Pour Pierre Jouannet, spécialiste de la reproduction humaine, toutes les femmes devraient bénéficier d’un droit à la procréation non motivé médicalement.
Lecture 5 min. Tribune. Le droit à l’enfant n’existe pas, mais des femmes et des hommes peuvent souhaiter devenir parents. Ils peuvent réaliser leur projet parental soit en choisissant de débuter une grossesse qui aboutira à la naissance d’un enfant soit en adoptant un enfant.
Parfois cependant, la femme peut se sentir incapable de mener à terme la grossesse quand elle n’est pas désirée ou si elle doit conduire à la naissance d’un enfant sévèrement malade ou atteint d’un grave handicap. Le grand mérite de Simone Veil est d’avoir compris qu’une loi interdisant l’avortement était inopérante car la plupart des femmes qui le souhaitaient avortaient de toute façon, soit en allant à l’étranger, soit en ayant recours à des pratiques clandestines plus ou moins dangereuses pour elles. Il convenait donc, non seulement d’autoriser l’avortement, mais aussi de faire en sorte qu’il soit pratiqué dans de bonnes conditions.
D’emblée, deux types de situations furent distinguées. D’abord celle de l’interruption médicale de grossesse (IMG) qui peut être réalisée à tout moment avant la naissance quand il y a un danger grave pour la mère ou quand le fœtus est porteur d’une pathologie grave et incurable. Le dispositif réglementaire encadrant la réalisation d’une IMG fait intervenir une structure spécialisée, un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal, qui donne son avis sur la légitimité médicale de l’intervention.
La deuxième situation a été appelée interruption volontaire de grossesse (IVG) quand l’avortement n’est pas motivé médicalement et qu’il fait l’objet d’un encadrement réglementaire particulier. Le deuxième grand mérite de Simone Veil est d’avoir fait inscrire dans la loi dès 1975 que c’est la femme et elle seule qui peut décider de réaliser une IVG. La décision ne peut appartenir ni à l’Etat, ni aux médecins, ni à qui que ce soit d’autre que la femme elle-même..
Quand les couples ne peuvent réussir leur projet parental car la procréation par voie naturelle est difficile ou impossible, ils peuvent solliciter l’aide de la médecine pour devenir parents. En effet si les traitements de l’infertilité ne sont pas toujours efficaces, de nombreuses procédures médicales ont été développées depuis une cinquantaine d’années pour obtenir une grossesse, y compris en ayant recours aux gamètes de tiers donneurs.
Les technologies permettant d’intervenir sur le début de la vie ont interpellé la société dans de nombreux pays et il a été souvent décidé de les encadrer de manière plus ou moins stricte. C’est le cas en France depuis 1994 où la procréation médicalement assistée (PMA) a été légalisée mais où il a été décidé qu’elle ne pouvait être entreprise que si elle était motivée médicalement et si la demande était formulée par un couple composé d’une femme et d’un homme.
« Peut-être le temps est-il venu de reconnaître à toutes les femmes le droit d’initier une grossesse librement et dans de bonnes conditions, avec l’aide de la médecine »
Aujourd’hui de nombreuses femmes, qui n’ont pas d’infertilité médicalement diagnostiquée et/ou ne vivent pas avec un homme désirent devenir mères en procréant dans de bonnes conditions avec l’aide de la médecine. Mais la loi française le leur interdit. Alors, comme les femmes qui souhaitaient interrompre leur grossesse au début des années 1970, soit elles vont à l’étranger dans des pays où ceci est autorisé, soit elles ont recours à des pratiques clandestines plus ou moins douteuses et dangereuses. La loi est donc devenue inopérante, de plus elle est incompréhensible. Si on a reconnu à toutes les femmes le droit de pouvoir interrompre une grossesse librement et dans de bonnes conditions, au nom de quoi devrait-on refuser à certaines femmes le droit de pouvoir procréer librement et dans de bonnes conditions ?
L’interdiction actuelle est de plus totalement incohérente. Il est souvent avancé que prévoir d’élever un enfant sans père est inenvisageable car contraire à son intérêt. Pourtant la loi française autorise l’adoption par des femmes célibataires ou par des couples de personnes de même sexe, c’est donc qu’elles sont reconnues capables d’élever un enfant qui leur sera confié par la société même en l’absence de père.
D’autre fois on s’inquiète du développement et du bien-être de l’enfant qui serait conçu dans ces conditions. Cette interrogation est légitime et on peut souhaiter que ces enfants soient l’objet de toutes les attentions et recherches nécessaires, même si de nombreuses études ont déjà été réalisées dans d’autres pays et qu’elles sont très rassurantes sur ce point. Elles montrent que les enfants souffrent moins d’être élevés par deux femmes que de la discrimination qui se manifeste à l’égard de leurs mères dans la société, en particulier à l’école.
De même que l’on a su reconnaître, il y a plus de quarante ans, aux femmes le droit de décider librement d’interrompre une grossesse, peut-être le temps est-il venu de reconnaître à toutes les femmes le droit de pouvoir initier une grossesse librement et dans de bonnes conditions. De même que l’on a su reconnaître, à l’époque, qu’à côté des IMG il pouvait y avoir des IVG, peut-être serait-il temps de reconnaître qu’à côté des procréations assistées pour raison médicale, il peut y avoir des procréations volontaires assistées (PVA) non motivées médicalement.
Une décision qui appartiendra à la femme et à elle seule
Comme l’IVG, la PVA sera un acte médical dont la décision appartiendra à la femme et à elle seule, ni à l’Etat, ni aux médecins, ni à qui que ce soit d’autre. Cette reconnaissance ne devra pas signifier pour autant que cet acte soit réalisé dans n’importe quelles conditions et n’importe comment. Il devra impliquer respect et responsabilités.
Il convient en l’occurrence de respecter les conditions dans lesquelles les femmes et les hommes de notre pays peuvent vivre leur sexualité, leur reproduction et leur vie familiale quelles que soient leurs convictions philosophiques, religieuses ou autres. Il convient aussi de bien identifier les responsabilités des différents acteurs impliqués dans la PVA. Les responsabilités des femmes qui s’engageront dans la PVA pour réaliser leur projet parental en ayant conscience des conséquences de leur choix pour elles-mêmes mais aussi pour les enfants qui naîtront.
Les responsabilités des équipes médicales qui prendront en charge la PVA avec toute l’efficacité et la sécurité nécessaires, mais aussi en accompagnant ces femmes pour que leur projet parental soit mené au mieux pendant la grossesse et après la naissance. Les responsabilités de l’Etat pour qu’il définisse les conditions de mise en œuvre de la PVA, mais aussi pour éviter que les femmes qui y ont recours et les enfants qui en sont issus soient traités de façon discriminatoire sur les plans social, financier et juridique. Ne doutons pas des capacités du gouvernement et des parlementaires, qui ont entamé le processus de révision de la loi relative à la bioéthique, à agir dans ce sens comme ont su le faire leurs prédécesseurs pour l’IVG.
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