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mardi 20 juillet 2021

En Chine, la folle quête d’un père pour retrouver son fils kidnappé

Par   Publié le 23 juillet 2021

Depuis 1997, Guo Gangtang sillonnait le pays à moto pour rechercher son enfant enlevé à l’âge de 2 ans. Grâce à des tests ADN, il a fini par le retrouver. Son histoire, qui avait inspiré un film, fait écho au drame vécu par des centaines de milliers de Chinois.

Les retrouvailles de Guo Xinzhen, 26 ans (de dos), et de ses parents, le 11 juillet 2021, à Liocheng, en Chine.

Après le kidnapping de son fils de 2 ans, en 1997, Guo Gangtang, 27 ans, enfourche une vieille moto et part sillonner la Chine à la recherche du moindre indice pour le retrouver. Sa quête incessante fait de lui une légende vivante. En 2012, toujours sans nouvelles, il crée une association pour aider d’autres parents dans la même ­situation.

En 2015, un cinéaste s’empare de l’histoire. Guo devient le héros haut en couleur d’un crime presque banal dans un pays où les enlèvements de jeunes garçons comme les abandons de filles étaient légion il y a peu. La fin du film, Shi gu (« Perdu et isolé »), Lost and Love en anglaisrestait ouverte

500 000 kilomètres de parcours

Vingt-quatre ans après les faits, la réalité fait mieux que la fiction : la famille est enfin réunie. Dimanche 11 juillet, à Liaocheng, dans le Shandong, leur région d’origine, Guo Gangtang, son épouse, Zhang Wenge, et leur fils, Guo Xinzhen, se sont étreints sous l’œil des médias locaux qui n’ont pas manqué une miette des retrouvailles.

Derrière eux, des agents de police en uniforme bleu assistaient à la scène. Ce sont eux qui finalement ont retrouvé l’enfant grâce à des tests ADN. Les deux suspects arrêtés ont avoué avoir ­participé à l’enlèvement. L’affaire a suscité une vague d’émotion à travers tout le pays : les jours suivant, elle était la plus commentée sur Weibo, équivalent chinois de Twitter, avec des centaines de millions de partages et de vues.

Andy Lau, superstar hongkongaise qui jouait le rôle du père dans Shi gu, a adressé ses félicitations à la famille : « Grâce au film, j’ai connu le père Guo. Aujourd’hui, je suis extrêmement heureux. Son fils lui a enfin été rendu, grâce à la détermination des forces de police. Je souhaite lui dire : j’admire ta ténacité ! » Le réalisateur, Peng Sanyuan, s’est lui aussi fendu d’un commentaire : « Aujourd’hui, Lost and Love a enfin son vrai happy end. » Une fin improbable.

Ce jour de 1997, le petit Xinzhen joue devant la maison familiale, alors que sa mère prépare le repas. Quand il ne rentre pas manger, ses parents mobilisent voisins, amis, famille pour le retrouver. Après quelques mois de recherches infructueuses, Guo Gangtang décide d’élargir son champ d’investigation et part à moto. A l’arrière, il a installé deux bannières imprimées avec la photo du bambin joufflu, emmitouflé dans une doudoune orange, et l’inscription « Mon fils, où es-tu ? Papa veut te voir rentrer à la maison ».

Guo Gangtang, 51 ans, a passé vingt-quatre ans à chercher son fils. Il est ici sur sa moto équipée de bannières (dans le Shandong, en 2010).

Pendant près d’un quart de siècle, il écume les villes et les villages, usant une dizaine de motos sur les 500 000 kilomètres de son parcours sur les routes mal goudronnées des campagnes chinoises, manquant plusieurs fois de mourir dans des accidents.

Préférence traditionnelle pour les garçons

Si l’histoire a fait autant couler d’encre, c’est parce qu’elle fait écho au drame vécu par des centaines de milliers de Chinois. Dans les années 1980 et 1990, l’application avec un zèle féroce de la politique de l’enfant unique provoque la multiplication des vols d’enfants. Des femmes sont forcées à avorter à quelques mois du terme, des couples sont stérilisés, et les amendes pleuvent sur ceux qui dépassent les quotas : un enfant par couple, deux pour les couples ruraux, si le premier est une fille.

Pour satisfaire à la préférence traditionnelle pour les garçons, des millions de couples abandonnent leurs filles, tandis que d’autres cherchent à adopter ou à acheter des garçons. En l’absence d’enquêtes officielles, les estimations chiffrent autour de 70 000 le nombre d’enfants ayant fait l’objet de trafic chaque année.

« Nous étions pauvres, nous avions déjà deux filles, et nous voulions un fils. Quand on a découvert que c’était à nouveau une fille, on a décidé de la donner. » Fan Juanrong

La fin progressive de la politique de l’enfant unique et les avancées des enquêtes font diminuer cette industrie de l’horreur dans les années 2000. A partir des années 2010, les analyses ADN, plus accessibles, redonnent de l’espoir aux centaines de milliers de familles à la recherche de leurs proches. Que leurs enfants aient été enlevés ou qu’elles se soient résolues à leur abandon.

Fan Juanrong est de celles-là. En 2018, elle a payé l’équivalent d’une centaine d’euros pour faire prélever son ADN afin de retrouver sa fille, née trente ans plus tôt. « Nous étions pauvres, nous avions déjà deux filles, et nous voulions un fils. Quand on a découvert que c’était à nouveau une fille, on a décidé de la donner », explique-t-elle.

L’hôpital aide le couple. Une femme se présente comme stérile, est choisie et l’adoption est signée. Mais quelques mois après, elle ne répond plus aux lettres. Le mari essaie de lui rendre visite, en vain. Elle a disparu. « Bien sûr qu’on regrette, j’ai tellement pleuré… mais, à l’époque, la politique de l’enfant unique était très stricte et avoir un fils est très important à la campagne », justifie Fan Juanrong.

Identifier leurs parents biologiques

Les chances de réunions familiales restent minces. D’après le ministère de la sécurité publique, la mise en place, en 2016, d’une banque de données spécialisées a permis de résoudre les cas de seulement 2 600 enfants perdus ou volés. Ce qui n’empêche pas des milliers d’enfants de vouloir identifier leurs parents biologiques. C’est le cas de Grace, 23 ans, trouvée à la gare de Nankin en septembre 1998 et adoptée par un couple d’Américains huit mois plus tard.

Etudiante infirmière aux Etats-Unis, elle a soumis son ADN à plusieurs bases de données, sans succès pour l’instant. « J’ai eu beaucoup de chance avec mes parents adoptifs, mais le sentiment d’avoir été abandonnée m’a beaucoup marquée. J’aimerais découvrir ma famille biologique et mes origines, témoigne la jeune femme depuis Baltimore. L’histoire de Guo Gangtang est à fendre le cœur, mais elle est tellement inspirante ! Elle nous redonne de l’espoir, à moi et à tous les enfants adoptés. »


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