par Virginie Ballet publié le 10 mars 2022
C’était une revendication de longue date de nombre d’associations de consommateurs et d’utilisatrices : mettre fin à l’opacité qui règne sur la composition des produits d’hygiène féminine. Le gouvernement s’apprête enfin à agir : le ministre de la Santé, Olivier Véran, a annoncé ce jeudi la publication prochaine d’un décret obligeant les fabricants à afficher clairement sur les emballages des tampons, serviettes et autres coupes menstruelles la liste de leurs composants, par ordre décroissant, selon leur poids au moment de leur fabrication, selon des informations de Libération et de France Inter. Ces informations devront figurer de manière «indélébile, visible, compréhensible et en langue française» sur les boîtes de «tous les produits d’hygiène intime interne ou externe» pour adultes commercialisés en France, même s’ils sont fabriqués hors de l’Hexagone, selon les précisions apportées par le ministère de la Santé à Libération. Pour autant, les pourcentages exacts de chaque composant ne seront pas affichés. «Ce décret sera contraignant et ne pourra plus être contourné, contrairement à une charte, qui n’engagerait que ceux qui veulent bien la signer», a souligné ce jeudi le ministre de la Santé lors d’un échange avec les associations Règles élémentaires, Georgette Sand, ainsi que la force juridique de la Fondation des femmes, auquel Libération a assisté. Ce mouvement de transparence, a-t-il jugé, «pousse vers davantage d’exemplarité, une consommation raisonnée et, donc, une production raisonnée».
Les industriels seront aussi tenus d’afficher les précautions d’utilisation relatives à la prévention du syndrome du choc toxique(affection rare et potentiellement mortelle due à la présence d’un staphylocoque doré), tels que le lavage des mains ou le temps de port maximal préconisé pour les tampons. Les symptômes devant conduire à consulter, comme des nausées, fortes fièvres ou éruptions cutanées, devront eux aussi être mentionnés, pour«renforcer l’information et la transparence, et améliorer la sécurité des femmes», insiste-t-on au ministère. Le décret devrait être publié«au plus tard» au 1er janvier 2023, précise-t-on encore rue de Ségur, puisque des consultations se poursuivent avec les industriels. Le texte devra ensuite être approuvé par la commission européenne,et validé par le Conseil d’Etat. Le ministère de la Santé vante un projet «robuste», élaboré durant plusieurs mois en collaboration avec les associations.
«Résidus de substances potentiellement toxiques»
Du côté de ces associations, justement, la victoire est teintée de quelques regrets. Car ce projet de décret ne réglera pas la question des éventuelles traces de produits toxiques présentes dans certains de ces produits, ainsi que l’ont révélé plusieurs travaux ces dernières années : seuls les produits ajoutés par le fabricant devront être rendus publics, mais pas ceux qui peuvent intervenir à d’autres étapes du processus, comme en amont, lors de la culture du coton. Selon une enquête parue en 2016 dans 60 Millions de consommateurs, «des résidus de substances potentiellement toxiques ont été retrouvés dans cinq [des] onze références analysées». Le magazine relevait entre autres des traces de dioxines (polluants industriels) chez deux des marques étudiées, ainsi que des traces de glyphosate dans des protège-slips, retirés de la vente depuis.
Saisie de cette question, l’Agence nationale de la sécurité sanitaire alimentaire (Anses) a relevé, dans son dernier rapport sur le sujet, publié en décembre 2019 à la demande des ministères de la Santé et de l’Economie, que «des substances chimiques ont été identifiées […], en très faible concentration et sans dépassement des seuils sanitaires» fixés par la Commission européenne. L’Anses recommandait, en outre, que les fabricants «améliorent la qualité de ces produits afin d’éliminer ou de réduire au maximum la présence des substances chimiques», principalement des dioxines, phtalates et pesticides. Les taux relevés, insiste quant à lui le ministre de la Santé, «ne présentent aucun risque pour les utilisatrices à ce stade».
«Allégations trompeuses»
Du côté des contrôles, pas de changement : ils continueront d’être effectués par l’Anses et la répression des fraudes (DGCCRF), dont le dernier rapport, portant sur les serviettes réutilisables, les culottes menstruelles et les tampons à usage unique bio ou réutilisables, a été publié mardi. Au total, 24 références ont été passées au crible. Les analyses «n’ont pas mis en évidence de risque pour les utilisatrices». Pour autant, relève la répression des fraudes, «un travail pourrait toutefois être mené par les opérateurs pour améliorer la qualité des produits d’hygiène féminine sur le plan des substances chimiques résiduelles». En outre, plusieurs marques se sont fait taper sur les doigts pour des «allégations trompeuses»relevées sur les produits lavables, telles que des mentions «zéro toxique» ou «garanties sans toxiques».
Or, relève la DGCCRF, «de telles allégations ne peuvent pas être garanties ou prouvées car des contaminations sont susceptibles d’intervenir tout au long de la chaine d’approvisionnement, de production et de stockage». Au total, sept avertissements et sept injonctions de se mettre en conformité ont été délivrés à ces fabricants. Selon la répression des fraudes, en cas de refus de se mettre en conformité, ces fabricants encourent jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende, pour pratiques commerciales trompeuses. Concernant le futur décret, tout manquement sera passible d’une contravention de 1 500 euros. «En cas de récidive dans la durée, les industriels s’exposeront au retrait pur et simple des produits», a assuré Olivier Véran jeudi.
Maud Leblon, directrice générale de l’association Règles élémentaires, qui lutte contre la précarité menstruelle, salue «un premier pas» avec la publication prochaine de ce décret gouvernemental, mais déplore que l’interdiction pure et simple de l’utilisation de produits potentiellement toxiques ou irritants, comme les agents parfumants, n’ait pas été retenue. «C’est une bonne chose d’avoir la liste des produits, mais cela ne dit pas aux femmes comment les lire et les analyser. Pourquoi ne pas surligner en gras les produits potentiellement dangereux, dont l’Anses préconise de limiter l’utilisation, ou créer une sorte de score d’hygiène, sur le modèle du nutriscore ?» questionne la responsable, jointe par Libé. «Ces produits ne sont pas considérés comme liés à la santé, mais comme des biens de consommation. Ce qui veut dire qu’en pratique ils sont moins réglementés qu’un rasoir ou du sparadrap. Tout cela participe du tabou des règles», poursuit Maud Leblon, bien décidée, elle le promet, à «maintenir une saine pression» sur ces questions. Même son de cloche chez Marie-Paule Noël, du collectif Georgette Sand, lui aussi impliqué dans la mobilisation pour plus de transparence : «Nous resterons vigilantes, pour que d’autres études d’ampleur soient menées sur la potentielle dangerosité de certains résidus retrouvés dans les protections.»
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