par Eva Moysan publié le 29 juillet 2021
Des tentes rouges, vertes et grises sont plantées dans le square propret de la très chic place des Vosges. C’est au cœur du IVe arrondissement de Paris que le collectif Réquisitions – dont le DAL ou Utopia 56 – a décidé d’organiser sa septième installation. Leur but : rendre visible la situation des personnes sans abri dans la capitale et leur trouver une solution d’hébergement. Entre 400 et 600 d’entre eux sont sur la place reconnaissable à ses immeubles en brique rouge.
Loin des tensions policières comme sur la place de la République, en novembre dernier, l’ambiance est légère en ce jeudi après-midi estival. Des enfants jouent dans la fontaine qui s’est remplie de mousse, des vacanciers se posent dans l’herbe un livre à la main, à côté de jeunes sans abri, la mine fatiguée. Une femme âgée, dont le sac en plastique siglé d’une marque de luxe signale un achat récent, traverse l’allée centrale, manifestement interloquée. Un peu plus loin, un groupe de bénévoles se lance dans une distribution de sandwiches. Trois jeunes lycéens observent, un peu amusés, ce mélange des genres en dégustant leurs glaces.
«Seule façon de se faire entendre»
Les associations du collectif ont prévu d’occuper le square tant qu’une solution d’hébergement n’aura pas été proposée à toutes les personnes sans-abri présentes. «On envoie régulièrement des alertes aux pouvoirs publics mais on n’a jamais aucune réponse. La seule façon de se faire entendre, c’est d’occuper des lieux», résume Kerill Theurillat, coordinateur de l’antenne parisienne de l’association Utopia 56. Il demande l’application de mesures de réquisitions des logements vacants, une mesure peu coûteuse qui pourrait mettre à l’abri des milliers de personnes dans la capitale, selon lui.
Les militants ont rassemblé les personnes qu’ils suivent régulièrement, habituellement disséminées dans la capitale et surtout dans la banlieue nord. Des petits groupes se sont formés. Une bande de jeunes d’origine africaine esquisse quelques pas de danse sur la chanson Ramenez la coupe à la maison. Ce sont des mineurs exilés, que suit l’association Timmy. La plupart d’entre eux ont été décrétés majeurs lors du premier entretien réalisé par la Croix-Rouge et ont déposé un recours devant le tribunal pour essayer de prouver qu’ils ont moins de 18 ans.
C’est le cas d’un jeune camerounais, qui ne préfère pas donner son prénom et propose qu’on l’appelle Killian, «comme Mbappé !»s’enthousiasme un autre. Il est à la rue depuis le 16 juillet, après trois mois à l’hôtel. «C’est très dur, je dors mal, je fais des cauchemars», raconte-t-il. Killian montre une sorte de pustule, sur son doigt, qui le fait souffrir. Il s’est blessé dans la rue et il n’arrive pas à la soigner. «Je veux juste aller à l’école, faire une formation et travailler dans la mécanique», réclame-t-il, le regard un peu désespéré.
La présidente de l’association Timmy, Espérance Minart, dénonce une politique «irresponsable», qui pousse les jeunes sans ressources dans les bras des réseaux de trafiquants. Elle déplore que l’Aide sociale à l’enfance (ASE), «qui devrait les prendre en charge», se repose sur le travail des associations et de leurs bénévoles. Elle fait le même constat qu’Utopia 56 : seules les installations sur les places publiques fonctionnent pour qu’on fournisse un logement à ces jeunes sans abri.
Omba Chanty s’est installée dans une tente dans un coin plus familial. Cette Congolaise d’une quarantaine d’années est à la rue avec ses quatre enfants depuis un mois et demi, après le rejet de sa demande d’asile. En ce moment, ils dorment tous ensemble près de Bercy dans des tentes. Mais cette situation ne peut plus durer : «Mes enfants vont à l’école depuis 2019, ils ont besoin de stabilité.»L’une de ses filles court dans tous les sens, ses tresses aux perles multicolores tressautant dans les airs. A mesure que la rentrée approche, Omba s’inquiète. «Ça peut vraiment dérouter les enfants dans leur apprentissage», s’alarme-t-elle.
L’après-midi s’écoule et les discussions de relogement avec la préfecture avancent lentement. Les associatifs se résignent déjà à passer la nuit sur place mais espèrent une proposition d’hébergement demain. «Il faut une solution rapide, quitte à passer par des gymnases dans un premier temps», prône Léa Filoche, adjointe à la mairie de Paris en charge des solidarités, qui a fait le court déplacement depuis l’hôtel de ville. Elle espère que le square, qui doit fermer à minuit, garde ses portes ouvertes toute la nuit. «On ne peut pas enfermer les gens», estime-t-elle.
L’adjointe est également venue sur la place en espérant que cela convainc les services de police de ne pas intervenir. «Une vraie crainte», même si elle note que les forces de l’ordre se font discrètes. Après une première ronde lors de l’installation des tentes, les uniformes ont vite disparu de la place.
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