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mardi 10 mai 2022

«Pour une femme enceinte sur deux dans le monde, la grossesse n’est pas un choix»

par Léa Masseguin   publié le 8 mai 2022 

A l’occasion de la sortie du rapport annuel du Fonds des Nations unies pour la population, Diane Keïta, directrice exécutive adjointe de l’organisme, alerte sur l’augmentation du nombre de grossesses non intentionnelles dans les pays en guerre, notamment en Ukraine.

A l’échelle planétaire, près d’une grossesse sur deux est non intentionnelle, ce qui représente environ 121 millions de cas chaque année. Ce phénomène peut avoir des «répercussions considérables» sur ces femmes et ces filles qui n’ont pas fait le choix de porter la vie, alerte un nouveau rapport du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), organisme chargé notamment des questions de santé sexuelle et reproductive. De passage à Paris où elle a rencontré les autorités françaises, Diane Keïta, ancienne ministre guinéenne et directrice exécutive adjointe de l’agence onusienne, alerte sur les graves conséquences de ce phénomène, exacerbé lors des guerres et des crises humanitaires.

Comment définir une grossesse non intentionnelle ?

Une telle grossesse tient à l’impossibilité pour une femme de décider ou non d’avoir un enfant. Elle peut aboutir sur une naissance non planifiée, un avortement provoqué (médicalisé ou non) ou une fausse couche. Plusieurs facteurs entraînent une augmentation du nombre de cas, comme le manque d’accès à la contraception, les violences sexuelles, les inégalités de genre, ou encore la pauvreté. Pour une femme enceinte sur deux dans le monde, la grossesse n’est pas un choix.

Pourquoi est-elle susceptible de «bouleverser durablement»l’existence des femmes et des filles ?

Les conséquences sont très graves. Près de 60 % des grossesses non intentionnelles se soldent par un avortement, et l’on estime que 45 % d’entre elles sont non médicalisées et à l’origine de 5 à 13 % des décès maternels. Les femmes peuvent également être chassées de leur domicile, obligées de se marier, ne plus pouvoir travailler ou aller à l’école, en particulier dans les pays en développement. Lorsqu’une adolescente de 15 ans tombe enceinte, sa vie de petite fille est terminée. Elle passe dans une autre catégorie sociale. Les Etats doivent se rendre compte de ce manque à gagner, du coût financier, médical et social que cela représente.

En quoi la contraception joue-t-elle un rôle dans la diminution du nombre de personnes concernées ?

On estime qu’environ 257 millions de femmes souhaitant éviter une grossesse n’ont pas recours à des méthodes contraceptives sûres. Parmi elles, 172 millions n’utilisent aucun moyen de contraception. Or l’accès à ces produits, même s’ils ne permettent pas à eux seuls de résoudre la crise, pourrait diminuer les grossesses non intentionnelles de 80 %.

Quels sont les pays les plus touchés ?

Moins le pays est développé, plus le nombre de grossesses non intentionnelles est élevé. Le Sahel est une région particulièrement touchée. De même que les pays en guerre ou qui font face à une crise humanitaire.

Dans certains pays, le recours à la contraception est considéré comme socialement inacceptable. Parfois, le consentement d’un tiers est même exigé. Comment faire face à ces résistances ?

Certaines personnes ont du mal à réaliser ce qui va faire une différence dans leur vie, jusqu’au jour où elles perdent leur propre fille. Nous travaillons étroitement avec les chefs religieux et traditionnels, ainsi qu’avec les communautés, pour les sensibiliser sur le rôle de la santé sexuelle et reproductive. On a vraiment besoin d’eux pour faire passer des messages, notamment dans les pays religieux et réfractaires à ces questions. C’est la partie la plus difficile mais nous faisons d’énormes avancées. Au Niger, par exemple, les chefs traditionnels avec lesquels nous avons travaillé ont accepté que les mariages de mineurs ne soient plus tolérés. Une loi pourrait même être votée prochainement en ce sens.

Nous sensibilisons aussi les filles et les femmes, qui sont encore trop nombreuses à ne pas savoir à quoi correspond une vie intime basée sur le discours et l’échange. Dans les pays les plus conservateurs où l’avis d’un homme est encore très important, nous organisons des formations pour que le conjoint devienne un partenaire, et plus seulement un mari. Les Etats doivent aussi faire des efforts, en rendant par exemple l’école obligatoire et en évitant les violences inutiles.

Pourquoi les guerres tendent-elles à exacerber ce phénomène ?

Les crises privent les femmes de leur libre arbitre, ce qui accroît considérablement les risques d’une grossesse non intentionnelle. Pendant les guerres, on observe une perturbation de l’accès à la contraception ainsi qu’une augmentation de violences basées sur le genre, y compris les relations sexuelles non autorisées.

Vous estimez que la guerre et les perturbations du système de santé en Afghanistan pourraient engendrer 4,8 millions de grossesses non intentionnelles d’ici à 2025. Craignez-vous la même évolution en Ukraine ?

Les cas de grossesses non intentionnelles risquent bien sûr d’augmenter à mesure que le conflit se poursuit. Par ailleurs, environ 265 000 femmes étaient enceintes lorsque la guerre a éclaté, dont 80 000 devaient accoucher dans les trois mois. Certaines ont pu fuir l’Ukraine, mais d’autres sont toujours à l’intérieur du pays. Nos équipes, qui continuent de leur venir en aide sur le terrain, appellent à un cessez-le-feu immédiat pour que ces femmes puissent subvenir à leurs besoins. C’est une question de survie.


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