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mardi 10 mai 2022

L’augmentation inquiétante des cas de « burn-out scolaire » chez les lycéens

Par   Publié le 10 mai 2022

Alors que les élèves de terminale passent pour la première fois les épreuves d’enseignement de spécialité du baccalauréat, les enseignants s’alarment de la hausse des phénomènes anxieux liés notamment au contrôle continu et à l’orientation.

Lise (certains lycéens ont requis l’anonymat) craint la crise d’angoisse. Mercredi 11 mai et jusqu’au 13, cette élève de terminale passera les épreuves de spécialité, qui comptent pour un tiers de la note du baccalauréat. Même si elle va mieux depuis quelques mois, la lycéenne lyonnaise a peur d’une rechute au plus mauvais moment. Après une année de seconde compliquée par des « relations toxiques » avec d’autres élèves, elle fait une crise d’angoisse en plein devoir sur table, en début de classe de première. « J’ai eu un trou noir et des bouffées de chaleur, je me répétais en boucle que je n’allais pas y arriver. Je suis sortie de la salle en tremblant en plein milieu du contrôle, j’avais perdu tous mes moyens », se remémore la jeune fille.

Lise passe une année de première chaotique, fait régulièrement des malaises lors des évaluations, au point d’avoir des difficultés à les passer. Elle s’accroche et continue malgré tout d’aller en cours. Le passage à l’enseignement hybride – un jour de cours au lycée, un jour de cours à distance, du fait de l’épidémie de Covid-19 – et l’absence non remplacée, pendant plusieurs mois, de son enseignant de la spécialité histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques ne calment pas ses appréhensions, bien au contraire. « Je pleurais tous les soirs, je n’arrivais pas à m’enlever de la tête que j’allais rater le bac. Heureusement, mes enseignants comme mes parents ont été bienveillants », dit-elle. Depuis décembre 2021, elle remonte la pente grâce à la psychologue qui la suit depuis la seconde, mais elle se sent encore fragile et reste sous anxiolytiques.

Lise fait partie des lycéens en burn-out scolaire. Le terme ne fait pas toujours consensus et le phénomène, caractérisé par un épuisement, une perte de sens et de motivation face à un stress chronique, est difficile à quantifier tant les indicateurs font défaut, mais les personnels de l’éducation nationale sont formels : les lycéens sont plus sujets qu’auparavant à l’anxiété, aux crises de larmes, voire à la dépression ou à la phobie scolaire.

Si de multiples facteurs entrent en ligne de compte dans le mal-être des adolescents, « l’angoisse de la performance », comme l’appellent les psychologues, n’est pas à négliger.

Océan d’incertitudes

« Cette année, trente élèves sur 1 200 bénéficient d’un PAI [projet d’accueil individualisé] avec des décharges de cours, car ils n’arrivent plus à tout gérer. Il y a encore trois ans, ils étaient à peine dix », constate Franck Antraccoli, proviseur à Nantes et secrétaire général du syndicat de chefs d’établissement ID-FO. « Les files d’attente devant nos infirmeries augmentent, et nous n’arrivons pas à répondre à toutes les demandes », s’inquiète Saphia Guereschi, infirmière dans l’éducation nationale et secrétaire générale du Snics-FSU, alors qu’on ne compte que 7 700 infirmières scolaires en France.

Les lycéens baignent dans un océan d’incertitudes depuis plus de deux ans. L’épidémie de Covid-19 est venue percuter la mise en place des réformes du lycée et du bac. Annulation ou report d’épreuves, passage à l’enseignement à distance et confinements ont bouleversé leurs conditions de travail, si bien qu’un élève de terminale, en 2022, n’aura suivi aucune année scolaire « normale » au lycée. Le contrôle continu, qui compte pour 40 % de la note finale du baccalauréat, associé à la perspective de Parcoursup, joue aussi sur leurs nerfs.

Anna Dreuil, enseignante de sciences économiques et sociales, remarque les stratégies d’évitement, conscientes et inconscientes, de ses élèves à chaque évaluation : « Ils ont mal au ventre, mal à la tête, sont absents pour ne pas faire chuter leurs moyennes. Ils ont complètement intégré la logique de sélection du système. » La cosecrétaire générale de l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales observe aussi leur consultation compulsive du logiciel Pronote. « Certains élèves ouvrent l’application dix fois par jour. Les émotions sont vives quand une note tombe », s’effraie l’enseignante.

