Publié le 30 juillet 2021
La reconnaissance de l’altération du discernement comme motif de réduction de peine interroge sur le rôle du « psy » dans le procès pénal, relève le psychanalyste Jean Plissonneau dans une tribune au « Monde », analysant le verdict qui a condamné à trente ans de réclusion Hubert Caouissin, le meurtrier de la famille Troadec.
Tribune. Le récent procès de l’affaire Troadec à Nantes et la condamnation, le 7 juillet 2021, à trente ans de réclusion criminelle du paranoïaque Hubert Caouissin, meurtrier d’une famille entière massacrée à coups de pied de biche et chacun méthodiquement dépecé pour être réduit à quelques grammes de cendres, inscrit la psychiatrie comme un élément déterminant de la justice.
Il n’y eut ni émoi, ni manifestation, ni appel du parquet, pour protester contre cette décision relativement clémente au regard du verdict, confirmé en avril 2021 par la Cour de cassation, prononcé à l’encontre de Kabili Traoré, meurtrier de Sarah Halimi et déclaré non accessible à une sanction pénale pour cause d’abolition de son discernement au moment des faits, mais qui sera selon toute probabilité interné psychiatrique à vie.
Les expertises psychiatriques ont conclu à l’abolition du discernement pour Kabili Traoré et à l’altération pour Hubert Caouissin pour qui la réduction du quantum de la peine a été retenue « au-delà des espérances » selon ses avocats au rendu du verdict. Le grand schizophrène Kabili Traoré, en pleine bouffée délirante aiguë, aux prises avec ses hallucinations croyait jeter le diable du balcon dans son combat pour délivrer le monde du mal.
Le délire paranoïaque, pathologie courante et difficile à cerner
Il ne sortira probablement jamais de son hospitalisation en unité pour malades difficiles (UMD). La décompensation d’une grave schizophrénie ne le permettra certainement pas, et si l’amélioration était possible, personne ne se risquerait à signer la levée de l’hospitalisation : une perpétuité incompressible en quelque sorte. Le paranoïaque Hubert Caouissin, lui, pourra retrouver la liberté dès la mi-peine, soit dans onze ans environ, quatre années ayant déjà été effectuées. Sa compagne devrait retrouver la liberté dans quelques mois, après une année de prison seulement.
Comment expliquer cette décision de la présidente, de ses assesseurs et des six jurés ? Ils sont tous novices en psychiatrie alors que le délire paranoïaque représente l’une des pathologies à la fois les plus courantes et les plus difficiles à cerner. Comment faire entendre que le sujet paranoïaque peut être parfaitement adapté, intégré, et naviguer entre la partie saine de son esprit et son délire grâce aux défenses obsessionnelles, perverses, mégalomaniaques qu’il a mises en place avec son intelligence quand elle n’est pas atteinte.
Tout peut nourrir le délire et le délire peut nourrir le sujet. Le raisonnement, « la folie raisonnante » des aliénistes, comme le rappelle le Dr Daniel Zagury, expert psychiatre, est d’une pure logique. Le délire se construit pierre par pierre, et chaque élément qui se présente devient interprétable dans la logique du délire.
Le paranoïaque nous rend paranoïaque
Pour autant, peut-on dire que le sujet, guidé par cette logique dont le premier élément est faux mais les autres très justes au regard du premier, n’en est plus responsable ? Si la démonstration est séduisante − car il y a séduction dans la perfection d’un raisonnement parfaitement carré –, comme en mathématique, le résultat ne vaut rien. Les complotistes nous y confrontent régulièrement.
Cet effet de séduction, on peut le supposer, surgit de ce que nous sommes tous confrontés à la division qui nous plonge dans le doute où se logent nos affects et donc l’angoisse. Or, ce que nous propose le délire paranoïaque est parfait, sans manque, sans doute, sans affect. La force de l’accusé Hubert Caouissin et de ses avocats est d’avoir exposé la « pièce secrète » c’est-à-dire l’élément fondateur du délire, en l’occurrence le prétendu trésor caché, et mis la folie raisonnante au premier plan.
Le paranoïaque nous rend paranoïaque disait très finement Daniel Zagury à la barre. Connaissant parfaitement son dossier préparé par lui-même et ses avocats, l’accusé est indéboulonnable. Son récit autant que sa version des faits sont verrouillés et inattaquables. Même faux, ils produisent un effet de vérité.
Contourner le délire était une voie à suivre
Pouvait-on ne pas réduire la peine sans faire de l’accusé une victime ? Seule la présidente Karine Laborde, l’a brièvement fait vaciller en l’amenant après des heures d’interrogatoire, avec beaucoup d’humanité, sur le terrain de ses peurs, de l’aspect projectif de son délire. Une porte d’entrée dérobée qu’elle n’a pas continué de pousser mais qui aurait peut-être pu faire apparaître une autre vérité. Contourner le délire était une voie à suivre.
Un délire paranoïaque beaucoup plus courant est la jalousie amoureuse maladive. Le conjoint suspecté pourra montrer tous les signes de sa fidélité, se plier à toutes les exigences pour démontrer sa probité, le sujet interprétera chaque élément pour verrouiller sa conviction. Et à la faveur d’un nouvel élément déclencheur, il trouvera sa solution dans le passage à l’acte. Des coups, voire pire.
Parallèlement, ce même sujet sera décrit comme charmant, serviable et parfaitement adapté à la société avec parfois quelques étrangetés. Dans une telle situation, retiendra-t-on l’altération du discernement ? Elle existe évidemment mais n’existe-t-elle pas aussi dans la colère, la passion, la prise de toxiques, le fanatisme ? Dans l’état amoureux simplement ?
Le délire paranoïaque, au cœur des débats d’assises
A l’heure où s’allonge la lugubre liste des féminicides, il est fort à parier que le délire paranoïaque se retrouvera de nombreuses fois au cœur des débats d’assises. Si l’altération doit être retenue par la justice, doit-elle pour autant réduire le quantum de la peine ? Et de quelle manière ? Qu’en sera-t-il du « meurtre sur conjoint » qui est pourtant censé alourdir la peine systématiquement ?
Peut-être la difficulté tient-elle dans l’appréhension du mot délire dans le cas du paranoïaque. Ce mot évoque immédiatement la folie, la perte de la réalité, l’hallucination. Il est beaucoup plus adapté à des pathologies telles que la schizophrénie, la paraphrénie, la grande crise maniaque, etc.
Dans le cas du paranoïaque, on pourrait l’entendre comme ce qui est devenu dans le langage courant de la jeune génération l’expression d’une particularité de la pensée chez un sujet pour le reste ordinaire. Ce qui en fait un délire au sens psychiatrique est que la conviction devient immuable et peut devenir envahissante. Penser pour autant que le sujet ne sait pas ce qu’il fait est une erreur.
Le psy est là pour comprendre sans juger
Dans cette affaire, la psychiatrie, au cœur des débats, vient-elle servir ou desservir la justice ? Le psy est là pour comprendre sans juger. Comment expliquer sans excuser ? Comment respecter la douleur des parties civiles qui pourraient se sentir une deuxième fois meurtries ? Enfermer à vie n’est pas soigner, certes, mais si l’altération du discernement entraîne une réduction de peine, comme dans ce verdict, quel encadrement faut-il imaginer pour l’accompagner ?
Le ministère public avait requis contre Hubert Caouissin une perpétuité assortie de 22 ans de peine de sûreté pour ce crime considéré par les témoins et par les magistrats comme l’un des plus « abominables ». Finalement, il fera quinze ans de prison. Cela ne peut que laisser perplexe quant à la manière d’appréhender la psychiatrie aux assises.
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