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samedi 12 mars 2022

Journal d'épidémie Deux ans en première ligne à échapper au Covid et là... positif

par Christian Lehmann, médecin et écrivain   publié le 11 mars 2022

Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour «Libération», il tient la chronique régulière d’une société suspendue à l’évolution du coronavirus. Aujourd’hui, il raconte comment il a été rattrapé par le Covid après deux années de précautions et des dizaines de tests négatifs.

Mercredi 2 mars. Une journée comme les autres, sinon que dans l’après-midi, je vaccine des enfants en centre. Peu de monde, la campagne vaccinale des 5-11 ans n’a jamais décollé en France, à la différence de nos voisins européens. Alors qu’en Espagne et au Portugal, près de 60 % des enfants ont été vaccinés, en France on plafonne à moins de 6 %. Les pouvoirs publics se sont très peu impliqués, voulant éviter un tollé du côté des antivax et vaccinosceptiques. La longue omerta au cours de l’été 2021 autour des réels effets indésirables vasculaires chez l’adolescent de sexe masculin a échaudé de nombreux parents. Il aurait pourtant été plus simple et plus honnête d’expliquer qu’il existait un faible signal en faveur de rares myocardites (dont la très faible fréquence et l’évolution constamment bénigne furent mises en évidence en novembre 2021).

Cette transparence aurait rendu plus audible le fait que la dose pédiatrique utilisée dans la classe d’âge inférieure (5-11 ans) ne s’accompagne d’aucun effet de ce type. Et enfin la déferlante omicron a découragé de nombreux parents, qui passent leur temps à courir de l’école vide mais ouverte à la pharmacie pendant que leurs enfants slaloment entre les virus. Nous essuyons ainsi chaque jour depuis décembre de nombreux désistements parce que l’enfant qui devait se faire vacciner a le Covid.

L’après-midi est longue, et dans ce vaste espace aéré, la tentation de baisser le masque FFP2 est grande. Parce qu’aujourd’hui le masque me gêne. Normal : je suis enrhumé. Alors c’est pénible, cette sensation de sécheresse constante. Je sors du centre et vais m’asseoir dans l’herbe à l’extérieur en regardant couler la Nive. Le soir, de retour à la maison, je me teste, par acquit de conscience. Pour la cinquantième fois probablement depuis le début de la pandémie. Négatif, évidemment. J’ai reçu des patients au cabinet pendant des mois, travaillé en Covidrome puis en centre vaccinal, toujours porté des FFP2, même quand la France n’avait pas de masque chirurgical. Evidemment que je suis négatif, cette blague…

Deux traits rouges

Jeudi 3 mars. «Tu tousses… mets ton masque, me dit ma femme.

— Mais les fenêtres sont ouvertes… et je me suis retesté ce matin, tant qu’à être parano, autant y aller à fond : négatif !

— Ben tu le dis toi-même, on peut être négatif au début… Si tu es symptomatique, tu mets un masque, comme tout le monde.»

Nous sommes en voiture et en ronchonnant, je mets mon masque. Ce n’est quand même pas à moi qu’on apprend les mesures barrière, merde.

Toute la journée je toussote. Je reconnais bien les signes de la rhinopharyngite, et je me fais la remarque que c’est la première depuis plus de deux ans. L’hygiène des mains, et le port du masque, ont radicalement diminué ce type de désagrément. Le soir, ayant déposé les sacs de courses à la maison, je me teste à nouveau. J’en ai tellement fait, des PCR en centre, des antigéniques, que je n’y prête pas plus attention que ça. Je finis de mettre la table, je ramasse la cassette pour la foutre à la poubelle. Deux traits rouges.

«Merde. Je suis positif

— C’est une blague ?

— Non, je suis positif

— On a passé la journée en voiture, je vais le choper.

— Mais non, j’avais mon masque !

— Mais tu n’as pas arrêté de te moucher !

— Mais je ne peux pas me moucher avec le masque !»

Je m’enferme dans une chambre. Ma femme se teste, elle est négative pour l’instant. J’appelle les rares personnes que j’ai vues pendant les deux jours précédents, dont un ami avec qui j’ai fait un bref aller-retour en voiture en déchetterie, fenêtres ouvertes là aussi, sans masque. Il a été légèrement enrhumé comme moi, mais rien de plus.

Vendredi, samedi, dimanche se suivent. Un tunnel. Je ne fais rien, je ne peux rien faire. Je suis triple vacciné, je n’ai pas à affronter les angoisses de ceux qui chopaient un Covid au début, et c’est probablement un omicron, sans atteinte pulmonaire. J’ai de la fièvre, mais ma saturation en oxygène ne descend jamais en dessous de 95. Le plus perturbant, c’est intellectuellement. Rien n’imprime, rien n’avance, j’ai l’impression que mon cerveau mouline constamment sans avancer, comme une mise à jour Windows complètement plantée. Des patients m’envoient des messages, demandent des informations, des téléconsultations. Des administrations me relancent pour des paperasses. Je ne peux répondre à rien. Je fais savoir à Libé que j’ai le Covid, et j’apprends que, malgré la promesse des jours heureux, beaucoup de personnes connaissent quelqu’un qui a le Covid actuellement.

Quelques minutes d’inattention

Lundi, mardi, mercredi. Ce n’est guère mieux. Mes symptômes sont d’une banalité extrême mais je serais incapable de travailler, de faire un effort. Je sais pertinemment que l’administration hospitalière a poussé des soignants malades à poursuivre leur activité, mais j’en serais incapable, et avec le recul je me demande si ce n’est pas la meilleure manière d’occasionner des séquelles cognitives même minimes, cette tentative de «surmonter» en force le brain fog, le brouillard cérébral des premiers jours. Ma femme, très prudente, est restée négative. Je poursuis l’isolement, d’autant que je suis toujours positif. J’annule tout ce qui était prévu, une séance de vaccination que je refile à un collègue, un déplacement à Paris pour une émission télé programmée pour la sortie de mon livre Tenir la ligne, chronique d’une pandémie. La seule émission que j’aurais faite en direct en plateau depuis le début du Covid, tant j’ai fui les foires d’empoigne médiatisée. «Ces raisins sont trop verts, etc.»

J’arrive à me concentrer suffisamment pour écrire une chronique,dans laquelle je parle de l’illusion de la fin du Covid. Ça fait maintenant un mois que j’ai l’impression de me répéter, de ressasser que la fin du port du masque à l’intérieur, sans information sur l’aérosolisation, sans investissement sur l’aération des locaux, est une décision incohérente. Un mois que je tente d’alerter sur le sort fait aux immuno-déprimés, que le vaccin ne protège pas, et sur le risque pour les enfants. Et au fond de moi je sais que malgré ces prises de position, au quotidien je me suis fait avoir comme un bleu. J’ai beau résister en paroles, en écrits. Le fond de l’air, la petite musique des jours heureux à venir, la minimisation constante du risque résiduel, j’y ai moi-même succombé. J’ai passé près de deux ans parmi les soignants, en première ligne, sans jamais baisser la garde, et chopé le Covid pendant quelques minutes d’inattention, sur un court trajet en campagne dans une voiture aux fenêtres ouvertes avec un ami asymptomatique. J’ai failli infecter ma femme. J’aurais pu infecter d’autres amis. Je fais part de mon état à quelques journalistes qui ont reçu un exemplaire presse de mon livre et l’une me répond par SMS : «T’as conscience que se choper le Covid en mars 2022, c’est comme se faire buter par les Allemands une semaine après la libération de Paris ?» Voilà, bravo. Je meurs entouré de sarcasmes.


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