« Je pleure beaucoup »

L’impression de « jouer sa vie à chaque évaluation » domine, sans toujours connaître en plus précisément les règles du jeu de Parcoursup. Maud en a fait l’expérience. Cette lycéenne des Deux-Sèvres veut entrer à Sciences Po Paris l’année prochaine. « Mes enseignants m’ont aidée à préparer mon dossier, mais ils avaient du mal à me dire sur quels critères précis j’allais être jugée », confie-t-elle.

Y a-t-il un profil d’élève plus sujet à l’angoisse, voire au burn-out, que d’autres ? De l’avis des enseignants interrogés, les bons élèves, alors qu’ils ont de bonnes notes, sont plus angoissés. « Je pleure beaucoup chez moi le soir quand je me rends compte de tout ce que j’ai à faire », confie Kassandra, qui prépare un double bac français-espagnol près de Lyon.

Dans ce nouveau système, ceux qui se laissaient vivre pour bachoter au dernier moment sont également davantage soumis à la pression. Louane, qui souffre d’insomnie depuis deux ans, a fini par perdre toute motivation. Depuis décembre 2021, cette bonne élève n’arrive plus à travailler, alors que les échéances arrivent. La lycéenne nantaise n’en peut plus : « J’en ai marre de cette pression permanente, entre les notes et Parcoursup. Nos enseignants nous demandent combien de temps on passe chaque soir à réviser. C’est aberrant : on a le droit d’avoir une vie à côté. »

Cette pression s’installe de plus en plus en tôt, dès la classe de seconde. Deborah, qui enseigne le français à Paris (elle a requis l’anonymat), s’en rend compte. Pour la première fois cette année, plusieurs élèves ne lui ont pas rendu la fiche de dialogue sur l’orientation à la fin du deuxième trimestre, dans laquelle ils formulent leur souhait d’enseignements de spécialité. « Il n’y aura pas d’avenir, madame », a-t-elle entendu. « Ils attendent qu’on choisisse pour eux, car ils sont pétrifiés par les conséquences de leurs décisions », note l’enseignante, qui regrette que « toute note soit devenue une sanction » avec le contrôle continu.

« Questions existentielles »

Sylvie Amici, présidente de l’Association des psychologues de l’éducation nationale, s’aperçoit également de cette difficulté des adolescents à se projeter. « Pourquoi choisir un métier ? Quel sens cela a de faire des études ? », entend-elle parfois quand elle parle de projet d’orientation. « La pandémie ne leur a pas permis de vivre des expériences qui aident à se construire. La crise climatique, la guerre en Ukraine ajoutent à l’anxiété. Les questions existentielles comme “qu’est-ce que je vais devenir ?” ou “qu’est-ce que je vais faire de ma vie ?” se posent de manière forte », analyse la spécialiste de l’orientation.

Les parents se retrouvent désemparés face au mal-être de leurs enfants. Emilie, qui préfère rester anonyme, est tombée de haut. « Je ne savais même pas que cela pouvait exister », se désole cette mère dont le fils ne va plus au lycée depuis deux ans. Brillant élève de seconde, Erwan a décroché en quelques semaines en début de première. « Il est rentré de son premier devoir de maths en disant qu’il avait tout raté et que, pour Parcoursup, c’était foutu », se remémore Emilie. Il voulait alors entrer en prépa. Les angoisses montent crescendo, si bien que, quelques mois plus tard, Erwan n’arrive plus à sortir de son lit pour aller au lycée.

La pression scolaire a été le facteur déclenchant de la dépression. Suivent de longs mois d’attente avant de pouvoir trouver la prise en charge adaptée. « Au départ, on n’y croit pas du tout. On se dit que c’est la crise d’adolescence », souligne Emilie.

Depuis, elle a changé de regard sur le système scolaire : « On veut faire de nos enfants des chevaux de course. Il faut être performant, performant, performant… Mais que se passe-t-il quand ça craque ? Qu’est-ce qu’on leur propose ensuite ? » Son fils a repris doucement des cours à distance, après plus d’une année complète d’interruption.


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