Benoît Péricard, ancien directeur de l’agence régionale d’hospitalisation des Pays de la Loire, estime, dans une tribune du « Monde », que la transformation du parc hospitalier est nécessaire pour éviter un système de santé à deux vitesses.
Par Benoît Péricard Publié le 28 décembre 2018
Tribune. La transformation du parc hospitalier est nécessaire pour réussir Ma santé 2022 [le programme annoncé le 18 septembre par le président de la République]. Il faudra redonner de l’espoir aux personnels hospitaliers et en finir avec les déficits. Prenons l’exemple des petites maternités. Si nous étions capables de proposer et faire signer un tel courrier aux futures parturientes d’une cinquantaine de maternités dans l’Hexagone, nous n’aurions pas à soutenir les restructurations hospitalières avec cette tribune.
« Madame, vous avez choisi d’accoucher dans notre maternité et nous vous félicitons de votre choix. Celle-ci fait partie des maternités de proximité, elle assure un service sur notre territoire qui entraîne certaines contraintes : votre accouchement se déroulera sous la responsabilité d’une sage-femme, un médecin généraliste d’astreinte pourra être appelé en cas de difficultés ou de complications. Si le déroulement de l’accouchement le nécessitait, un transfert serait effectué dans la maternité de la ville X, située à 45 km, ce qui représente un déplacement de 60 minutes maximum en ambulance. Votre signature vaut approbation de ces conditions de prise en charge et des risques encourus… »
Dans un pays qui a inscrit le principe de précaution dans sa Constitution, où l’organisation et la réglementation des maternités ne sont pas fondées sur l’accouchement physiologique, largement majoritaire en France, une telle possibilité n’a aucune chance d’être traduite dans une disposition réglementaire dans le code de la santé publique.
Dans les sous-préfectures, – Le Blanc (Indre), Guingamp (Côtes-d’Armor), Apt (Vaucluse), Die (Drôme), Saint-Claude (Jura), Vire (Calvados) –, dont beaucoup de Français découvrent le nom à l’occasion de la fermeture ou de la menace de fermeture d’une maternité, le scénario paraît inéluctable : le nombre de naissances diminue, au point de passer sous la barre des 500, et même des 300 accouchements par an (seuil réglementaire), c’est-à-dire moins d’un seul accouchement par jour. L’établissement a de plus en plus de mal à recruter du personnel médical, obstétriciens, anesthésistes, a donc recours pendant quelque temps à de l’intérim médical, ce qui fragilise à la fois la cohésion des équipes et pèse lourdement sur l’équilibre financier. L’autorité de tutelle, l’agence régionale de santé (ARS) avertit, l’agonie se prolonge parfois de longs mois voire de nombreuses années, et puis le verdict tombe : transformation de la maternité en Centre périnatal de proximité (CPP).
Seuil de viabilité à 1 000 accouchements par an
Pour la presse et les élus locaux, les coupables sont désignés : une autorité aveugle, et des contraintes financières qui étranglent les petites structures. Au-delà, c’est une politique contraire à l’aménagement du territoire qui est dénoncée. Les arguments de sécurité sont presque inaudibles, certains n’hésitant pas a contrario à jeter le discrédit sur les « usines à bébés ». Pourtant, le regretté professeur Minkowski, un des « papes » de l’obstétrique moderne, que j’interrogeais pour lui demander son avis sur le projet de fusion de deux grosses maternités dans une préfecture, m’avait répondu : « Sur le plan de la sécurité, les meilleurs chiffres au monde sont ceux de Singapour, où deux maternités font l’une 16 000, l’autre 19 000 accouchements par an ! » Il ajoutait avec l’honnêteté intellectuelle qui le caractérisait : « Sur le plan de la convivialité, ce n’est sans doute pas ce qu’attendent les parturientes françaises. » La plus grosse maternité française est celle de Mayotte, où naissent chaque année près de 10 000 bébés ; en métropole, les plus grosses accueillent entre 15 et 20 accouchements par jour : de là à parler d’« usines à bébés », il y a plus qu’un pas à franchir.
Doit-on pour autant fermer toutes les structures où il n’est pas possible de maintenir une équipe médicale 24h/24, ce qui nécessite au minimum trois obstétriciens, trois anesthésistes ? Sur un plan tant qualitatif que budgétaire, cela place la limite de viabilité à environ 1 000 accouchements par an, soit un peu moins de trois par jour. La plupart des structures privées ne réalisant pas ce niveau d’activité ont d’ailleurs fermé leurs portes. Il est vraisemblable que le même scénario se reproduise pour les maternités publiques ou privées à but non lucratif et qu’entre 50 et 100 établissements doivent encore disparaître dans les dix ans à venir.
