Publié le 04 août 2021
Dans l’attente de la décision du Conseil constitutionnel, le 5 août, un collectif de psychiatres s’alarme, dans une tribune au « Monde », du fait que les malades atteints de souffrance mentale et sans passe sanitaire puissent être bannis de soins.
Tribune. Il fut un moment de cette pandémie où une « vague psychiatrique » avait été constatée. La souffrance mentale était alors reconnue. Avec l’obligation de présenter un passe sanitaire pour les patients ayant des soins programmés dans les hôpitaux, notamment pour les centres médico-psychologiques (CMP), les préoccupations pour les personnes souffrant de troubles mentaux semblent reléguées au second plan.
Comment accepter que des personnes ayant besoin de soins et qui s’adressent à l’hôpital puissent être refoulées parce qu’elles n’ont pas de passe sanitaire ? Non seulement ce positionnement est déontologiquement et éthiquement inacceptable pour des soignants, mais ils pourraient en outre être accusés d’un défaut de soins.
Alors que les droits des patients en psychiatrie font l’objet d’une attention soutenue autour de l’isolement et de la contention, avec le passe sanitaire deux principes constitutionnels sont honteusement bafoués : la liberté d’aller et venir à l’hôpital et la protection de la santé en désirant se faire soigner.
L’obligation de présenter le passe sanitaire pour les soins programmés amène plusieurs réflexions :
Déontologie et éthique
– Le refus d’accès à des soins sans présentation d’un passe sanitaire par les patients consultant en psychiatrie est rejeté par la majorité des psychiatres et des soignants pour des raisons déontologiques et éthiques, d’autant que le besoin en santé mentale et les troubles mentaux se sont accentués avec la pandémie, notamment chez les jeunes.
Accepter la demande de soin répond à l’obligation déontologique de soigner de la part des professionnels de santé, mais permet aussi un accompagnement pédagogique pour prodiguer une information claire et adaptée afin d’apaiser les angoisses sur la vaccination, d’autant plus quand le dialogue bénéficie de la confiance qui existe entre un patient et son médecin ou ses infirmiers et facilite grandement l’adhésion à la vaccination ;
– La demande de soin des patients sans passe sanitaire ne peut qu’être acceptée compte tenu de leur vulnérabilité, tout en poursuivant tous les gestes barrières et l’éducation à la santé bien rôdés depuis le début de la pandémie ;
– Certains patients psychiatriques, et notamment au vu de leurs troubles cognitifs, peuvent être démunis pour accéder à la vaccination ou présenter un passe sanitaire, que ce soit sous format papier ou numérique. Tous n’ont pas ou ne savent pas se servir d’un smartphone où peuvent tout simplement oublier de le porter sur eux pour se rendre à la consultation. Faut-il rappeler aux autorités que la fracture numérique existe et que l’accès aux soins n’est pas égalitaire parmi la population ?
Enfants et les adolescents fragilisés
– « Trier » entre patients possesseurs ou non d’un passe sanitaire aggrave une fracture sociale déjà bien ouverte. Ce tri risque de créer une opposition entre soignants obligés de se vacciner et détenteurs d’un passe sanitaire, et patients n’ayant pas de passe sanitaire qui se verront rejeter par des soignants exaspérés et en tension professionnelle depuis un an et demi ;
– Les enfants et les adolescents ayant été particulièrement fragilisés depuis le début de la crise sanitaire, les pédopsychiatres doivent continuer à recevoir les familles de leurs patients, qu’ils aient ou non en leur possession un passe sanitaire, cela est absolument essentiel aux soins des personnes mineures ;
– Les soins aux personnes détenues présentant des troubles psychiatriques et somatiques dans les unités sanitaires en milieu pénitentiaire devraient-ils se limiter à celles qui peuvent présenter un passe sanitaire ? Et quelle est la lisibilité de la campagne de vaccination dans les prisons ?
– Les tensions entre soignants peuvent aussi apparaître en opposant ceux qui exigent le passe sanitaire et ceux qui s’en « passent », sans oublier les positionnements des directions qui auront à gérer ces tensions qui pourraient dégénérer en conflits sociaux.
– Cette obligation peut conduire à de nouveaux retards dans les prises en charge avec les conséquences délétères que l’on connaît.
Plutôt qu’éloigner des patients des services de soin, il serait plus adapté, et fortement nécessaire, de favoriser les accompagnements vers les lieux de vaccination pour les patients les plus démunis sur le plan psychologique. Il faut espérer que l’avis du Conseil constitutionnel attendu pour le 5 août contribuera à l’adoption de mesures nécessaires, adaptées et proportionnées.
Liste des signataires : Blandine Barut, présidente de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP) ; Marie-Josée Cortes, présidente du Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH) ; Claude Finkelstein, présidente de la Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie (Fnapsy) ; Claude Gernez,président de la Fédération française de psychiatrie (Fédépsychiatrie) ; Delphine Glachant, présidente de l’Union syndicale de la psychiatrie (USP) ; Pascal Mariotti, président de l’Association des établissements du service public de santé mentale (Adesm) ; Marie-Jeanne Richard,présidente de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam) ; Norbert Skurnik, président par intérim de l’Intersyndicale de défense de la psychiatrie publique (Idepp) ; Michel Triantafyllou, président du Syndicat des psychiatres d’exercice public (SPEP).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire