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mercredi 27 février 2019

La famille s’éclate

Par Anaïs Moran et CATHERINE MALLAVAL — 

En 2018, 758 000 bébés sont nés en France, soit 12 000 de moins qu’en 2017.
En 2018, 758 000 bébés sont nés en France, soit 12 000 de moins qu’en 2017. 
Photo Jérôme Brézillon. Tendance Floue

Le pacs s’envole, les jeunes mariés vieillissent, les couples de même sexe s’épanouissent… et les enfants arrivent plus tard. La photo de la famille française ne cesse de muter et de se diversifier, comme le montrent les chercheurs de l’Insee et de l’Ined.

Comment ça va la famille ? Ou plutôt les familles, les hétéros, les homos (de plus en plus visibles), les recomposées (un enfant sur dix y pousse), les monoparentales (plus d’une famille sur cinq, contre une famille sur dix en 1990) ? Ça bouge, ça bouge. Le cadre du «1 papa + 1 maman = 2 enfants» (avec parfois la bonne en sus, le chien, le Scenic…) n’est plus le seul à trôner sur les guéridons. La façon dont on choisit de s’unir (ou pas) tangue aussi, comme l’a encore confirmé l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) mardi, qui livre un portrait contrasté du mariage. Oui, oui, on se passe encore la bague au doigt, mais ce type d’union est à un niveau historiquement bas. Et si le pacs s’envole chez les couples hétéros, voilà que les homos freinent désormais sur les épousailles : 7 244 personnes de même sexe se sont mariées en 2017. Une chute de 31 %, comparé à 2014, première année de pleine application de la loi Taubira sur le mariage pour tous… Autre information livrée mardi par l’Institut : désormais on prend son temps. En vingt ans, l’âge moyen au moment du mariage a augmenté de plus de cinq ans, pour les hommes comme pour les femmes. Dans la très grande majorité des cas, l’épouse est plus jeune (ben voyons). Mais voilà désormais qu’un quart - seulement - des mariages unissent une femme à un époux plus jeune…
Autre tendance (lourde) : les femmes (désormais les plus diplômées dans la majorité des couples) font des enfants de plus en plus tard. Ce qui n’est pas sans incidence sur les chiffres de la natalité, encore en baisse en France en 2018. Et bouleverse profondément, comme dans tous les pays développés, le schéma familial.
Et les gosses là-dedans ? «Ce qui me frappe quand j’observe les changements qui ont eu lieu ces dix dernières années, c’est la facilité avec laquelle les enfants et les adolescents s’adaptent, grandissent et intègrent ces différents modèles parentaux quelle que soit leur propre situation», assure Anne Solaz, directrice de recherches à l’Institut national d’études démographiques (Ined). Alors, oui, ça va bien les familles.

Une quatrième année consécutive de baby blues 

Mouvement de flottement dans les couffins ? En 2018, 758 000 bébés sont nés en France, soit 12 000 de moins qu’en 2017. Et voilà maintenant quatre années consécutives que cela baisse, même si le rythme ralentit : -14 000 naissances en 2017, -15 000 en 2016 et -20 000 en 2015… Bilan ? Une moyenne de 1,87 enfant par femme en 2018. Pas de quoi empêcher - du moins pour l’heure - la France de continuer à caracoler en tête des pays les plus féconds de l’Union européenne. L’Irlande et l’Hexagone, fort du dynamisme de sa fécondité depuis une quinzaine d’années, avaient encore en 2017 la proportion de jeunes de moins de 15 ans la plus élevée (respectivement 21,1 % et 18,3 %). En Allemagne et en Italie, cette proportion est inférieure à 13,5 %, alors qu’elle est de 15,6 % pour l’ensemble de l’UE… Soit. Mais il y a tout de même une chute du nombre de bébés français. Les maternités tardives n’y sont pas pour rienLes arguments écologiques sur la surpopulation non plus.

Un bébé oui, mais pas tout de suite

Le XXIe siècle n’a pas inventé les maternités tardives. Et jusque dans les années 50, quand les familles nombreuses étaient encore courantes, moult femmes continuaient d’avoir des enfants jusqu’à ce qu’elles ne puissent plus concevoir. Aujourd’hui, explique l’Ined, les grossesses sur le tard sont de plus en plus courantes en France et «la majorité des naissances de mères âgées sont aujourd’hui des premières et deuxièmes naissances». L’âge moyen des parents à l’arrivée de l’enfant croît régulièrement et sûrement : il atteint 30,6 ans en 2018, contre 29,8 ans dix ans plus tôt. Il y a cinquante ans, près d’un tiers des femmes accouchaient pour la première fois entre 21 et 23 ans, et moins de 10 % devenaient mères après 30 ans, alors que c’est désormais le cas d’un tiers d’entre elles. «Le retard des naissances s’observe dans tous les pays développés depuis quatre décennies», abondent les chercheurs du Centre Wittgenstein de démographie de Vienne Eva Beaujouan et Tomáš Sobotka qui ont signé en janvier dans la revue Population & Sociétés de l’Ined une somme sur la question à partir des chiffres de la Human Fertility Database.
Pour eux, ce «retard» à l’allumage sur les naissances «résulte d’une combinaison de facteurs» : allongement des études, évolution du statut des femmes et des relations entre les sexes, changements de la vie de couple (mise en union plus tardive, rupture plus fréquentes d’union, remise en couple pour former une seconde union). Ce à quoi il faut ajouter une incertitude croissante chez les jeunes adultes. Et (à force) une image mieux acceptée de la maternité tardive. Enfin, il y a tardif et vraiment tardif : car les naissances deviennent également plus fréquentes chez les femmes ayant dépassé l’âge de la reproduction (50 ans et plus). Les pays de l’Union européenne en ont ainsi enregistré 1 293 chez celles de 50 ans et au-delà en 2016 contre… 287 en 2002. Merci le développement des techniques de procréation médicalement assistée (fécondation in vitro, don d’ovules…) qui, précisons-le, ne sont pas remboursées en France par la Sécu après 43 ans.

