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mardi 10 mai 2022

Diagnostics HPI : haute arnaque potentielle

par Balla Fofana  publié le 9 mai 2022 

En une décennie, les détections de «haut potentiel intellectuel» ont explosé à la faveur d’un écosystème aux mains de charlatans ou de psys complaisants, notamment auprès de parents angoissés par la compétition scolaire. Un dévoiement qui alerte les scientifiques.

H.P.I. Ces trois lettres ne vous disent peut-être pas grand-chose. Pourtant, il est désormais difficile de ne pas croiser des personnes qui revendiquent ce sigle, pour elles-mêmes ou pour leur enfant. Le haut potentiel intellectuel s’invite partout : blogs, forums, groupes Facebook dédiés, presse spécialisée, talk-shows… Sans compter la littérature, abondante sur le sujet. D’ailleurs, selon Nicolas Gauvrit, chercheur en sciences cognitives à l’Ecole pratique des hautes études à Paris, un livre «a contribué à ce que beaucoup se reconnaissent dans le haut potentiel» : Trop intelligent pour être heureux ? de la psychologue praticienne Jeanne Siaud-Facchin, paru en 2008, vendu à 453 000 exemplaires. A ce jour, ce «long-seller» fait encore partie des dix livres le plus vendus chaque mois chez Odile Jacob et depuis plus d’une décennie, Jeanne Siaud-Facchin, avec Christel Petitcollin (formatrice en communication et développement personnel), autrice de Je pense trop (Guy Trédaniel), et Monique de Kermadec (psychologue clinicienne et psychanalyste), qui a signé l’Adulte surdoué (Albin Michel), trustent les ventes de livres sur le sujet. Avec plus de 100 000 exemplaires en moyenne, elles font également salle comble lors de leurs conférences ou de rencontres autour de leurs ouvrages.

Preuve de l’engouement pour cette caractéristique particulière, elle a inspiré une série à TF1. Lancée en avril 2021, HPI (dont la troisième saison est en préparation) a pulvérisé les records d’audimat : un mois après la diffusion, la première salve a réuni en moyenne 11,5 millions de téléspectateurs, en comptant le replay. Très attendue, la saison 2 débarque sur la Une jeudi. La fiction met en scène une femme de ménage surdouée (jouée par Audrey Fleurot) qui réussit à démêler des affaires policières grâce à sa finesse d’esprit. Elle est devenue la troisième série la plus visionnée depuis les mesures d’audience instaurées dans les années 90. «Ce feuilleton télévisé a contribué à populariser le sujet», confirme Nathalie Clobert, psychologue clinicienne qui a codirigé avec Nicolas Gauvrit l’ouvrage Psychologie du haut potentiel (De Boeck), paru l’an dernier.

«Une réponse rassurante»

«Haut potentiel intellectuel», «surdoué», «précoce», «HQI» (haut quotient intellectuel) ou encore «zèbre» (concept popularisé par Siaud-Facchin et qui a intégré le dictionnaire Larousse en 2020) : tous ces termes se rejoignent, pour désigner une aptitude intellectuelle supérieure à la moyenne. Leur variété reflète l’absence de consensus sur la définition, bien que l’un des indicateurs communément retenus soit un score d’au moins 130 au test de QI. Cette caractéristique rare, qui s’accompagne parfois d’un sentiment de mal-être ou de décalage, ne concernerait selon les experts qu’environ 2 % de la population. Un pourcentage inversement proportionnel à son aura. Au point que le phénomène suscite tout un écosystème, de fournisseurs de test de QI, de coachs parfois autoproclamés, au détriment de la détresse de personnes en difficulté ou de parents obsédés par la réussite de leur enfant, sur fond de compétition scolaire.

