par Miren Garaicoechea publié le 4 juillet 2021
En France, le 1,2 million de professionnels de la santé pourrait être à l’avenir contraint, par la loi, à se faire vacciner contre le coronavirus. Mardi, les conclusions écrites de la consultation des groupes parlementaires sur de nouvelles contraintes aux Français, dont cette possible obligation aux soignants, seront rendues au Premier ministre. Actuellement, la couverture vaccinale des professions oscillerait entre 42 % de vaccination complète chez les professionnels en établissements de santé mi-juin (milieu hospitalier pour la plupart), à 73,7 % chez les personnels soignants libéraux fin juin. Libération a interrogé trois soignants, représentatifs de la pluralité des avis.
«La sécurité des patients est plus importante que les états d’âme de certains»
Jean-Michel Molina est professeur à l’Université de Paris et chef du service de maladies infectieuses des hôpitaux Saint-Louis et Lariboisière.
«Je suis pour une large vaccination de la population, je suis bien sûr moi-même vacciné ainsi que toute ma famille. Je suis aussi très favorable à une obligation de vaccination des professionnels de santé, comme c’est déjà le cas pour l’hépatite B par exemple. En effet, de trop nombreux cas de transmissions en milieu de soins du Covid-19 ont été observés, et le coronavirus (Sars-CoV-2) est aujourd’hui en tête de liste des infections nosocomiales. Un seul professionnel de santé infecté à l’hôpital peut suffire à entraîner une infection chez de nombreux patients. On a malheureusement observé des complications graves, et même des décès des suites de ces infections contractées pour certaines à l’hôpital. Maintenant que la vaccination est disponible, qu’elle est très efficace et sans danger, c’est un devoir éthique de la part des soignants de se faire vacciner pour réduire les risques de transmission aux patients.
«Le Comité national d’éthique a d’ailleurs émis un avis clair à ce sujet. Concernant les professionnels de santé, il s’agit d’une obligation déontologique [«un enjeu éthique et déontologique fondamental, et que si la liberté individuelle doit absolument être respectée, elle s’arrête à la mise en danger d’autrui», ndlr]. Notre rôle est de limiter les risques de transmission, or le vaccin est un moyen très efficace.
«Les professionnels réticents, qui représentent heureusement une minorité, sont devenus hermétiques à un discours raisonnable. […] Si [des soignants] persistent à refuser [de se faire vacciner], il faudra selon moi les orienter vers des fonctions plus administratives, sans contact avec les patients.»
— Jean-Michel Molina, chef d'un service hospitalier de maladies infectieuses
«La sécurité des patients est plus importante que les états d’âme de certains soignants qui hésitent encore à franchir le pas. Or, le temps nous est compté avec la circulation du variant delta très contagieux, et nous ne voulons pas prendre le risque de transmettre le virus à nouveau à des patients. Ces professionnels réticents, qui représentent heureusement une minorité, sont devenus hermétiques à un discours raisonnable. S’il y a obligation de se faire vacciner, certains accepteront de le faire, et si d’autres persistent à refuser, il faudra selon moi les orienter vers des fonctions plus administratives, sans contact avec les patients. On ne peut pas laisser des personnes non vaccinées au contact de patients. On ne peut plus accepter de prendre ce risque.»
«Quand quelqu’un a peur, l’obliger ne va pas le rassurer»
Céline Durosay est infirmière en hôpital public à Belfort. Elle est aussi secrétaire de la Coordination nationale infirmière (CNI).
«Je suis absolument pour la vaccination, mais pas pour son obligation. La vaccination limite la propagation, les formes graves… Et donc le nombre de décès et l’encombrement des hôpitaux, ou ne serait-ce que les séquelles non négligeables des formes non graves. Après, certaines choses m’interrogent toujours, comme l’immunité collective. Etre vacciné ne nous empêcherait pas d’être contaminés et contaminants. Les réticents au vaccin pensent alors : puisque cela n’empêche pas de contaminer, pourquoi ferait-on un vaccin dont on n’est pas sûr des effets secondaires à court et à long terme ?