Une garde toujours plus alternée

C’est la bonne nouvelle de la décennie en matière de séparation conjugale : les cas de résidence (parfaitement) alternée pour les enfants ont doublé depuis 2010. Aujourd’hui, 400 000 mineurs résident la moitié du temps chez un parent puis chez l’autre, le plus souvent une semaine sur deux. Dans une rupture familiale sur cinq, cette solution égalitaire est désormais privilégiée.
D’après les données de l’Insee publiées en janvier, les décisions judiciaires en faveur d’une garde alternée ont doublé en dix ans et représentent 17 % des jugements. «Une amélioration qui répond à un meilleur partage des responsabilités et du temps parental», selon la chercheuse de l’Ined Anne Solaz, qui note que, pour les couples hétérosexuels, «le modèle de la résidence principale chez la mère est en perte de vitesse, bien qu’encore dominant».
Par ailleurs, la séparation des parents se fait ressentir dans la relation avec les marmots. Selon une enquête de l’Insee (2018), les enfants de parents séparés sont près de dix fois plus nombreux à se prendre la tête régulièrement avec leur géniteur (40 % contre 4 % parmi ceux dont les deux parents vivent ensemble). Le risque augmente, sans surprise, selon le degré de mésentente entre le père et la mère séparés. Et dégrade plus fortement la relation père-enfant : 7 % des ados déclarent ne plus avoir de lien avec leur père, alors que l’absence de relation avec la mère ou avec les deux parents est rarissime (1 %).

Madame porte les diplômes 

Fini le modèle «traditionnel» du couple hétérosexuel au sein duquel l’homme détiendrait le monopole académique. Les femmes sont désormais plus diplômées que leurs homologues masculins et, par conséquent, inévitablement plus qualifiées que leur conjoint. «L’élévation du niveau d’éducation des femmes, leur entrée massive sur le marché du travail, le développement de la contraception et la fin de la tutelle du mari sur sa femme ont profondément modifié le modèle fortement genré  qui prévalait jusqu’à la fin des années 60», explique Milan Bouchet-Valat, sociologue à l’université Paris-VIII, dans son étude sur «l’inversion de l’hypergamie féminine au fil des cohortes en France» (Ined, 2015). «Ce mouvement semble de nature à contribuer à une modification des rapports de force au sein du couple, et donc à la remise en cause des rôles assignés aux hommes et aux femmes», constate le chercheur.
Mais ne nous réjouissons pas trop vite : l’inversement de la «supériorité académique» n’abolit pas pour autant les différences de revenus au sein des couples. Selon l’Insee, trois femmes en couple sur quatre gagnaient moins que leur conjoint en 2014 (avec en moyenne un revenu annuel de 16 700 euros contre 29 000 pour l’homme). Certes, c’était il y a déjà cinq ans, les choses ont pu évoluer, et certainement dans une continuité positive : en 1982, les couples au sein desquels la femme gagnait plus que son conjoint ne représentaient que 10 % des unions. Mais on peut mieux faire : pour rappel, l’écart de salaire entre les femmes et les hommes est actuellement de 9 % à emploi égal, diplôme équivalent et même temps de travail.

Pacsons-nous, pacsons-nous… 

Mariage ou pacs ? Des unions désormais presque autant célébrées l’une que l’autre. Selon les derniers chiffres de l’Insee, quatre pacs (pacte civil de solidarité) sont aujourd’hui conclus quand cinq mariages sont prononcés. En 2017, on comptait 226 000 mariages et 186 000 pacs pour les couples de sexe différent, 7 000 mariages et autant de pacs pour les unions homosexuelles.
Ou comment l’option maritale décline au profit du pacte civil, dont le nombre ne cesse d’augmenter pour les personnes hétérosexuelles (il a été multiplié par douze en quinze ans). «Une surprise» pour Anne Solaz, directrice de recherche à l’Ined : «Le pacs a été initialement créé pour répondre à un besoin des couples de même sexe, mais on constate qu’ils ne représentent que 4 % des couples qui choisissent cette forme d’union, souligne-t-elle. Il est évident que le pacs répondait finalement aussi à une demande des couples hétérosexuels.» C’est entre 25 et 29 ans que le pacs atteint sa fréquence maximale (20 % des couples cohabitant), même si l’union libre est majoritaire (51 %) et que le mariage reste plus répandu (29 %) pour cette tranche d’âge. Concernant les profils, «les partenaires qui s’emparent de ce contrat sont des gens diplômés, urbains et majoritairement issus des catégories sociales supérieures», synthétise une enquête de l’Insee dévoilée le 16 janvier.
Concernant le mariage, sa fréquence augmente très fortement (et logiquement) avec l’âge des personnes. A partir de 30 ans, ce rite demeure la forme d’union la plus répandue (40 % des couples). Il survient toutefois de plus en plus tard : l’âge moyen atteint aujourd’hui 36 ans pour la mariée et 38,4 ans pour le marié (contre 33,3 ans et 36,1 ans il y a dix ans).



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