Alors que la santé ne figurait pas parmi les thèmes choisis par Emmanuel Macron, la question de l’accès aux soins s’est imposée dans le grand débat national.
Aucune des trente-cinq questions posées par le chef de l’Etat aux Français dans sa lettre publiée le 13 janvier n’abordait le sujet. Aucun des quatre principaux thèmes fixés par le gouvernement pour cadrer le grand débat ne le mentionnait explicitement. Et pourtant… De réunion publique en réunion publique, la question du juste accès au système de santé est apparue ces dernières semaines comme une préoccupation majeure des Français.
« L’une des constantes des remontées, c’est le besoin exprimé par nos concitoyens d’une plus grande présence dans les territoires de certains de nos services publics, en premier lieu la question de l’école, de la santé et des mobilités », a déclaré, mercredi 20 février, le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux.
Patients sans médecin traitant, délais d’attente pour accéder à certains spécialistes, urgences débordées… Les situations décrites sont venues conforter la plupart des diagnostics – sévères – récemment portés sur l’état du système de soins français.
Sentiment de relégation
Celui-ci traverserait une « crise » d’une « extrême gravité », selon la commission d’enquête sur l’égal accès aux soins des Français menée par des députés en 2018. Son « explosion » serait même « programmée », selon le titre du livre publié en 2018 aux Editions de l’Observatoire par le docteur Patrick Bouet, président de l’Ordre des médecins.
Une situation qui contribue à alimenter un sentiment de relégation. Dans une étude réalisée en mars 2017 pour Le Monde, le géographe de la santé Emmanuel Vigneron avait établi que 3,9 millions de Français vivaient dans des territoires à la situation alarmante en matière d’accès à des professionnels de santé et que 4,8 millions se trouvaient dans des territoires délaissés.
Facteur aggravant, « les difficultés en termes de densité médicale viennent le plus souvent s’agréger à d’autres facteurs de fragilité territoriale », a souligné l’Ordre des médecins, lors de la parution de son atlas de la démographie médicale en décembre 2018. « Ces territoires sont souvent les territoires ne bénéficiant que partiellement d’une couverture Internet mobile, ou encore ceux dont les habitants souffrent d’un accès difficile aux équipements de la gamme intermédiaire (collèges, supermarchés, stations-service…). »
« Surenchère entre les territoires »
Une France à « deux vitesses » dont les débats locaux se sont fait l’écho. « Deux à trois fois par mois, je suis interpellé par des habitants dont les parents âgés sont sans médecin traitant et qui me demandent ce que je fais pour y remédier », a raconté Henri Valès, le maire (divers gauche) de La Charité-sur-Loire (Nièvre), lors d’un débat à la salle des fêtes de sa commune, vendredi 15 février, en présence de la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, et de la ministre de la cohésion des territoires, Jacqueline Gourault.
« On a construit une maison de santé et, malgré tous nos efforts, les médecins ne viennent pas. On a pu en faire venir un sur les quatre prévus. Résultat : c’est la surenchère entre les territoires, c’est à qui déroulera le meilleur tapis rouge, c’est totalement ubuesque », a lancé l’élu sous les applaudissements.
Dans cette France périphérique des « déserts médicaux » où les installations de jeunes médecins sont loin de compenser les départs à la retraite (avec 6 460 généralistes de moins en France entre 2010 et 2018), les médecins hospitaliers manquent également à l’appel.
Les taux de vacance de postes à l’hôpital public sont proches de 30 % en moyenne. Pour faire face, les directeurs doivent recourir à des médecins titulaires de diplômes étrangers. A l’hôpital de Nevers, par exemple, en mai 2017, plus de la moitié (55 %) des 143 praticiens en poste étaient nés et avaient passé leur diplôme initial de médecine hors de France.
Médecins intérimaires à prix d’or
Les établissements de santé doivent aussi se résoudre à recourir à des médecins intérimaires payés à prix d’or, parfois de manière quasi exclusive. Un recours excessif qui peut conduire les agences régionales de santé à fermer pour des raisons de sécurité certains services et maternités, comme cela a été récemment le cas au Blanc (Indre) ou à Saint-Claude (Jura).
Conséquence : l’incompréhension, l’inquiétude et la colère des populations concernées, qui font valoir que « la proximité est la première des sécurités ». Selon la direction statistiques du ministère de la santé (Drees), 326 000 femmes en âge de procréer vivent aujourd’hui à plus de 45 minutes de la maternité la plus proche.