Dans son cabinet, en Seine-et-Marne, Nathalie Clobert reçoit des adolescents et des adultes orientés par des réseaux de professionnels ou qui ont été reconnus comme HPI depuis leur enfance. Et de plus en plus de gens qui ont passé des évaluations qu’elle juge «discutables» : «On se rend compte que, parfois, les critères qui ont été retenus pour parler de haut potentiel sont loin d’être ceux du consensus scientifique.» Face à la frénésie de l’offre (charlatans qui bricolent des tests douteux, psys complaisants qui ont tendance à classer leurs patients comme HPI, coachs de développement personnel…), il est difficile de séparer le bon grain de l’ivraie. Or, «l’étiquette HPI peut être perçue comme une réponse rassurante, avance Nathalie Clobert. Mais si le fait d’être haut potentiel peut participer à un sentiment de décalage, ce n’est pas l’unique explication de la souffrance, qui est souvent à chercher ailleurs. Notamment dans l’hypersensibilité ou les difficultés de gestion émotionnelle, qui ne sont pas des caractéristiques propres aux HPI, contrairement à ce que croit le grand public.»

Selon Nicolas Gauvrit, ce contresens découle en partie de l’interprétation de certains ouvrages sur le sujet : «La thèse de Trop intelligent pour être heureux, pour ne citer que lui, c’est que le haut potentiel est un facteur de difficulté sociale et émotionnelle, ce que ne montrent pas forcément les études.» Nathalie Clobert dit la même chose en consultation : «Alors, évidemment, certains patients vivent des moments de désillusion. Ils ont du mal à se défaire de l’étiquette HPI qu’ils ont intégrée comme un élément de leur identité.» Sachant qu’avoir un haut potentiel bénéficie souvent d’un a priori positif. «Se présenter comme un haut potentiel intellectuel, c’est plus valorisant et protecteur pour l’image de soi qu’un problème émotionnel ou psychologique, détaille la psychologue clinicienne. Je leur dis souvent que le haut potentiel intellectuel est une différence rare, pas un trouble. Pour résoudre cette question de souffrance, il vaut mieux entreprendre une démarche thérapeutique – psychothérapie, accompagnement psychologique, voire lorsque c’est nécessaire une prise en charge psychiatrique avec un traitement médicamenteux.»

«On a une école de plus en plus compétitive»

L’engouement pour les HPI se vérifie aussi à l’école. «De plus en plus de parents sont convaincus que leur enfant est surdoué, déplore Nathalie Eudes, psychologue de l’Education nationale dans le Nord et référente du syndicat SE-Unsa. Si on disait oui à tout le monde, nous ne ferions plus que des tests de QI !» Elle décrit des familles qui veulent à tout prix obtenir la preuve de la «douance» de leur rejeton, qui viennent parfois la voir avec «des tests déjà validés par des cabinets privés, hélas pas toujours respectueux des règles déontologiques». Un phénomène qu’aborde Corinne Maier dans son essai Dehors les enfants ! (Albin Michel, 2021), où elle critique notamment l’éducation positive et l’hyperparentalité, cette tendance à vouloir en faire trop. «Dans un contexte élitiste favorisé par la compétition scolaire, fondée sur la compétition entre élèves, et entre établissements, avoir un test de QI supérieur à 130 permet au parent d’exiger que son enfant saute une classe ou obtienne des aménagements particuliers pour sa scolarité», pointe l’économiste et psychanalyste. «Malgré mon attachement au service public, force est de constater qu’on a une école de plus en plus compétitive, abonde Nathalie Eudes. L’élève ne doit pas être bon, il doit être le meilleur. Et, évidemment, tout parent veut ce qu’il y a de mieux pour son enfant : autrement dit un saut de classe.» Corinne Maier pointe un effet pervers : «Beaucoup de parents des classes moyennes et supérieures s’illusionnent complètement sur les capacités de leurs enfants, que leurs résultats soient bons ou mauvais.» Au risque d’invisibiliser un autre aspect, moins cool, du HPI.

