et pas question de baisser le niveau des garanties en l’absence de sélection médicale », promet-il. « Nous espérons que tous les assureurs seront sur la même ligne », commente M. Aslam.

Des perspectives du côté d’Aeras ?

La loi Lemoine, qui a mis fin au questionnaire de santé pour certains crédits, mais aussi raccourci à cinq ans le droit à l’oubli pour les cancers et l’hépatite C, a « court-circuité » les discussions qui ont lieu de longue date entre professionnels de l’assurance et représentants des patients dans le cadre de la convention Aeras (acronyme de « s’assurer et emprunter avec un risque de santé aggravé »). Aux yeux de certaines associations, elles ne permettaient pas d’améliorer assez rapidement et massivement l’accès à l’assurance emprunteur des malades et ex-malades.

Mais le texte demandait quand même aux instances d’Aeras d’engager des négociations pour aller plus loin que la loi sur certains points. Etendre le droit à l’oubli à d’autres pathologies, par exemple. Ou accorder à plus de patients le bénéfice de la « grille Aeras », un dispositif qui permet, pour certaines maladies et à certaines conditions, de ne plus subir de surprime, même sans droit à l’oubli, ou de voir ses surprimes plafonnées. Si ces négociations n’aboutissent pas, « la loi prévoit la possibilité pour le gouvernement de fixer ces règles par décret d’ici au 31 juillet », rappelle la direction de la Sécurité sociale.

Faut-il s’attendre à des avancées sur ce terrain ? Selon Gilles Bignolas, chargé par le ministère de la santé d’animer ces travaux Aeras, un pas en avant devrait être acté « dès l’été » pour les personnes vivant avec le VIH : « Une modification de la grille Aeras ferait qu’il n’y aurait, sous certaines conditions, ni surprimes ni exclusions, pour les prêts immobiliers et professionnels. » Dans les mois à venir, il espère voir d’autres pathologies intégrer cette fameuse grille – épilepsie, insuffisance rénale, maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, diabète, notamment.

A condition que l’Etat mette la main au portefeuille. Car les travaux au sein d’Aeras se basent sur des données épidémiologiques : les assureurs demandent qu’on leur montre que telle catégorie de malades ou d’ex-malades ne présente pas, ou pas beaucoup plus de risques que la population générale, pour accorder des conditions d’assurance normales ou proches de la normale. Il faut donc financer des études.


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