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mardi 10 mai 2022

Le portrait - Sœur André, plus longue la vie

par Lucie Beaugé  publié le 11 mai 2022 

La nouvelle doyenne de l’humanité, âgée de 118 ans et trois mois, oscille entre la volonté de battre le record de Jeanne Calment et le désir de rejoindre Dieu. 

Au commencement, elles étaient deux. Lydie et Lucile, nées le 11 février 1904 à Alès, dans le Gard. La première est décédée à 18 mois d’une pneumonie. La seconde, âgée de 118 ans, défie aujourd’hui toute certitude scientifique sur la longévité. Sœur André, de son vrai nom Lucile Randon, est devenue doyenne de l’humanité le 19 avril dernier, une distinction décernée par le livre Guinness des records et l’International Database of Longevity (IDL).

Dans son Ehpad toulonnais de Sainte-Catherine-Labouré où elle réside depuis 2009, la religieuse fait passer le temps entre balades dans le jardin et temps de prière. Elle nous attend dans une salle à manger au premier étage, son fauteuil roulant garé devant une Vierge. Pantoufles à scratch aux pieds, sœur André triture les boutons de sa chemise blanche parfaitement repassée. «C’est bien boutonné ?» veut s’assurer celle qui a perdu la vue il y a quelques années. Quand on a 118 ans, les cinq sens sont éprouvés. La supercentenaire est partiellement sourde, son attaché de presse David Tavella se charge de répéter nos questions.

Jamais sans ses habits de religieuse, un voile bleu marine posé sur la tête, sœur André a d’abord baigné dans le protestantisme avant de changer de cap suite à un «appel de Dieu». Elle entre dans les ordres en 1945, à 41 ans, et pose ses bagages à la maison des Filles de la charité à Paris, pour accomplir son noviciat catholique. «Cela est arrivé très innocemment, raconte-t-elle les mains jointes, comme si elle priait en même temps. Chez les protestants, on enseignait beaucoup, mais on faisait peu. Le catholicisme se pratique beaucoup plus, entre les prières, la messe… C’est une religion dans laquelle j’ai trouvé plus de profondeur.» Alors que son nom en religion est choisi en hommage à son frère aîné André, soldat revenu handicapé de la bataille de Verdun en 1916, une jambe blessée par les éclats d’obus, ce dernier s’est d’abord montré perplexe. «Il en a été catastrophé, pensait ne plus voir sa sœur», raconte Philippe Randon, petit-fils d’André et petit-neveu de la religieuse.

Outre une admiration sans faille pour ses frères, André, Lucien et Pierre, sœur André n’a jamais laissé place aux hommes dans sa vie. On ose la question : «Etes-vous déjà tombée amoureuse ?» Réponse : «J’ai aimé beaucoup de garçons, mais pas passionnément. Pas pour les épouser.» Pas de temps pour les distractions, ses seules addictions se résumant au porto pour les grands événements et au petit carré de chocolat dans sa chambre. Son arbre généalogique descendant est quand même bien touffu. Vingt branches, parmi lesquelles un neveu, quatre petits-neveux, sept arrière-petits-neveux et huit arrière-arrière-petits-neveux. Gouvernante dans la famille Peugeot à Versailles, puis dans une famille parisienne pendant quatorze ans, en mission à l’hôpital de Vichy au service de 40 orphelins durant vingt-huit ans, sœur André a passé sa vie à éduquer les marmots qui n’étaient pas les siens : «Ils savent comprendre et interroger notre monde, vous amènent parfois à vous questionner vous-même.»

Quand elle était petite, sœur André aimait les problèmes. Pas pour les créer, «mais pour les résoudre», précise-t-elle. Elle n’avait pourtant pas le temps pour les devoirs, grand regret de sa propre éducation. Elle explique : «Je travaillais mal car chaque jour, j’allais faire les commissions.» Un père «doux» prof de français et d’espagnol, une mère «dure» femme au foyer, paire qu’elle qualifie d’emblée d’«équilibre contrasté». Le drame de sa vie surgit à l’âge de 18 ans, lorsque meurt sa grand-mère. «Elle la chérissait tout particulièrement car c’est celle qui a compensé le manque d’affection de sa mère», remarque Philippe Randon. A part un meeting aérien à Saint-Hippolyte-du-Fort en 1912, où elle voit défiler le Blériot XI, premier avion qui a traversé la Manche en 1909, la Cévenole garde de «tristes souvenirs» du Gard, période de sa vie marquée par la guerre et les privations.

Aujourd’hui, les infos la dépriment, et sa radio prend la poussière. On ne lui dira pas les nouvelles d’Europe de l’Est, ni celles du dernier rapport du Giec. «Vous savez, on vit un peu hors du temps quand on a mon âge», ajoute-t-elle comme pour se justifier. En avril, sœur André n’a pas voté. La politique n’a de toute manière jamais été son truc. Celle qui a connu dix-huit présidents différents a été marquée surtout par de Gaulle, qu’elle juge «mort trop jeune», à 79 ans.

Lorsqu’elle a appris la mort de sa prédécesseure, la Japonaise Kane Tanaka, sœur André prenait l’air dans le jardin. La reine est morte, vive la reine ? Pas pour la religieuse. «Elle a eu une pensée très émue pour elle», se souvient David Tavella. Dans le club ultra-select des supercentenaires, on souffle 110 bougies, puis 115 sans prévoir et on déguste sa part de moelleux au chocolat en se demandant si le gâteau sortira encore du four l’année d’après. La longévité n’a jamais été son but. Elle s’installe doucement sans crier gare. Mais la vieillesse n’est-elle qu’une question d’âge, d’Ehpad et de fauteuil roulant ?

Sœur André oscille entre combativité et résignation, partagée entre l’envie, sur Terre, de devenir la déesse de la doyenneté, en battant le record de 122 ans de Jeanne Calment. Ou, dans le ciel, de rejoindre son Dieu pour lequel elle a tant prié. «Il m’arrive de lui demander de mourir», assume-t-elle sans chercher la pitié. En attendant une réponse, une partie de sœur André va quand même jouer les repérages. Son portrait sera bientôt gravé dans une capsule spatiale aux côtés de 99 personnalités, pour être envoyée en orbite par une fusée Ariane 6.

Comme une star de foot, la doyenne de l’humanité a son propre attaché de presse et enchaîne les conf au rythme de ses perf, sans pour autant les avoir provoquées. Dernière en date avant d’accéder au trône : faire un doigt d’honneur au Covid-19, en janvier 2021. «Ah bon ! j’ai eu le Covid ?» s’étonne-t-elle alors qu’on lui pose la question. A l’époque, quand l’article est sorti dans Var-Matin pour annoncer son exploit, les camionnettes des chaînes d’info ont déboulé illico à Sainte-Catherine-Labouré. «Ils vont venir m’embêter ?» s’était-elle inquiétée, lassée par les questions qui se répètent (et on la comprend). Mais sœur André est polie. Elle finit toujours par accepter les interviews. La nôtre s’achève bientôt. Dans l’ascenseur qui mène à la chapelle de l’Ehpad, son fidèle David ne lui lâche pas la main.

«Vous êtes une curiosité ma sœur ! - Oh ! je te crois, une belle curiosité même !»

11 février 1904 Naissance à Alès (Gard).

1945 Devient religieuse à la maison des Filles de la charité à Paris.

25 octobre 2009 Entre à l’Ehpad Sainte-Catherine-Labouré à Toulon.

Janvier 2021 Survit au Covid-19.

19 avril 2022 Devient doyenne de l’humanité à la mort de la Japonaise Kane Tanaka.


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