Publié le 6 juillet 2021
Alors que l’OMS déplore que le virus circule plus vite que les vaccins, l’Union européenne se refuse à soutenir la levée des brevets dans les négociations à l’OMC. Un collectif de chercheurs et de professionnels de santé et du secteur associatif défend, dans une tribune au « Monde », un droit universel à la santé.
Tribune. Alors que plus de 2,5 milliards de doses de vaccin ont déjà été administrées dans le monde, force est de constater que, pour ce qui est de l’accès à la vaccination, des inégalités criantes persistent : ainsi, au 26 juin, ce sont 49 % des habitants de l’Union européenne (UE) qui avaient reçu au moins une dose, contre 2 % de la population africaine seulement.
Le Covid-19 a déjà tué 3,87 millions de personnes dans le monde, mais les conséquences de la pandémie ne se limitent pas au nombre de victimes : aggravation de la pauvreté, augmentation des violences, saturation des services de santé, freins à l’éducation…
Les pays à ressources limitées, qui savent déjà qu’ils auront, dans les prochaines années, à payer un lourd tribut consécutivement aux effets de la crise sanitaire, assistent aujourd’hui démunis à l’arrivée d’une troisième vague sans avoir les outils pour lutter efficacement contre le virus.
Emergence de variants
Pareille urgence a ainsi poussé une soixantaine de pays, dont l’Inde et l’Afrique du Sud, durement touchés par l’épidémie, à demander à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) une dérogation qui dispenserait les Etats de leur obligation en matière de propriété intellectuelle sur les outils de diagnostic, les traitements, les vaccins et les dispositifs médicaux indispensables à la lutte contre le Covid-19.
Cette dérogation est prévue par l’article 9 de l’accord de Marrakech, qui a fondé l’OMC. Une levée temporaire des brevets ainsi que des autres barrières juridiques relatives à la propriété intellectuelle serait dès lors conforme à l’application d’un droit prévu par le cadre international et légitimerait que les pays du Sud produisent et distribuent leurs propres vaccins et traitements.
Néanmoins, l’UE se refuse, encore aujourd’hui, à soutenir la levée des brevets dans les négociations à l’OMC, préférant le système des licences obligatoires. Le G7 privilégie les promesses de dons de doses, retardant toujours plus la mise en place de solutions additionnelles qui permettraient d’enrayer efficacement la propagation mondiale du virus, dans une logique d’opposition entre des moyens qui sont complémentaires (dons, exportations, levée des brevets…).*
La France, quant à elle, maintient une position ambiguë, entre les déclarations de soutien à la levée des brevets d’Emmanuel Macron et l’absence d’engagement ferme dans les instances européennes et internationales.
Seule une réponse mondiale coordonnée pourra mettre fin à la pandémie. La situation actuelle favorise l’émergence de variants, possiblement plus contagieux, plus mortels, voire résistants aux vaccins, retardant toujours plus une sortie de crise.
Au-delà du débat sur les bienfaits et les limites du régime de la propriété intellectuelle, nous, chercheurs, professionnels de santé et du secteur associatif, nous réunissons pour défendre un droit universel à la santé.
Délais incompatibles
En 2001, notre mobilisation avait abouti à la déclaration de Doha, qui reconnaissait le caractère prioritaire des impératifs sanitaires sur les règles commerciales en cas de situation d’urgence sanitaire nationale comme le VIH-Sida, le paludisme, la tuberculose et d’« autres épidémies », favorisant ainsi l’accès aux traitements de millions de personnes. Vingt ans plus tard, il est à nouveau urgent de prioriser la santé sur la défense de la propriété intellectuelle.
Cependant, les outils prévus par cette déclaration comme la licence obligatoire défendue par l’UE sont peu adaptés à la production de vaccins et nécessitent des mois de négociations, soit des délais incompatibles avec l’urgence actuelle.
On estime à 93 milliards de dollars (78 milliards d’euros) l’argent public investi dans le développement des vaccins. N’en déplaise aux détracteurs de la levée temporaire des brevets, dans le cas de la lutte contre le Covid-19, ce n’est pas le système de propriété intellectuelle qui a permis l’innovation, mais bien l’engagement financier des Etats.
Alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déplore que le virus circule plus vite que les vaccins, nous, chercheurs, professionnels de la santé et du secteur associatif, engagés quotidiennement dans la lutte contre le Covid-19, demandons à la France de soutenir nos efforts dans cette bataille contre une épidémie qui a déjà fait trop de victimes.
Nous réclamons un accès équitable pour tous et le développement de capacités régionales de production et demandons, avec force, que la France affirme sans ambiguïté son soutien à la proposition faite à l’OMC sur la levée des brevets des traitements et vaccins contre le Covid-19 et les transferts de technologies qui les complètent.
Françoise Barré-Sinoussi, Prix Nobel de médecine, présidente de Sidaction ; Richard Benarous, ancien directeur du département des maladies infectieuses de l’Institut Cochin ; Henri Bergeron, directeur de recherche au CNRS et à Sciences Po ; Gilles Brücker, médecin épidémiologiste, AP-HP Relations internationales ; Dominique Costagliola, directrice de recherche à l’Inserm, membre du conseil d’administration d’Aides ; François Dabis, professeur d’épidémiologie et de santé publique, ancien directeur de l’ANRS ; Pierre Delobel, chef du service des maladies infectieuses au CHU de Toulouse ; Eric D’Ortenzio, médecin épidémiologiste à l’ANRS-Maladies infectieuses émergentes ; Christine Katlama, infectiologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, présidente de l’Afravih ; Michel Kazatchkine, médecin, ancien directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida ; Karine Lacombe, chef de service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine ; Odile Launay, professeure à l’Université de Paris, coordinatrice du réseau national de recherche clinique en vaccinologie ; Jean-Daniel Lelièvre, professeur en immunologie, chef de service au CHU Henri-Mondor, expert en vaccins pour le compte de la HAS et de l’OMS ; Carine Rolland, médecin, présidente de Médecins du monde ; Christine Rouzioux, professeur émérite de virologie à l’hôpital Necker, présidente d’Arcat et du Kiosque Info Sida Toxicomanie Willy Rozenbaum, professeur honoraire dans le domaine des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Louis ; Bruno Spire, directeur de recherches à l’Inserm, président d’honneur d’Aides.
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