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lundi 5 juillet 2021

Chronique «Médiatiques» Rions avec Zemmour et Hanouna (ou pas)

par Daniel Schneidermannpublié le 5 juillet 2021 

Si les deux personnages s’activent sur les plateaux et peuvent recouvrir, de leur gestuelle à leur élocution, une dimension comique, dans la perspective de la présidentielle, le rire s’étrangle. 

Prenons Zemmour et Hanouna, les deux cariatides de l’empire audiovisuel de Bolloré, celui qu’il est en train d’exporter sur Europe 1, en éjectant par conteneurs entiers tout ce qui pouvait ressembler à de la finesse de pensée ou d’expression. Considérés hors contexte, dans leur seule gestuelle, dans leur seule élocution, les deux personnages ont une indéniable dimension comique. Le petit malingre de cinquante kilos tout habillé déplorant la disparition de la masculinité, le clown se rêvant en phare de la campagne, voire en candidat à la présidentielle, après avoir conquis sa popularité en fourrant des nouilles dans le slip d’un de ses chroniqueurs : oui, ce sont les continuateurs potentiels du Chaplin du Dictateur. Dans la perspective de la présidentielle, Hanouna prépare un livre, dans lequel l’ancien directeur de l’Express Christophe Barbier va l’accoucher sur sa perception de la société française – scoop révélé par Bruno Jeudy, rédacteur en chef (placardisé) de Paris-Match. On a envie, on se sent autorisé à rire.

Comme on riait de la candidature Trump, en 2016. Car on riait, s’en souvient-on. On riait sur les plateaux des démocrates bien-pensants, du gros balourd de la télé-réalité, du «you are fired», à l’assaut de la Maison Blanche. Et c’est évidemment à ce moment que ça coince. A cette première pulsion de rire, font barrage les images mentales du mur de la frontière mexicaine, du retrait américain de l’accord de Paris, et du wagnérien assaut du Capitole,au début de l’année. Et le rire s’étrangle. Il s’étrangle d’autant plus que Trump, encore aujourd’hui, règne sur le Parti républicain, en éjectant tous ceux qui refusent l’univers parallèle du «Biden a trafiqué l’élection». Oui, ils sont dans leur monde, oui c’est un monde parallèle au nôtre, mais ce monde parallèle existe, où de sérieux journalistes pourraient citer un jour «le président Zemmour» ou «le président Hanouna». Et non seulement il existe, mais il mord à pleines mâchoires sur le nôtre, que nous considérons comme le réel.

Le rire entretient avec la brutalité des rapports complexes. Eric Zemmour expliquait récemment que Papacito le fait rire. Papacito est ce youtubeur fascisant qui venait de mettre en ligne une vidéo dans laquelle, en treillis militaire, il lardait de coups de poignards un mannequin de chiffon, figurant un gauchiste, ou un communiste, ou un baba cool, toutes ces catégories inférieures. Mais c’était pour rire, bien entendu. Vidéo «gaguesque», ratifia Zemmour. Mais tout le monde n’était pas d’humeur à plaisanter. Après une plainte de Jean-Luc Mélenchon, une enquête pour «provocation publique non suivie d’effet à la commission d’atteintes à la vie ou à l’intégrité des personnes» a été ouverte contre Papacito par le parquet de Paris.

Le rire n’est pas seulement l’arme du faible et du dominé. Il y a un rire du paramilitaire en gilet pare-balles, comme il y a un rire du tortionnaire, ou du bourreau, ou du putschiste, analyse le professeur de littérature allemand Albrecht Koschorke, dans un essai consacré à Mein Kampf (1). Ce rieur jouit d’avance de ses étranglements futurs. Il rit de la naïveté de ses adversaires démocrates. A l’aube de sa carrière, rappelle Koschorke, Hitler apparaissait à certains comme un personnage comique. «Hitler plus pouvoir égale horreur, mais Hitler moins pouvoir égale comédie», disait un humoriste. D’où Koschorke déduit une première nécessité de la terreur, contre le rire : «La terreur est un moyen nécessaire pour expurger le vague ridicule collant aux meneurs politiques autoproclamés.» Mais ce n’est pas tout. Même chez ses spectateurs innocents, la terreur peut provoquer un rire nerveux. «Les effets d‘un comique profondément irréel collent aussi de manière frappante à la terreur elle-même. Dans son inconcevabilité même, l’horreur confine au comique. Telle est la caractéristique des régimes de terreur que de s’enfermer dans une fin en soi absurde et opaque, jusqu’à rejoindre, pour étrange que cela paraisse, une comédie où tout sens vole en éclats.»

La perte du sens. Le vide des mots. Leur retournement. Le tonitruant cheptel de chroniqueurs de Zemmour ou de Pascal Praud qui se proclament quotidiennement bâillonnés. Oui, ce pourrait être seulement comique. Mais réfléchissons sur ce rire.

(1) «Manipuler et stigmatiser, démystifier Mein Kampf», Albrecht Koschorke, CNRS Editions, 2018.


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