par Juliette Delage publié le 9 mai 2022
«Une faute politique», et un choix «indigne des professionnels qui ont fait le vœu de protéger les femmes dans leur santé». L’association Stop aux violences obstétricales et gynécologiques (StopVog) ne décolère pas face au casting du prestigieux congrès Paris Santé Femme, prévu ce mercredi 11 mai. Parmi les orateurs de l’évènement organisé par le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), se trouve le professeur Emile Daraï. Certes, ce médecin est un éminent spécialiste de l’endométriose. Mais il est aussi accusé de viol par d’anciennes patientes et fait l’objet, depuis le 3 janvier, d’une information judiciaire pour «violences par personne chargée d’une mission de service public».
Une invitation «scandaleuse» qui acte encore un peu plus «le déni de la profession au sujet des violences obstétricales», regrette Sonia Bisch, fondatrice et porte-parole de StopVog. L’association appelle à la mobilisation dès l’ouverture de ce «colloque de la honte»,mercredi à 8 h 30 devant le Paris Convention Centre, à la porte de Versailles. «Mettons-nous à la place des patientes. Elles ont porté plainte, avec toute l’implication en temps, en énergie, en argent, que cela implique. Et on déroule le tapis rouge à celui qu’elles accusent»,dénonce la gynécologue Bénédicte Costantino, à l’origine du compte Instagram Gynéco & Féminisme. «Inviter Emile Daraï revient à donner un blanc-seing à tous les gynécologues qui ont des comportements maltraitants. Pourquoi arrêter puisqu’on continue à les considérer ?»
«Présomption d’innocence»
Côté CNGOF, on s’explique sans reculer pour autant. Dans un communiqué envoyé ce lundi, l’organisation assure être«conscient[e] de l’émoi suscité par la présence du professeur Emile Daraï» à ce congrès national. «Mais on est en France, la présomption d’innocence prime. Est-ce à nous de rendre la justice ?» martèle sa présidente, la docteure Joëlle Belaisch Allart. Et de souligner que si le médecin a bien été démis de ses fonctions de chef du servicegynécologique-obstétrique de l’hôpital Tenon, il a été autorisé par la justice et ses employeurs à maintenir ses consultations. «On peut respecter la présomption d’innocence tout en considérant qu’il faut protéger les patientes. Il ne devrait pas pouvoir exercer pendant le temps de l’enquête», dénonce Sonia Bisch.
Joëlle Belaisch Allart affirme que le collège a «beaucoup réfléchi» avant d’acter ce maintien, qui ne fait pas l’unanimité. «En désaccord avec cette décision», le vice-président du CNGOF, a donné sa démission. Mettre en avant la procédure judiciaire et la présomption d’innocence pour justifier cette invitation ne suffit pas selon Amina Yamgnane, gynécologue à l’hôpital américain de Paris, qui a elle aussi démissionné en mars de l’organisation en marge de l’affaire. Elle cite l’enquête interne «accablante» de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), ayant conclu «à des manquements graves du professeur Daraï».
«Une erreur politique grave»
La loi du 4 mars 2002, dite Kouchner, encadre la prise en charge des patients par les médecins en établissant notamment «qu’aucun acte médical […] ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne». Le rapport de l’AP-HP sur le professeur Daraï met notamment en avant que «les deux tiers des patientes [interrogées] précisent qu’on ne leur a pas demandé leur accord» avant de procéder à un toucher vaginal ou rectal, certaines disent s’être senties «violées». «C’est un argument de poids derrière lequel le CNGOF a délibérément refusé de se ranger. Une erreur politique grave de la part d’une institution dont la mission est d’établir les recommandations des pratiques cliniques.»
Mais l’invitation du professeur Daraï est-elle un incident isolé ou reflète-t-elle un dysfonctionnement bien plus large ? «C’est exactement comme lorsque l’académie des César invite Roman Polanski et lui décerne un prix», dénonce Alice Coffin, élue municipale de Paris et activiste féministe soutenant la mobilisation. «Le collège des gynécologues savait très bien le scandale que provoquerait la présence d’Emile Daraï à ce colloque, de la même manière que l’académie des César savait. Cela veut dire que maintenir une solidarité envers l’agresseur présumé, protéger un homme de pouvoir, devient encore plus important que préserver sa propre institution. C’est dire à quoi on s’attaque.» Pour Alice Coffin, il ne s’agit plus simplement de maintenir ou non cette prise de parole. Mais de pousser l’instance à la «dissolution» pour que cela n’arrive plus jamais.
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