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dimanche 6 mars 2022

Guerre en Ukraine : « Inutile de dire aux enfants que cette guerre ne les touche pas, qu’elle est trop loin »

Propos recueillis par   Publié le 5 mars 2022

Alors que le conflit fait rage, la pédopsychiatre Marie Rose Moro souligne qu’il est essentiel d’en parler aux enfants, de leur expliquer en adaptant le discours en fonction de leur âge.

Marie Rose Moro, pédopsychiatre, dirige la Maison de Solenn, maison des adolescents de l’hôpital Cochin. Elle a coordonné, entre autres ouvrages, le numéro de la revue L’Autre sur « Les enfants et la guerre » (n° 62, 2020). Alors que le conflit en Ukraine rencontre un fort écho auprès des plus jeunes, « parler est essentiel », souligne-t-elle à l’adresse des parents, mais en veillant à s’adapter à l’âge des enfants.

Nous avons tous le sentiment de passer d’une crise à l’autre, voire de cumuler les crises – crise sanitaire, crise terroriste, crise climatique, et maintenant crise géopolitique. Cela joue-t-il aussi sur l’état psychologique des plus jeunes ?

Oui, cela joue, nécessairement. Gardons en tête qu’historiquement la pédopsychiatrie s’est imposée avec la seconde guerre mondiale, lorsque nous avons pris conscience des effets des guerres sur les enfants. Longtemps, nous les avons sous-estimés. Nous pensions les enfants plus à l’abri, moins concernés. Or les plus jeunes sont bien les premières victimes des conflits.

Avec l’Ukraine, le facteur de proximité doit absolument être pris en compte ; il aggrave l’effet violent ressenti par les enfants. D’autant que cette guerre intervient dans le sillage d’une crise sanitaire qui a accru les situations d’angoisse. Le phénomène est documenté partout dans le monde : non seulement le Covid-19 a fait s’envoler les situations d’urgence psychologique et psychiatrique mais il a, dans le même temps, fragilisé les institutions en rendant plus difficile l’accès aux soins. Ce cumul a de fortes conséquences sur les jeunes générations.

Faut-il parler de la guerre à tout âge ? Attendre que nos enfants posent des questions ou, au contraire, les devancer ?

Parler est essentiel. En s’adaptant à l’âge de l’enfant, et en choisissant un moment où l’on est, soi-même, pas trop inquiet pour mettre des mots sur les événements et les émotions.

Avant 3 ans, on ne va pas attendre que des questions soient posées – elles ne le seront pas. Mais si l’on sent son enfant inquiet, si l’on voit par exemple qu’il change de comportement, on peut nommer les choses, la « guerre ». Cela peut aider. Entre 3 et 6 ans, face à des petits qui auront entendu parler du conflit mais éprouveront des difficultés à se le représenter, il faudra chercher à comprendre ce qu’ils ont en tête. Faire preuve de justesse et d’authenticité. Apporter des réponses sans pousser l’échange trop loin.

Après 6 ans, je crois, en revanche, qu’il ne faut pas hésiter à organiser des petits temps de discussion, par exemple à partir d’une carte simplifiée, en nommant les pays. Inutile de dire aux enfants que cette guerre ne les touche pas, qu’elle est trop loin. Rassurer l’enfant, c’est prendre au sérieux ses inquiétudes, ne pas les évacuer.

Faut-il adopter une autre démarche avec les adolescents, qui ont leurs propres cercles d’échanges et de sociabilité ?

Avec eux, aussi, il faut s’emparer du sujet, sans hésiter à ouvrir la discussion à l’histoire, à la géopolitique, mais aussi aux valeurs, à la morale, aux principes… Ce sont des sujets auxquels nos adolescents sont très sensibles ; ils ne comprendraient pas qu’on les mette de côté. Avec eux, qui passent un temps difficile à mesurer devant les écrans, il faut aussi veiller au maintien d’autres centres d’intérêt, d’autres envies.

N’est-il pas temps, justement, de filtrer l’accès aux réseaux sociaux ?

Je n’y crois pas. Les collégiens et les lycéens ont accès via TikTok ou Instagram à des images et des témoignages auxquels nous, adultes, n’avons pas toujours accès. Je pense avant tout nécessaire de leur donner des éléments d’information pour pondérer ce qu’ils voient ou ce qu’ils entendent. Maintenir un dialogue avec eux autour des flux d’information est essentiel. Les enseignants, autant que les parents, ont, dans ce contexte, un rôle fondamental à jouer : les premiers incarnent pour leurs élèves l’autorité des savoirs, les seconds, un soutien informatif mais aussi (et surtout) affectif. Ensemble, sur ces deux modes – informatif et affectif –, ils aident le jeune à faire face à la situation.

L’anxiété est-elle plus présente à un âge qu’à un autre ?

Elle peut être présente à tous les âges mais sous des formes différentes. Les plus petits – je pense aux bébés – ressentent que les adultes autour d’eux, leurs parents, sont inquiets. A un âge où l’on ne maîtrise pas, ou pas tout à fait, le langage, on est aussi plus sensible aux messages non verbaux. Entre 3 et 10 ans, les enfants entendent parler de la guerre à la maison, à l’école ; certains voient aussi des images du conflit. A partir des mots et des images attrapés au vol, ils peuvent être tentés d’imaginer du faux, du pire. Chez eux, les symptômes d’anxiété sont souvent somatisés – maux de ventre ou de dos, mal aux jambes…

Chez les collégiens et les lycéens, les manifestations sont encore différentes ; à l’anxiété se mêlent des sentiments d’injustice, de colère, d’incompréhension de l’usage de la guerre. Cela peut augmenter la déception ressentie à l’égard du monde des adultes vers lequel ils sont pourtant en âge de glisser, et majorer des symptômes dépressifs propres à cette étape de transition.

Y a-t-il encore une insouciance chez nos enfants ? Y en a-t-il déjà eu une ?

Les crises à répétition empiètent sur cette insouciance pourtant si nécessaire durant l’enfance. Le contexte laisse très peu de temps et de liberté aux plus jeunes. Or, on a déjà le sentiment que le temps de l’enfance s’est raccourci, et que celui de l’adolescence démarre plus tôt. Aux adultes de veiller à préserver, autant que faire se peut, cette insouciance en favorisant les temps de jeux, de plaisir, d’échange. Il en va de la capacité des enfants à rêver et à se projeter.


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