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mercredi 26 décembre 2018

Un petit poisson trouble le test du miroir

Controverse dans le monde de la biologie du comportement : le labre nettoyeur aurait réussi l’examen censé prouver la conscience de soi.
Par Nathaniel Herzberg Publié le 23 décembre 2018

Zoologie. Parmi les spécialistes de l’intelligence animale, le test du miroir fait figure de juge de paix. Depuis son invention en 1970, il divise le monde en deux : ceux qui disposent de la conscience de soi et ceux qui en sont dépourvus. D’un côté, les chimpanzés, les orangs-outans et les humains ; de l’autre le reste du règne animal. Certains chercheurs ajoutent aux heureux élus les bonobos, les gorilles, les éléphants d’Asie, les dauphins et les pies. Mais même dans sa version élargie, le club reste particulièrement sélect.

Or un chercheur sud-africain travaillant à l’Institut Max-Planck de Constance (Allemagne) vient de faire une annonce fracassante. Dans un article mis en ligne sur le site de partage bioRxiv et accepté par la revue PLoS Biology, Alex Jordan assure avoir fait passer avec succès les épreuves traditionnelles du fameux test à des labres nettoyeurs. Jusqu’ici, ce petit poisson tropical tricolore (noir, blanc et bleu) avait retenu l’attention des chercheurs par son mode de vie bien particulier. En effet, il se nourrit des parasites accumulés sur les écailles d’autres poissons, bien plus gros, les libérant du même coup de ces visiteurs indélicats. « Il doit savoir lesquels de ces gros poissons vont l’attaquer ou pas, précise le biologiste du comportement. Il les trompe aussi parfois en en profitant pour avaler un peu du mucus qui les protège. Un peu mais pas trop… Tout ça lui demande une intelligence supérieure. C’est ce qui nous a donné l’idée de lui faire passer le test. »
Des labres nettoyeurs face à un miroir.
Des labres nettoyeurs face à un miroir. Alex Jordan
Ledit test consiste à placer une marque de couleur sur un individu, en un point qu’il ne peut voir directement (sur la face ou le cou) et à lui présenter alors un miroir. Les uns restent insensibles ou attaquent le concurrent qu’ils croient discerner dans leur reflet ; les autres se mirent puis tentent de se débarrasser de la tache. Et c’est précisément ce qu’ont fait trois des quatre poissons à qui Alex Jordan venait d’injecter un colorant brun sous la peau de la gorge. Après observation, ils sont allés se frotter contre des rochers. Apaisaient-ils une démangeaison ? Jordan a vérifié avec une injection incolore, sans troubler le comportement des poissons.
Le biologiste sud-africain a d’abord tenté de publier ces résultats dans la prestigieuse revue Science. Il a essuyé un refus, après un rapport défavorable des reviewers (relecteurs), parmi lesquels Gordon Gallup, l’inventeur du test du miroir. « Les marques ressemblent à des parasites et les labres nettoyeurs ont l’habitude de les retirer des autres poissons, explique au Monde le pionnier, professeur à l’université de l’Etat de New York à Ithaca. En se grattant la gorge, il peut juste essayer d’attirer l’attention de son condisciple de la présence d’un parasite sur la gorge de celui-ci. »
Cette explication, Alex Jordan la juge peu crédible. « Parce qu’elle exige du poisson des capacités cognitives beaucoup plus complexes que celles requises dans notre hypothèse. Surtout, parce que nous avons fait les expériences qui l’écartent », assure-t-il. Une marque a ainsi été collée sur le miroir, sans résultat. Ou encore sur un congénère présenté directement au sujet testé. Toujours sans aucun effet.
Le labre nettoyeur serait donc le premier poisson disposant de la conscience de soi ? « Je ne crois pas, estime Alex Jordan. Des tas d’animaux savent qu’ils ont un corps à eux. Ils ont une perception d’eux-mêmes, ce qui est très différent de la conscience de soi. Notre article ne peut pas conclure, mais ma conviction, c’est que le test du miroir ne mesure pas ce qu’il prétend. » En note en bas de page, le biologiste aurait pu renvoyer à Un jour aux courses, des Marx Brothers. Prenant le pouls d’une personne, Groucho pose son diagnostic : « Soit cet homme est mort, soit ma montre est arrêtée. »

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