En vue de la révision de la loi sur la bioéthique, la plus haute institution juridique a rendu public un rapport, mercredi.
C’est un éclairage important attendu par le gouvernement avant la présentation de son projet de loi à l’automne : le Conseil d’Etat rend publique, mercredi 11 juillet, une étude consacrée à la révision de la loi de bioéthique. « La France a construit un modèle bioéthique singulier en plaçant plus haut que d’autres pays le principe de dignité de la personne humaine, rappelle Bruno Lasserre, vice-président du Conseil. Nous étudions différents scénarios d’évolution de la loi, en mettant en garde sur les conséquences possibles. » Si l’institution estime le statu quo préférable dans certains cas, elle innove sur des questions sensibles.
Procréation médicalement assistée. Le Conseil d’Etat renvoie dos à dos les arguments juridiques brandis par les partisans et les opposants à l’ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes seules. Ils écartent ainsi le principe d’égalité entre les couples homosexuels et hétérosexuels mis en avant par les associations de défense des droits des personnes LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans). Il n’impose pas, selon les « sages », d’ouvrir l’accès à la PMA, ces couples étant « dans une différence de situation liée à l’altérité des sexes ».
Mais les arguments mis en avant par les opposants, en particulier l’intérêt de l’enfant, ne sont pas jugés valables, car « la question de savoir si priver a priori un enfant d’une double filiation sexuée serait nécessairement contraire à son intérêt reste controversée ». « Aucun obstacle juridique n’interdit d’ouvrir l’AMP [assistance médicale à la procréation, terme utilisé par le Conseil d’Etat] aux couples de femmes et aux femmes seules, écrit le Conseil d’Etat. Et rien ne s’oppose à faire une éventuelle distinction entre [ces] deux publics. » L’institution constate que la demande en faveur de cette ouverture « s’est accrue », et que la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe de mai 2013 « a normalisé la situation des familles qui en sont issues ».
Filiation. Aujourd’hui, pour faire reconnaître un lien de filiation avec un enfant conçu par PMA à l’étranger, la « mère d’intention » (celle qui n’a pas porté l’enfant) doit l’adopter. Elle est pour cela contrainte de se marier avec la mère biologique de l’enfant. Le Conseil d’Etat estime préférable de « dissocier radicalement les fondements biologique et juridique de la filiation d’origine, en prévoyant une double filiation maternelle ». Ce serait une première en droit français.
Les couples de femmes transmettraient à l’état civil une déclaration commune anticipée effectuée devant un notaire, dont la mention figurerait en marge de l’acte de naissance de l’enfant. Le système actuel resterait inchangé pour les couples hétérosexuels ayant recours au don de gamètes, afin de ménager la possibilité pour ces couples de « préserver le secret sur le mode de conception ».
Accès aux origines. Les enfants qui auront été informés par leurs parents qu’ils sont issus d’un don pourraient solliciter à partir de leur majorité l’accès à l’identité de leur donneur. En cas de refus ou de disparition du donneur, des données non identifiantes leur seraient communiquées.
Gestation pour autrui. Cette dernière est interdite sur le sol français par « un dispositif répressif complet » et doit le rester, estime le Conseil d’Etat. Elle est en effet jugée contraire au principe d’indisponibilité du corps humain, qui interdit de disposer d’éléments de son propre corps ou de ses facultés de reproduction, en dehors du don anonyme et gratuit de gamètes ou d’organes. Le Conseil doute de la possibilité de réaliser des GPA « éthiques », vu « la difficulté de s’assurer du caractère désintéressé du geste de la mère porteuse ». En outre, cette technique de procréation soumet l’enfant « à un parcours fragmenté entre ses origines génétique, gestationnelle et sociale ».
Procréation post mortem. « L’ouverture de l’AMP aux femmes seules rendrait difficilement justifiable de refuser une AMP post mortem à celle dont le conjoint vient de décéder alors que les embryons ou les gamètes du couple ont été conservés, observe la plus haute juridiction administrative. Cela reviendrait à demander à la femme de procéder au don ou à la destruction de ses embryons, tout en lui offrant la possibilité de procéder seule à une insémination avec le sperme d’un donneur. » Le Conseil recommande de vérifier l’existence d’un projet parental, et de fixer une date limite pour réaliser le projet.
Autoconservation des ovocytes. L’autorisation de cette technique qui permet de repousser une grossesse « s’inscrirait dans un contexte social la rendant indéniablement pertinente », estiment les « sages », qui relèvent que l’âge de la première grossesse ne cesse de reculer. Ils recommandent de fixer un âge au-delà duquel la ponction d’ovocytes ne pourrait plus être réalisée.
Enfants intersexes. Le Conseil recommande que la mention du sexe à l’état civil puisse être retardée pour les enfants dont le sexe est indéterminé à la naissance. Les actes médicaux ayant pour objectif de « conformer l’apparence esthétique des organes génitaux aux représentations du masculin et du féminin », aujourd’hui réalisés sur de très jeunes enfants, ne devraient avoir lieu que lorsque l’intéressé est en âge d’y consentir.
Fin de vie. Le Conseil d’Etat juge qu’il serait « peu raisonnable »et même « pas souhaitable » de modifier la loi Claeys-Leonetti promulguée en 2016, qui instaure, pour les personnes en fin de vie, un droit à « dormir avant de mourir pour ne pas souffrir », grâce à la délivrance, sous certaines conditions, d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès. La loi actuelle permet de « répondre à l’essentiel des demandes sociales relatives à la fin de vie »émanant de personnes dont le pronostic vital est engagé à court terme, estime le Conseil d’Etat, qui fait tout de même valoir que les équipes soignantes rencontrent encore des « difficultés » à l’appliquer.
La ministre de la santé, Agnès Buzyn, a récemment assuré que la fin de vie ne serait pas abordée dans le cadre des révisions des lois de bioéthique, mais une partie des parlementaires de la majorité plaide pour qu’une loi autorisant une aide médicale à mourir soit votée avant la fin du quinquennat.
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