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samedi 29 décembre 2018

Dans les hôpitaux, des postes de pouvoir si masculins

Maternité, barrière psychologique, machisme… les femmes médecins ne sont qu’une petite minorité à occuper les postes de prestige.
Par François Béguin et Camille Stromboni Publié le 28 décembre 2018

AUREL
C’est un milieu prestigieux, difficile d’accès et… très largement tenu par des hommes. Alors que les femmes représentent plus de la moitié (52 %) des médecins hospitaliers en 2018, selon les chiffres du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers, elles ne sont qu’une petite minorité à occuper les postes de professeurs des universités – praticien hospitalier (PU-PH) et les postes de pouvoir à l’hôpital (chef de service, de pôle…).
Pour mettre fin à cette anomalie, près de 130 médecins demandent dans une tribune publiée vendredi 28 décembre dans Le Monde que soient prises « toutes les mesures nécessaires à favoriser une accession satisfaisante des femmes » à ces postes.
Après avoir longtemps été exclusivement masculin, le monde hospitalo-universitaire, où se combinent missions de soins, de recherche et d’enseignement, peine toujours à se mettre à l’heure de la parité. En 2016, les femmes ne représentaient toujours que 19 % du corps le plus élevé, celui des PU-PH en médecine, selon un rapport des inspections générales des affaires sociales et de l’enseignement supérieur, paru en juillet. Soit un taux encore plus bas que dans le reste du monde universitaire, où 24 % des professeurs sont des femmes. Et, en 2017 et 2018, seules 28 % de femmes ont été nommées PU-PH, pour un total de 366 nominations, font valoir les auteurs de la tribune.

Une sous-représentation qui s’explique par une addition de facteurs, plus ou moins visibles. La carrière hospitalo-universitaire, qui se joue à la trentaine, est un parcours du combattant, décrivent unanimement les femmes médecins interrogées par Le Monde. Il faut mener de front une carrière médicale et scientifique, ajouter une thèse en science à celle de médecine, effectuer une mobilité – de préférence à l’étranger –, multiplier les publications de recherche pour avoir le dossier de candidature le plus consistant possible… Le tout à un âge où peut se poser pour les femmes la question de la maternité.

« Mettre les bouchées doubles »

« La grande complexité dans la carrière réside avant tout dans le fait d’être mère, résume Cécile Badoual, PU-PH anatomopathologiste à l’hôpital européen Georges-Pompidou (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), présidente du conseil pédagogique de la faculté de médecine de Paris-Descartes, et mère de trois enfants. Qu’on soit un homme ou une femme, il faut travailler comme un cinglé, mais il y a la réalité de la mère de famille et, pour cela, on n’a pas de points en plus, pas de cadeau. » L’ancienne jeune interne « TGV », qui effectuait son internat à Tours alors que sa famille était à Paris, n’a cessé de « mettre les bouchées doubles »« Je ne m’arrêtais pas de 8 heures à minuit… Il faut être épaulé, avec une structure familiale qui vous soutient, sinon on n’y arrive pas. »
Professeur de diabétologie à la Pitié-Salpêtrière à Paris, Agnès Hartemann le reconnaît : son divorce, et le fait d’avoir ses trois enfants en garde alternée, lui a permis d’avoir un mi-temps à consacrer à la recherche. « J’allais faire mes manipulations au laboratoire le week-end, je passais mes soirées à lire des articles de recherche. »
Avoir des enfants, quand on est une femme, c’est jongler avec un emploi du temps déjà impossible, avec cette réalité, dont toutes témoignent, d’un partage des tâches encore inégal. Mais c’est aussi être moins disponible pour remplacer au pied levé le « patron » pour une présentation. « Quand une femme part à un congrès, on dit qu’elle abandonne ses enfants, on ne le dit pas d’un homme, il y a une vision archaïque des choses », témoigne Véronique Leblond, chef de service d’hématologie à la Pitié-Salpêtrière depuis 2009 et chef de pôle de 2011 à 2018.
« Vous avez quand même trois points noirs dans votre dossier », a glissé un jour un chef de service à une femme médecin alors qu’il l’accompagnait vers la commission de recrutement pour devenir maîtresse de conférences des universités – praticien hospitalier (MCU-PH), le premier corps de la carrière hospitalo-universitaire, avant celui de professeur. Pas besoin de lui faire un dessin, ces trois points noirs, ce sont alors… ses enfants. Une réflexion particulièrement « violente », se souvient-elle, mais qui ne l’a pas empêchée d’arriver jusqu’au poste de PU-PH, à l’orée de la quarantaine, soit l’âge moyen en médecine où l’on accède à de telles fonctions, un cap difficile.

