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mercredi 11 juillet 2018

Protection de l’enfance : une proposition de loi veut garantir un suivi jusqu’à 25 ans

Plus de 40 000 jeunes majeurs sortent chaque année sèchement de l’aide sociale à l’enfance, avec pour perspective la rue ou l’errance.
LE MONDE | Par 

Une proposition de loi veut garantir un suivi de l’aide sociale à l’enfance jusqu’à 25 ans (Isabelle Rey)
Une proposition de loi veut garantir un suivi de l’aide sociale à l’enfance jusqu’à 25 ans (Isabelle Rey) AUREL
La députée du Pas-de-Calais ne décolère pas. « Nous ne voulons plus de sortie sèche pour les jeunes qui sont confiés à la protection de l’enfance. Le jour de leur majorité, ils se trouvent brutalement privés du soutien de la collectivité. On leur demande d’être autonomes à 18 ans, alors qu’ils sont les plus vulnérables, sans réseau et sans famille. C’est absurde », dénonce l’ex-socialiste Brigitte Bourguignon.

Aujourd’hui élue La République en marche (LRM), elle avait espéré que la promesse d’« aucune sortie sèche » soit l’une des mesures du plan pauvreté que devait annoncer Emmanuel Macron le 10 juillet. Mais l’exécutif en a décidé autrement et a reporté cette annonce à septembre.
Pas question de renoncer pour autant. Mercredi 11 juillet, elle soumet à la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale une proposition de loi sur le sujet. Signé par cent quarante de ses collègues du même groupe, le texte, qui sera examiné en novembre dans l’Hémicycle, a donc toutes les chances d’être adopté, ce qui devrait mettre la pression sur le gouvernement.
Aujourd’hui, un tiers seulement des jeunes placés sous la protection de l’enfance qui atteignent l’âge de 18 ans bénéficient d’un contrat jeune majeur, soit 20 900 par an. Inventé en 1974, ce dispositif permet au département, chargé de la sauvegarde de l’enfance, de prolonger son aide financière à hauteur de 465 euros par mois et d’offrir un suivi jusqu’à 21 ans. Mais ces contrats sont de plus en plus rares et de plus en plus courts avec des situations très hétérogènes selon les collectivités. 57 % des jeunes ont bénéficié d’un contrat de moins de six mois (seulement 2 % de plus d’un an), selon une enquête menée auprès de 1 650 jeunes de sept départements par Isabelle Frechon, sociodémographe au CNRS. Près d’un quart des jeunes interrogés ont connu une période de vie dans la rue.
« Couperet des 18 ans »
« A Marseille, la situation est catastrophique : à peine quelques jeunes sont sous contrat », témoigne Mohamed Karkache, responsable, entre 2014 et 2017, d’un centre d’hébergement pour jeunes majeurs dont 30 % viennent directement de l’aide sociale à l’enfance (ASE).
« Le jour de leurs 18 ans, on les met à la porte, ils sont sommés d’appeler le 115. On les voit arriver fracassés, avec leur baluchon, quelques affaires dans un sac-poubelle. Pour eux, pas question d’études supérieures. Et on leur enjoint d’être autonomes, de trouver un logement, une formation, un emploi… Il y a là une véritable maltraitance institutionnelle, juge M. Karkache. On demande trop à ces jeunes alors qu’ils devraient, comme tous les autres enfants, être soutenus jusqu’à l’âge de 25 ans. »
Quelques-uns bénéficient toutefois de la « garantie jeunes » (environ 450 euros par mois), une sorte de revenu de solidarité active pour les 16-26 ans, créée en 2013 sous le quinquennat de François Hollande. « Ce couperet des 18 ans pour les sortants de l’ASE est insupportable, renchérit Antoine Dulin, rapporteur d’un avis du Conseil économique, social et environnemental,rendu public le 13 juin. L’âge de l’autonomie des jeunes ne cesse de reculer. Le départ du domicile parental se fait aujourd’hui à 23,6 ans. »
Asphyxiés financièrement, les départements, qui, à eux tous, consacrent 7,6 milliards d’euros à la protection de l’enfance, ont dû arbitrer. Beaucoup ont décidé d’attribuer une partie de leurs moyens à la prise en charge des mineurs non accompagnés, souvent migrants, de plus en plus nombreux au détriment des sortants de l’ASE.
« Notre proposition de loi vise à rendre obligatoire, dans tous les départements, ce contrat jeune majeur jusqu’à 25 ans, sans s’arrêter à la date anniversaire, mais qu’il aille jusqu’à la fin du cycle scolaire ou universitaire engagé, plaide Mme Bourguignon. Afin de ne pas entraîner un coût supplémentaire pour les départements, les dépenses nouvelles seraient prises en charge par l’Etat. »
Pour préparer la sortie, le texte prévoit également un entretien, dès l’âge de 16 ans, et un autre à 17 ans. « Il faut aussi que soit associé à la décision un proche, parent, éducateur, pair, en qui le jeune a confiance, explique la députée LRM. Ces jeunes ont besoin de temps pour mener à bien leurs études et de cette personne de confiance. »
Parcours chaotique
A 26 ans, Adrien Durousset est fier de son BTS comptabilité, qu’il a décroché le 1er juillet 2008, à l’issue d’une formation en alternance (trois jours par semaine au lycée, deux jours en entreprise). C’est un bel aboutissement pour celui qui fut, dès l’âge de 5 ans et jusqu’à sa majorité, « placé, déplacé », comme le résume le titre de son livre-témoignage paru en mai 2016 (éditions Michalon). Son parcours fut chaotique, de foyers en familles d’accueil en passant par les « lieux de vie ».
« En juillet 2010, à 18 ans, j’ai eu la chance de bénéficier d’un contrat jeune majeur pour six mois renouvelables, raconte-t-il. C’était stressant car, pour obtenir sa prolongation, je devais, tous les six mois, convaincre l’inspectrice de ma motivation. Heureusement, mon éducatrice référente s’est montrée compréhensive et m’a laissé ma chance. Cela m’a d’abord permis de recevoir une allocation mensuelle, en 2013, d’obtenir, à la surprise générale de mes éducateurs, un bac professionnel qui m’a ouvert la voie vers le BTS. »
Un ancien maître de stage qui avait repéré sa motivation a aussi aidé Adrien, lorsqu’il a atteint 21 ans et que son contrat a pris fin, à trouver un logement. Il s’est porté caution et a réglé son premier mois de loyer. Et il lui a surtout trouvé l’entreprise qui l’a accueilli en alternance.
« Dès le premier jour, le patron m’a dit de laisser ma vie privée à la porte de l’entreprise, se souvient Adrien Durousset. Ça m’a d’abord surpris mais, finalement, ça m’a fait du bien d’être comme les autres étudiants, bien habillé, avoir la tête dans les chiffres – moi à qui on répétait, à l’école, que j’étais un âne… –, à penser aux clients et, finalement, de ne plus avoir le statut d’enfant placé. J’étais dans une entreprise, une vraie. Plus dans un milieu d’aide sociale. »
Deux éléments sont déterminants dans sa réussite : le contrat jeune majeur et ce maître de stage, pair éclairé. « La situation des sortants de l’ASE n’est que le miroir grossissant des difficultés que connaissent les jeunes, dont le soutien familial est souvent absent ou défaillant. Il est temps de s’en occuper pour qu’ils ne soient pas condamnés à l’errance ou à la précarité », estime Antoine Dulin.

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