Il y a sans doute là des conclusions à tirer sur les sorts divers subis par nos amitiés durant cette pandémie, marquée par une forte limitation des interactions en personne. Cela vient aussi éclairer la différence de temps passé au téléphone entre filles et garçons. Au-delà des variations individuelles, parfois grandes, un appel passé par une femme de notre groupe d’étude durait en moyenne cent cinquante secondes le matin, pour monter à cinq cents secondes en fin de journée. Chez les hommes en revanche, la moyenne restait à cent secondes tout au long de la journée.

D’autres travaux, menés par Talayeh Aledavood à l’université Aalto, ont montré l’influence d’un autre trait de personnalité sur l’empreinte sociale. Dans nos données apparaissaient ainsi de nettes différences dans les habitudes d’appels et de textos de nos étudiants : certains étaient plus actifs sur leur téléphone en journée, quand d’autres ne l’utilisaient quasiment que le soir.

Amis du matin ou du soir

Par ailleurs, ceux qui étaient matinaux au début de notre étude l’étaient toujours à la fin, de même que les oiseaux de nuit le sont restés tout du long, et ce malgré l’évolution de leur cercle d’amis. La conclusion n’est peut-être pas si surprenante, mais le fait est que, selon que vous êtes du matin ou du soir, votre réseau social n’est pas le même.

C’est ce qu’a découvert Talayeh Aledavood en analysant avec son équipe un ensemble de données similaires aux nôtres, mais provenant de 1 000 étudiants danois. Cette cohorte nettement plus importante leur a permis de tirer des conclusions plus fines de la comparaison entre lève-tôt et couche-tard. Environ 20 % des étudiants étaient de vrais lève-tôt, autant étaient de vrais couche-tard, les 60 % restants n’étant ni l’un ni l’autre. Les lève-tôt n’avaient pas nécessairement davantage d’amis lève-tôt, mais les oiseaux de nuit, eux, préféraient leurs semblables – ce qui va dans le sens d’autres travaux, qui laissent penser qu’en amitié, bien souvent, qui se ressemble s’assemble. Les noctambules se distinguaient également par un cercle social généralement plus étendu que les matinaux, si l’on en croit en tout cas le nombre de personnes appelées fréquemment (35 pour les premiers, 28 pour les seconds).

L’important, c’est d’en avoir

Mais ils passaient aussi moins de temps au téléphone avec chacun de ces amis (quatre-vingt-quatorze secondes, contre cent douze en moyenne pour les lève-tôt), si bien que leur sphère sociale était moins resserrée, moins solide. De fait, les restrictions imposées à notre vie sociale par le Covid-19 sont sans doute plus éprouvantes pour certaines amitiés que pour d’autres.

Je ne pensais pas pouvoir en apprendre autant à partir de factures de téléphonie mobile d’étudiants. J’ai découvert avec stupéfaction l’existence d’une empreinte sociale propre à chaque individu, j’ai remarqué avec étonnement l’influence du tempérament et des habitudes sociales sur les choix d’amitié. Mais le plus inattendu, à mes yeux, reste la constance de l’empreinte sociale en dépit du changement. Au fond, peu importe qui sont précisément nos amis, l’essentiel reste d’en avoir. Naturellement, notre choix se porte sur les personnes dont la compagnie est la plus sympathique, mais au-delà de ça, n’importe qui, ou presque, peut faire l’affaire.

Cela peut sembler opportuniste, voire cynique, mais c’est compréhensible. L’amitié n’est pas un agréable superflu : ses bienfaits sur notre bien-être psychologique et physique sont immenses. Et dans un monde sans cesse changeant, pour tirer le maximum de ces bienfaits, il importe de nouer et d’entretenir ses amitiés en faisant preuve d’autant de souplesse que de constance.