Douze présidents, douze hommes

La question des enfants se pose également lorsqu’il s’agit de prendre des responsabilités administratives, exigeantes en matière d’horaires, avec par exemple des réunions en fin de journée. « Je suis prête à rentrer tard pour un patient avec un cancer métastasique, mais pas quand il s’agit d’une réunion à la faculté à 19 heures pour gérer une question administrative tout sauf urgente, témoigne sous le couvert de l’anonymat une jeune maîtresse de conférences dans un hôpital du sud de la France. J’ai osé indiquer que je préférais voir, de temps en temps, mes enfants… Je sais que ce refus va me porter préjudice. »
Dans ces conditions, comment s’étonner qu’à l’AP-HP les douze présidents de commission médicale d’établissement (CME), les instances représentant les médecins des hôpitaux, soient tous des hommes ? Ou que, dans les facultés de médecine, trente-deux des trente-sept doyens soient des hommes, bien que les conseils chargés de les élire soient, eux, paritaires ?
Un exemple parmi d’autres : dans le groupe hospitalier parisien de la Pitié-Salpêtrière, en 2016, la moitié (49 %) des 320 médecins étaient des femmes, mais seules 15 % des PU-PH l’étaient, selon un article de recherche de Charlotte Rosso, médecin à l’AP-HP, consacré au « plafond de verre » dans les carrières hospitalo-universitaires. Aucun des onze pôles, regroupant 84 services, n’est actuellement dirigé par une femme.
Il n’est pas une médecin qui n’ait pas son anecdote pour raconter un univers encore très masculin, peu enclin à voir les femmes y entrer. Ce sont ces congrès où seuls des hommes siègent à la tribune, dans des spécialités pourtant majoritairement féminines. Ce sont ces missions de secrétariat, qui retombent comme par hasard toujours sur les femmes. « La secrétaire du master 2, dont je codirige un enseignement avec un collègue, m’envoie toujours les questions d’organisation ou de gestion des mails aux intervenants. A lui, les questions de fond », témoigne une maîtresse de conférences.

Le changement est lent

C’est aussi ce chef de service qui bloque le dossier d’une femme parce qu’il veut voir plutôt un homme – son « fils spirituel » – lui succéder. Or, en médecine, une carrière passe par un ou une mentor. « Il faut être soutenu, à toutes les étapes de promotion : cela dépend beaucoup d’un chef de service qui vous libère du temps, parle de vous à ses collègues », décrypte ainsi une PU-PH.
D’autres freins perdurent, moins visibles : des barrières psychologiques. Isabelle Constant, professeure dans une spécialité très masculine, l’anesthésie-réanimation, à l’hôpital Trousseau, à Paris, qui effectue son troisième mandat de chef de pôle, le décrit simplement : « Les hommes ne se posent pas la question de la légitimité : un homme qui fait carrière, c’est glorieux, une femme, on lui demande encore pourquoi. »
« Nous ne sommes plus dans un système de cooptation, comme cela a pu l’être à une autre époque », affirme cependant Jean Sibilia, le président de la conférence des doyens de médecine. « Ce sont des critères d’excellence qui dominent désormais, même si on ne peut exclure qu’il y ait encore du conservatisme ou du machisme. » « Les mentalités ont beaucoup évolué, aujourd’hui on ne regarde que les compétences », abonde Noël Garabedian, le président de la CME centrale de l’AP-HP, convaincu que « les choses vont beaucoup changer dans les dix ans ».
Même si le changement est lent – aussi en raison de la longueur de la carrière hospitalo-universitaire et du peu de postes –, il semble amorcé. « Cela a beaucoup bougé, les patrons ne considèrent pas les femmes de façon différente », assure Federica Dondero, 47 ans, chirurgienne à l’hôpital Beaujon, à Clichy (Hauts-de-Seine), spécialiste de la transplantation de foie. « J’ai 70 % de femmes dans mon service parmi mes étudiants, ça va finir par se répercuter, prédit Véronique Leblond, à la Pitié. Pas forcément par volonté, mais parce qu’il n’y aura pas d’autre choix. »

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