Par Pascale Robert-Diard Publié le 3 juillet 2021
Les docteurs qui ont examiné Hubert Caouissin et Lydie Troadec ont décrit devant la cour d’assises le « délire à deux » et « la contagion mentale » qui ont mené à un quadruple meurtre.
Deux lanternes s’approchent dans le noir. Elles viennent nous cueillir là où l’effroi des jours qui ont précédé nous avait recroquevillés. On s’accroche à la lueur, on se déplie, on se laisse guider. Vendredi 2 juillet, devant la cour d’assises de Loire-Atlantique, à Nantes, les psychiatres Daniel Zagury et Michel Dubec, commis pour expertiser les deux accusés Hubert Caouissin et Lydie Troadec, sont venus éclairer les gouffres.
Ils nomment, et déjà cela fait du bien. Les quatre meurtres d’Orvault perpétrés en février 2017 par Hubert Caouissin sont le fruit d’un « délire à deux, d’une contagion mentale ». « La psychiatrie n’en a jamais connu d’aussi parfait que celui-là. L’idée de l’un devient celle de l’autre. Le moi de l’un incorpore une partie du moi de l’autre », relève Michel Dubec. Pour les deux accusés, les psychiatres ont retenu l’altération du discernement au moment des faits.
Au commencement est l’algorithme d’un site de rencontres qui, en mars 2006, met en relation « deux blessés de la vie », Hubert Caouissin, 36 ans, et Lydie Troadec, 37 ans. Frustrations, solitude et ressentiment social en sont le ciment. « Il s’appuie sur elle, elle s’appuie sur lui. Tous deux se réparent mutuellement. » Elle doute, ressasse, accumule – « Chez elle, tout est platitude » –, il la rassure, va au bout de ses idées.
« Une étincelle sur un tonneau de poudre »
Un enfant naît après une grossesse difficile, un cancer du sein lui est diagnostiqué dans les mois suivants, Lydie Troadec redoute une fois de plus « de ne pas être au niveau ». Son frère Pascal, fils préféré du père défunt, et son épouse Brigitte ont déjà deux enfants, tous sont en bonne santé. La rancœur de Lydie Troadec s’accroît. Hubert Caouissin rencontre pour sa part des difficultés professionnelles à l’arsenal de Brest. Il se sent déclassé – ses deux frères et sœur sont tous plus diplômés que lui – et souffre d’hyperacousie, une intolérance au bruit. « Burn-out »diagnostique le médecin, qui lui signe un long arrêt de travail. « Préface au délire », traduisent les deux experts.
Sur ce terreau fragile, « une étincelle tombe comme sur un tonneau de poudre » : l’hypothèse d’un trésor caché, dont Lydie serait forcément spoliée. « L’or devient un délire partagé, conjoncturel. Il vient en contrepoint de leur situation difficile tant sur le plan de la santé que du travail. Ce qui apparaît comme de la cupidité n’est qu’un élément du délire. » Peu importe que cette hypothèse ne repose sur rien, Hubert Caouissin va en traquer les « indices ». « Il se comporte comme un enquêteur délirant qui cherche les preuves de sa conviction. »
Tout donne lieu à interprétation. « Une folie raisonnante » qui ne laisse aucune place « au fortuit ». Un portail fermé par Pascal et Brigitte Troadec devient le signe d’un « complot ». Un mot banal échangé entre eux, la preuve d’un « code » secret. Un chat posé sur les genoux de Lydie, le signe que son frère et sa belle-sœur, sachant qu’elle n’est pas immunisée contre la toxoplasmose, veulent l’empêcher d’avoir un autre enfant.
« Il s’est formé une “prise” au sens d’une mayonnaise qui prend et dans laquelle il n’est plus possible de distinguer les éléments qui la composent, explique Daniel Zagury. Hubert Caouissin prend comme thème l’histoire familiale de Lydie Troadec, pour la réparer. Elle ne pouvait que croire au délire qu’elle avait elle-même inspiré. »
Un état de « légitime défense délirante »
A partir de là, aucun des deux ne peut arrêter l’autre. « Lydie Troadec a fourni à Hubert Caouissin les instruments et Hubert a construit une guerre. » Dans la genèse de la tragédie d’Orvault, observe Michel Dubec, Lydie Troadec est « une personnalité seconde. Elle a transmis un brouillard dans lequel elle est elle-même engluée. Il n’y a pas de volonté manipulatrice. Elle ne finit pas ses idées, Caouissin va se substituer à elle pour les amplifier ».
A la mécanique du couple s’ajoute, selon Michel Dubec, un troisième personnage : Renée Troadec, la mère de Lydie et de Pascal. Dans la salle d’audience, le souvenir est encore vif de l’enregistrement, diffusé la veille, de ce déjeuner familial organisé chez Renée Troadec en juillet 2014. De sa voix à elle qui réclamait « la moitié de ce qui a été pris » face à la sidération de Pascal qui ne comprenait rien. Puis de l’apparition sur grand écran de la vieille dame, entendue en visioconférence, et de ses réponses glaçantes aux questions sur les meurtres de son fils, de sa belle-fille et de ses deux petits-enfants par le compagnon de sa fille. « Renée Troadec est une personnalité médisante, qui a alimenté l’idée du trésor caché », relève l’expert. Il ajoute : « Une mère, c’est fait pour rétablir la paix entre ses enfants. »
Les psychiatres s’approchent du pire. Le massacre d’une famille, une nuit de février 2017. « Hubert Caouissin s’est convaincu que son fils, en tant qu’ayant droit du magot, est menacé dans son existence. Il se sent en état de légitime défense délirante », oppose Daniel Zagury à ceux qui voient dans ce quadruple meurtre la décision longuement mûrie d’un « manipulateur ».
Quant à l’horreur qui a suivi, des corps découpés, dépecés, brûlés, et des restes disséminés dont les détails et les images hantent la cour et les jurés, le psychiatre lui donne une double dimension : l’une rationnelle, qui consiste à faire disparaître les traces de ses crimes. L’autre, « fantasmatique : faire en sorte qu’il n’en reste plus rien psychiquement pour lui ». A l’expert, Hubert Caouissin avait confié : « Je sais ce qui est arrivé, mais je ne le sens pas. »
« Son délire est intact »
A la demande de la présidente de la cour, Karine Laborde, les deux psychiatres ont revu les accusés quelques mois avant l’ouverture de leur procès. « Son délire est intact. Il ne voit pas comment il aurait pu faire autrement que de se rendre à Orvault », observe Daniel Zagury à propos d’Hubert Caouissin, qui encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
De Lydie Troadec, poursuivie pour les seuls délits de « modification d’un lieu de crime » et de « recel de cadavres », punissables de trois ans d’emprisonnement, Michel Dubec livre une autre analyse : celle qui a suivi son compagnon « avec une solidarité de scout », a « repris pied dans la réalité ». Son délire a cessé, poursuit-il, « car elle a été séparée de la personne dominante. Quand une voiture s’arrête, la remorque qui est derrière s’arrête aussi ».
Le verdict est attendu mercredi 7 ou jeudi 8 juillet.
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