Au niveau international, la plupart des mannequins de crash-test sont encore moulés sur le corps d’un homme d’1,70 m et 76 kilos.Photo Bertrand Guay. AFP
Adaptés à des normes masculines, toilettes, téléphones ou dispositifs de sécurité présentent souvent des inconvénients, voire des risques pour les femmes. C'est ce que démontre la journaliste britannique Caroline Criado-Perez dans un extrait de son ouvrage, publié par le «Guardian».
Les femmes représentent plus de la moitié de l’humanité. Pourtant, du téléphone portable au gilet pare-balles en passant par les toilettes, les objets du quotidien ont pour la plupart été conçus et réfléchis en se basant sur des normes masculines. C’est le constat que dresse la journaliste britannique Caroline Criado-Perez. Pendant trois ans, elle a récolté des données permettant de mettre en évidence que les femmes sont rendues «invisibles» dans la conception des objets. Une enquête retranscrite dans l’ouvrage Invisible Women, Exposing Data Bias in a World Designed for Men, à paraître au Royaume-Uni le 7 mars. Un extrait publié dans le Guardian, samedi 23 février, met en lumière certains exemples où les femmes ont été oubliées, les obligeant à s’adapter ou les mettant même dans des situations dangereuses. Comme le montre une étude sur les risques d’exposition aux radiations nucléaires citée par l’auteure : les femmes sont plus menacées, les normes de référence ayant été établies pour un homme blanc de 25-30 ans pesant 70 kilos.
La fausse équité des toilettes
Premier exemple assez évident : les toilettes. Quelle femme n’a pas connu ce moment rageant lors d’un concert, quand, soumise à une envie pressante, elle se retrouvait face à une file d’attente s’étendant jusque dans le couloir ? D’autant plus insupportable que chez les hommes règnent calme et plénitude. La journaliste précise qu’il existe autant de toilettes pour hommes que pour femmes, la division des surfaces au sol à 50-50 ayant été réglementée par les plombiers. Un partage équitable qui ne règle rien ici. «Le nombre de personnes pouvant se soulager en même temps est beaucoup plus élevé par mètre carré d’espace au sol dans les toilettes pour hommes» grâce à la présence de cabines et d’urinoirs. Si les femmes doivent patienter plus longtemps, ce n’est pas non plus parce qu’elles sont plus nombreuses mais parce qu’elles mettent 2,3 fois plus de temps que les hommes à uriner. En outre, elles peuvent avoir besoin d’aller plus souvent aux toilettes dans diverses situations : grossesse, changement des protections périodiques… sans compter que ce sont souvent elles qui accompagnent les enfants aux toilettes. Des particularités ignorées.
Des téléphones pour grandes mains
Du côté des outils numériques, le constat n’est pas plus reluisant. Compagnon de la plupart des femmes comme des hommes, le smartphone a aujourd’hui une taille moyenne de 5,5 pouces (environ 14 cm) «pour que l’homme moyen puisse utiliser son appareil d’une manière assez confortable d’une main». Là encore, on fait peu d’état des mains en moyenne plus petites des femmes. Et ça ne s’arrête pas là. La reconnaissance vocale pèche aussi. En 2016, Rachael Tatman, chercheuse en linguistique à l’université de Washington, a découvert que les logiciels de reconnaissance vocale de Google avaient 70% plus de chances de reconnaître avec précision le langage masculin.
Danger, matériel inadapté
Ces lacunes vont bien au-delà de l’inconfort. Exemple parlant : le matériel de chantier est lui aussi conçu autour du corps de l’homme. Les vêtements professionnels – harnais, lunettes de protection, masques anti-poussière, etc. – ne sont pas adaptés à la morphologie des femmes. Ces dernières ne profitent donc pas des mêmes conditions de sécurité. Taille des briques, des outils à mains ou des sacs de ciment sont eux aussi identiques, ne facilitant par la tâche des femmes devant les utiliser. Caroline Criado-Perez rapporte aussi un cas tragique où ce matériel inadapté a été fatal à une policière britannique. En 1997, elle a été poignardée et assassinée alors qu’elle pénétrait dans un appartement à l’aide d’un bélier hydraulique. Gênée par son gilet pare-balles, elle l’avait enlevé pour utiliser le bélier. Autre cas : une policière a dû en 1999 subir une réduction mammaire à cause des effets du port de son gilet. Malgré les plaintes déposées depuis vingt ans, les choses ont peu évolué. Beaucoup se plaignent du manque de place pour les seins, qui en plus de l’inconfort, fait remonter le gilet, laissant les femmes sans protection au niveau du ventre.
Des voitures pour hommes
Cette invisibilisation s’étend jusqu’aux dispositifs de sécurité des voitures. Moins souvent impliquées dans les accidents, les femmes ont toutefois 47% de risques supplémentaires d’être sérieusement blessées lorsque cela arrive, 71% d’être légèrement blessées et 17% plus de mourir, rapporte la journaliste. «Et tout cela a à voir avec la conception de la voiture.» Au niveau international, en effet, la plupart des mannequins de crash-test sont encore moulés sur le corps d’un homme d’1,70 m et 76 kilos.
Ce n’est qu’en 2011 que les Etats-Unis ont introduit des mannequins féminins dans les tests de collision, quand un test réglementaire l’exige dans l’Union européenne. Mais des lacunes persistent : le mannequin n’est utilisé que sur le siège passager, ce qui ne permet pas de savoir la manière dont une conductrice serait touchée. D’autant plus que les femmes ne sont souvent pas positionnées de la même manière en raison de leur taille en moyenne plus petite. Caroline Criado-Perez ajoute : «C’est juste un mannequin masculin réduit. […] Mais les femmes ne sont pas des hommes réduits. Nous avons une distribution de masse musculaire différente. Nous avons une densité osseuse inférieure. Il existe des différences dans l’espacement des vertèbres. Même notre corps est différent. Et ces différences sont toutes cruciales en ce qui concerne le taux de blessures dans les accidents de la route.»Comme le note la journaliste, il serait enfin temps de concevoir du matériel pensé pour les femmes.
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