Isabelle, la mère de Felix, 11 ans, en a fait l’expérience. Son fils est un enfant «plein d’humour et d’esprit» qui a connu des difficultés pendant sa scolarité. Il n’a été détecté HPI qu’à ses 8 ans. «Dès la crèche, j’ai souvent été convoquée pour des problèmes de discipline. Felix se battait souvent, il ne tenait pas en place et semblait s’ennuyer en cours», se remémore Isabelle, qui a fait suivre son enfant par des psychologues dès l’âge de 3 ans. Mais aucun d’entre eux ni aucun membre des équipes éducatives des établissements que Felix a fréquentés n’ont mis Isabelle sur la voie du haut potentiel. Lasse d’être vue comme une mauvaise mère, elle a fini par suivre la recommandation d’une amie, de faire passer à son fils un test de QI chez un psy agréé. «Il s’est avéré que Felix était un haut potentiel très élevé. Ça a été un soulagement de savoir ce qu’il avait, moi qui rasais les couloirs depuis la maternelle parce que j’étais la maman du petit trouble-fête.» Isabelle s’est vu proposer de scolariser son garçon dans des établissements scolaires privés pour enfants à haut potentiel, comme l’école Georges-Gusdorf dans le XIVe arrondissement parisien. «J’ai refusé car je ne voulais pas qu’il grandisse dans une bulle hors du groupe majoritaire.»

Se défaire «de la toute-puissance marketing»

Pour le Dr Fanny Nusbaum Paganetti, spécialisée dans la psychologie et les neurosciences de l’intelligence, le problème ne vient ni de l’Education nationale, ni des parents, ni de la vulgarisation scientifique, mais de la croyance généralisée dans le test de QI comme étant le seul élément objectivable. «Dire qu’à partir du moment où l’on a 130 de QI on est HPI, est faux, assène celle qui préfère le terme de «philo-cognitif». Ce que mes pairs experts sur le sujet ne disent pas, c’est que d’une année à l’autre, le test de QI a un taux de fidélité de 70 %. Autrement dit, une personne peut avoir 130, le repasser plus tard et être à 110.» La dirigeante du centre Psyrene à Lyon, qui fait passer plus de 3 000 tests de QI par an, poursuit : «Le test QI est un outil de clinicien. Il nous permet de prendre une photographie de l’instant, de voir sur le moment comment s’articule la cognition [ensemble des processus mentaux qui ont trait à la fonction de connaissance, ndlr] d’une personne. On peut atteindre 130 de QI sans être philo-cognitif ou encore ne pas les atteindre et l’être. Pour prouver qu’un individu est haut potentiel, il faut faire une évaluation cognitico-comportementale qui porte sur les différentes expressions des capacités et de l’intelligence humaine. Ne voit-on pas des psys embarrassés dire à des patients : “Vous avez toutes les caractéristiques d’un haut potentiel, mais le résultat du test de QI ne le confirme pas” ? Ce qu’il faut préciser, c’est que la disposition mentale ou émotionnelle peut influer sur le résultat.»

L’autrice des Philo-cognitifs (2019) et du Secret des performants(Odile Jacob, 2021) estime qu’il faudrait se défaire «de la toute-puissance marketing de David Wechsler». Ce psychologue américain a créé, au siècle dernier, le test d’intelligence qui porte son nom. Le Wechsler Adult Intelligence Scale (WAIS) fait la loi à travers le monde, y compris en France. «Un philo-cognitif, c’est quelqu’un qui a des capacités de raisonnement supérieures, ce n’est rien d’autre que ça, pose Fanny Nusbaum Paganetti. Et être psy, c’est être formé à comprendre l’humain, c’est notre travail de savoir si quelqu’un est haut potentiel en posant des questions et en l’observant. Encore une fois, ce n’est pas l’humain qu’il faut remettre en question, c’est l’investissement que l’on met dans ce test.» D’ici là, le business autour des tests de QI, et la mode HPI, ont encore le temps de prospérer.


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