«On n’a pas l’assurance que cela se passe parfaitement bien pour tout le monde. Les effets secondaires existent : petits Covid, mais aussi effets secondaires neurologiques, pouvant aller de fourmillements, d’engourdissements, à l’accident ischémique transitoire, sorte d’AVC plus léger, jusqu’aux phlébites… Ces effets, certes sur un petit nombre de personnes, on en discute entre collègues, mais les établissements n’en parlent pas. Il faudrait donc, selon moi, bien analyser la situation de chaque personne, ses antécédents pour qu’elle puisse prendre la bonne décision.
«Ceux qui disent que les soignants sont irresponsables de ne pas se faire vacciner, qu’ils n’ont pas d’éthique, qu’ils mettent les autres en danger… J’aurais aimé qu’ils s’insurgent quand on nous a envoyés travailler sans protections suffisantes, pour certains avec un Covid confirmé tant que les symptômes étaient supportables. Aujourd’hui, on serait presque des assassins de ne pas vouloir se faire vacciner.
«Obliger quelqu’un à se faire vacciner est violent. On se demande si la prochaine étape ne sera pas de nous empêcher de travailler si on n’est pas vacciné. Certains professionnels de santé partiront. Car pourquoi obligerait-on les soignants et pas les familles qui rendent visite et insultent les soignants quand ils demandent de bien mettre le masque dans les chambres des patients ? Face à ceux qui plébiscitent l’obligation, on ne regarde pas les choses à la même échelle : ils regardent majoritairement d’un point de vue national, mondial, tandis que nous, nous regardons à notre échelle, celle d’un établissement. Peut-être avons-nous tort. Mais on refuse de nier la crainte des gens. Or, quand quelqu’un a peur, l’obliger ne va pas le rassurer.»
«Si on m’impose la vaccination, je ne céderai pas. Je quitterai mon emploi»
Annick (1), la quarantaine, est infirmière en soins généraux dans un centre hospitalier de Côte-d’Or.
«Je ne suis pas antivaccin, j’étais même inscrite en liste d’attente pour celui du coronavirus. Mais je me suis décommandée au dernier moment. J’estime qu’on n’a pas assez de recul sur ce vaccin qui dispose d’une AMM [autorisation de mise sur le marché]conditionnelle et qui n’a, pour l’instant, pas prouvé son efficacité. Dans mes recherches, je ne trouve pas de données suffisantes et objectives pour évaluer le bénéfice-risque. Ni sur la contagiosité, ni sur le statut vaccinal des gens qui décèdent par Covid, ni sur les effets indésirables du vaccin ventilés par âge. La vaccination peut avoir un intérêt pour une classe d’âge de personnes fragiles ou immunodéprimées… Mais a-t-elle un vrai sens sur une classe d’âge inférieur, ne présentant pas de comorbidités ?
«Le vaccin n’a même pas un an, il a rapidement été mis sur le marché, nous n’avons pas suffisamment de recul. A partir du moment où il existe une décharge de responsabilité à signer et que les laboratoires ne prennent pas leurs responsabilités, pourquoi j’engagerais, moi, mon intégrité physique, ma santé ? Puis celle de mes enfants ? Je dois choisir entre le risque d’avoir des effets secondaires ou le risque d’attraper un Covid qui peut ne pas être important.
«Dans mon établissement, le sujet n’est plus abordé, il devient tabou. Pourtant, j’entends régulièrement des professionnels de santé qui doutent.»
— Annick, infirmière en soins généraux
«C’est gênant : dès que quelqu’un va à l’encontre de la vaccination, il est stigmatisé, décrédibilisé, voire lynché, et ce, pour maintenir les gens dans un objectif “tous vaccinés”. Dans mon établissement, le sujet n’est plus abordé, il devient tabou. Pourtant, j’entends régulièrement des professionnels de santé qui doutent.
«Si on m’impose la vaccination, je ne céderai pas. Je quitterai mon emploi et changerai de métier. On ne peut pas contraindre des gens à ce point-là, on a notre libre arbitre. J’anticipe et m’organise déjà financièrement. Je suis prête à ne pas mettre mes enfants à l’école à la rentrée au cas où la vaccination devienne aussi obligatoire pour eux. En attendant, je respecte les gestes barrières comme toujours. Ma famille ne fréquente pas les lieux publics, on ne va pas au resto par exemple, on ne part pas en vacances. On reste tranquilles en attendant que le monde se calme.»
(1) Le prénom a été modifié pour garantir l’anonymat de la personne.
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