« Vous avez déjà fermé notre maternité, vous allez fermer la chirurgie conventionnelle à partir du 1er juillet. Où allez-vous arrêter la fermeture de ces services publics ? », a demandé, le 15 février, un habitant de Decize, une petite ville de la Nièvre. « On assiste à un démantèlement des services publics, je suis extrêmement inquiète », a ajouté Justine Guyot, la maire de la commune.
« Il n’y a pas une solution toute faite qui permettrait demain de résorber les déserts qui vont nécessairement se creuser pendant dix ans », a récemment déclaré Olivier Véran, député LRM
Point commun à toutes ces situations : le manque de médecins, dont un nombre insuffisant a été formé entre 1990 et 2005. Même si – paradoxalement – la France n’a jamais compté autant de médecins en activité (226 000 au 1er janvier 2018), en termes de démographie médicale, la période la plus critique est attendue entre 2021 et 2025.
« Il n’y a pas de martingale, il n’y a pas une solution toute faite qui permettrait demain de résorber les déserts qui vont nécessairement se creuser pendant dix ans », a récemment déclaré Olivier Véran, député (La République en marche, LRM) de l’Isère et rapporteur général de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. « On a dix années extrêmement compliquées à tenir », a souligné Mme Buzyn à La Charité-sur-Loire.
Cette question des déserts médicaux est pourtant sur la table depuis longtemps. « Dans nos petites villes, nous commençons à être confrontés au manque de généralistes et de spécialistes. Dans l’agglomération cherbourgeoise, nous n’arrivons plus à recruter », alertait, dès 2001, dans Le Monde le docteur Frédéric Bastian, alors président de SOS-Médecins. « Dans la Manche, le pire est à venir », prédisait le docteur Jean-Claude Lemoine, alors député (RPR) de Saint-Lô. Il assurait : « Régionaliser le numerus clausus ne suffira pas, il faut le repenser. »
« Casser le lobby médical »
Dix-huit ans plus tard, où en est-on ? Les nombreuses propositions de loi portées par des parlementaires ruraux visant à contraindre ou à réguler l’installation des médecins ont échoué les unes après les autres. « Arrêtez de faire croire que la coercition marche, on vous fait croire des sornettes, ça ne marche pas, c’est de la démagogie pure et simple », a lancé Agnès Buzyn le 15 février aux élus nivernais qui lui réclamaient de « casser le lobby médical » et d’instaurer un « minimum de contraintes » pour les futurs médecins.
Les ministres de la santé de gauche comme de droite ont donc opté pour la méthode douce. Ils ont multiplié les dispositifs incitatifs et les statuts avantageux : prime à l’installation de 50 000 euros, dispositifs garantissant un certain niveau de revenus, etc. Ils ont aussi beaucoup misé sur le développement des maisons de santé pluriprofessionnelles. Des moyens importants qui n’ont pas donné des résultats à la hauteur des attentes.
Signe que la question du juste accès aux soins de proximité est désormais devenue cruciale, c’est le chef de l’Etat lui-même, qui, en septembre 2018, a lancé depuis l’Elysée une vaste réforme du système de santé. Ce plan ambitieux, qui ne figurait pourtant pas en tant que tel dans son programme de campagne, a pour l’instant été plutôt bien accueilli par les différents représentants du monde de la santé. Il prévoit notamment un fort desserrement du numerus clausus, qui devrait d’ici à dix ans permettre de former 20 % de médecins supplémentaires. Il prévoit également que les médecins libéraux s’organisent à l’échelle d’un territoire pour mieux répondre aux besoins de la population.
« Non à l’abattage en médecine générale »
Les projets du gouvernement suscitent toutefois quelques inquiétudes. Alors que l’examen du projet de loi santé doit démarrer le 12 mars à l’Assemblée nationale, des maires de petites villes ont fait part de leur crainte de voir leur hôpital être contraint de fermer leur service de chirurgie ou d’obstétrique. « Ce sont les hôpitaux qui choisiront, chaque hôpital verra ce qu’il veut garder comme activité », a promis Mme Buzyn le 15 février.
Les médecins libéraux, eux, s’inquiètent des contreparties demandées par l’Assurance-maladie en échange du financement de 4 000 assistants médicaux, destinés à leur libérer du temps médical. « Non à l’abattage en médecine générale », ont demandé des généralistes dans une pétition – signée par plus de 8 000 médecins mercredi 27 février en fin de matinée –, après avoir compris que la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) leur demandait de voir six patients par heure pour pouvoir prétendre à un assistant.
Reste désormais à savoir si d’éventuelles propositions en matière d’accès aux soins issues du grand débat pourront venir compléter une réforme déjà bien engagée.
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