Si nous comparons les situations régionales, en Ile-de-France, la taille moyenne d’une maternité est de 2 093 accouchements (chiffres 2016). En Pays de la Loire, ce chiffre est de 1 778, alors qu’en Nouvelle Aquitaine, il n’est que de 1 139 ou en Grand Est de 1 218. Traduit autrement, pour un nombre d’accouchements égal, il y a 50 % plus de maternités dans le Sud-Ouest ou dans l’Est de la France qu’en Pays de la Loire. Comment interpréter ces chiffres ? Il y a, bien sûr, la densité de population et la géographie physique, ce qui explique la situation de l’Ile-de-France. Mais pour les autres régions, pourquoi une telle différence ? Il faut sans doute aller chercher dans l’action, ou plutôt dans l’inaction des autorités chargées de la régulation (agence régionale de l’hospitalisation (ARH), puis, depuis 2009, les ARS) et dans la capacité de résistance des élus locaux, voire d’un président de Fédération sportive, comme ce fut le cas récemment à Guingamp, malgré l’avis unanime des professionnels de santé concernés.
Quelques mesures simples
Et si nous parvenions collectivement à démontrer qu’une transformation préparée, accompagnée, vaut cent fois mieux qu’une agonie délétère, clivante, qui nourrit l’antienne trop facilement entonnée de la désertification des territoires ? Prenons déjà trois mesures simples, mais très différentes : d’abord, changer les règles de l’état civil pour que le lieu de naissance puisse être déclaré au domicile des parents et non automatiquement dans la ville de la maternité. Ce point peut paraître symbolique, mais il contribuerait grandement à une meilleure acceptation des restructurations par les élus. Ensuite, prendre en charge pour toutes les parturientes résidant à plus d’une heure d’une maternité dix nuitées d’hôtel avant le terme prévu : ce dispositif, qui n’est ni plus ni moins que celui qu’adoptaient les familles bourgeoises au début du XXe siècle, aurait un coût très inférieur au maintien d’une structure déficitaire. Enfin, mettre en place une filière spécifique SAMU/SMUR pour amener les femmes sur le point d’accoucher dans les meilleurs délais.
Imaginons la garantie d’une transformation sans aucune perte d’emploi, puisque l’établissement abritant une petite maternité a naturellement vocation à devenir un établissement de proximité
Ajoutons à ces propositions la garantie d’une transformation sans aucune perte d’emploi, puisque l’établissement abritant une petite maternité a naturellement vocation à devenir un établissement de proximité tel qu’identifié par le président de la République dans son discours du 18 septembre. Pour les équipes hospitalières, qui seraient ainsi rassurées, l’expérience prouve qu’une fois dépassé le choc de l’abandon d’une activité gratifiante, elles retrouvent le sens même de la fonction hospitalière en accueillant mieux les malades chroniques et les aînés, à qui sont destinés principalement les établissements de proximité. Ainsi l’énergie et la compétence des soignants sont mieux utilisées que seulement tendues dans une défense désespérée d’une activité vouée à disparaître.
Il y a enfin une autre solution pour les dix à vingt cas (seulement) de réel isolement géographique : c’est la fusion avec un établissement plus important, comme c’est le cas à Carhaix (Finistère), qui est désormais un établissement à part entière du CHU de Brest. Mais il faut savoir que cela ne peut se faire qu’avec des professionnels engagés, qui acceptent des conditions d’exercice contraignantes, et que cela a un coût supplémentaire qui devrait se traduire soit par une tarification augmentée d’un coefficient d’éloignement, soit par une allocation de moyens spécifiques.
Mais il est temps d’arrêter d’avoir honte de restructurer le parc hospitalier, alors qu’il ne s’agit ni plus ni moins que de l’adapter aux réalités démographiques et épidémiologiques. Si nous ne réussissons pas à structurer les territoires de santé en fonction des besoins des populations et à convaincre les citoyens de cette nécessité, il est vraiment à craindre que s’installe cette fois-ci durablement un système de santé à deux vitesses, l’excellence et la proximité pour les métropoles, la médiocrité et la précarité pour les territoires éloignés.
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