La sociologue Anne-Chantal Hardy décrypte les raisons qui font que si peu de femmes accèdent aux lieux de pouvoir
Propos recueillis par François Béguin et Camille Stromboni Publié le 28 décembre 2018
La sociologue de la santé Anne-Chantal Hardy, directrice de recherche au CNRS, revient sur les raisons pour lesquelles si peu de femmes accèdent aux lieux de pouvoir dans le monde hospitalo-universitaire.
Pourquoi le monde hospitalo-universitaire n’a-t-il pas suivi la féminisation des professions médicales ?
Aujourd’hui cela évolue doucement. Les spécialités se féminisent toutes un peu, mais à des rythmes très différents. Certaines sont en train de basculer vers l’équilibre. Il y a quelques années seulement qu’une femme est devenue urologue pour la première fois. Aucune citadelle n’est imprenable, mais il demeure des milieux, comme la chirurgie, où les femmes sont peu présentes et qui restent très durs pour elles. En médecine, elles n’ont jamais été en concurrence avec les hommes : elles sont arrivées, après la réforme de l’internat, là où les hommes n’allaient pas, d’où leur forte présence en médecine générale. Mais cette spécialité est quasiment absente du monde hospitalo-universitaire.
L’hôpital est-il un milieu conservateur ?
Le milieu hospitalier demeure excessivement machiste. Il faut rappeler que l’on part de loin : les facultés de médecine ont longtemps été fermées aux femmes, de même que les salles de garde aux femmes internes. Les fresques avec des dessins pornographiques, qui s’y étalent sur les murs, ne font débat que depuis peu. Le sexisme reste fort dans le milieu médical, où la sexuation du corps non malade est fortement présente.
La féminisation a été une petite révolution à l’hôpital, par exemple avec l’arrivée des demandes de congé maternité ! Il y a quelques années, j’entendais encore de jeunes internes tenter d’obtenir un emploi du temps avec moins de cinquante heures par semaine parce qu’elles étaient enceintes… Si elles veulent y arriver, elles ont intérêt à accepter n’importe quels horaires. Il y a des femmes qui ne prennent pas leur congé maternité.
N’y a-t-il pas aussi une autocensure des femmes vis-à-vis des postes de pouvoir ?
On garde cette vision que l’idéal de vie et de carrière, c’est d’être dans toutes les hautes sphères de pouvoir et de cumuler cinquante postes à la fois. Mais cette norme masculine, d’une recherche d’un maximum de pouvoirs et de « places », n’est pas forcément celle que tout le monde veut atteindre. Si les femmes sont moins présentes sur ces postes, ce n’est pas qu’elles se censurent, mais que ça ne les intéresse pas forcément.
Plutôt que de vouloir que les femmes se lancent dans la grande concurrence, il faudrait réfléchir plutôt à comment freiner ce mouvement d’empilement : on est PU-PH [professeur des universités-praticien hospitalier], chef de service, chef de pôle, chef de CME [commission médicale d’établissement]… Si on décide de mieux répartir les responsabilités, on trouvera plus de femmes à ces postes. Cela nécessite des moyens. Je pense que la question se pose désormais de manière générale : l’aspiration des jeunes médecins, hommes et femmes, est aujourd’hui à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, en passant moins de temps au travail. Ce qui peut participer à plus d’égalité entre sexes.
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